Edouard Guillaud, chef dans l’ombre
À la tête d’une armée française sur tous les fronts, un amiral discret et insubmersible qui forme avec Nicolas Sarkozy un duo surprenant…
Source: lejdd.fr par Alexandre Duyck
Ils ont fait la guerre ensemble mais quel duo étonnant ! Sarko-Guillaud, deux quinquas nés à Paris, deux ambitions insubmersibles, mais les différences ne manquent pas. Quand il évoque ses racines paysannes et maritimes et la presqu’île du Cotentin, Édouard Guillaud a des trémolos dans la voix. La famille du chef d’état-major de l’armée vient de Gouberville, dont Guillaud revendique la « mentalité d’îlien », dureté au mal et conscience de la fragilité du monde. Guillaud est très grand, large d’épaules. L’amiral Moulin, qui fut son professeur à l’École navale, se remémore « un jeune homme d’avenir, faisant preuve d’élégance, d’intelligence et de témérité pour affronter les séances de plongée, de parachutisme et de tir ».
Guillaud est un peu raide, très officier britannique, pas le genre à taper sur l’épaule du président. Encore moins à subir ses accolades. « La chaleur humaine n’est sans doute pas son fort, s’amuse un conseiller du ministère de la Défense. Il ne sera jamais pote avec Sarko. Mais il est bon, il le sait, il est l’homme qu’il faut pour ce poste et le président a confiance en lui… » À eux deux, ils se partagent le commandement des armées. Par la grâce de la Constitution, Nicolas Sarkozy en est le patron politique. Par les cinq étoiles cousues sur ses manches, l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major, en est le chef militaire. Sarkozy-Guillaud, le duo a mené ces neuf derniers mois trois conflits sur trois fronts : la Côte d’Ivoire, l’Afghanistan et la Libye.
«Il a décidé à 6 ans qu’il serait marin de guerre, en lisant la vie de Jean Bart. Un texte qu’il connaît encore par coeur.»Quand Nicolas Sarkozy accède à l’Élysée, il maintient à son poste Guillaud, chef d’état-major particulier du président depuis 2006. Les relations entre les militaires et l’ancien ministre de l’Intérieur se tendent rapidement et Guillaud ne cessera d’œuvrer à la réconciliation. En septembre 2008, des plaisanciers français sont pris en otages par des pirates somaliens. La mer est formée, les nageurs de combat parés, mais le risque de faire capoter l’opération est grand. Guillaud se tourne vers le président, qui répond : « C’est votre métier, pas le mien. À vous de décider! » L’assaut est ordonné, les deux otages libérés.
Comme l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine, Guillaud a rapidement décidé ce qu’il ferait de sa vie. À l’âge de 6 ans, il a lu une biographie de Jean Bart, le flibustier devenu héros de la marine royale sous Louis XIV. Cinquante-deux ans après, il connaît toujours le texte par cœur : « Jean Bart ordonna que son fils François soit attaché au grand mât. » Pas question de marcher dans les pas de son père, conseiller du président Pompidou, puis PDG de TF1 et de l’Agence France-Presse, Édouard a pourtant tenu secret pendant des années son désir de devenir marin de guerre. À 14 ans, il l’écrit enfin sur une fiche scolaire.
Tandis que Sarkozy gravit un à un les échelons de la droite, Guillaud monte en grade, officier à bord d’un sous-marin nucléaire puis commandant d’un dragueur de mines. Il marque à la culotte les sous-marins soviétiques, assiste à l’attaque des troupes françaises à Beyrouth en 1983, est nommé commandant en second du Charles-de-Gaulle en 1997 puis « pacha » deux ans plus tard. Tous deux connaîtront aussi des moments de flottement : défaites, personnelle aux européennes de 1993 puis de Balladur à la présidentielle de 1995 ; railleries du monde entier au sujet du porte-avions nucléaire, plus souvent envoyé à la révision que naviguant sur les flots. « Il a beaucoup pris sur lui, ne s’est jamais défaussé sur ses adjoints ni ne s’est couvert la tête de cendres », se souvient l’amiral Moulin.
Février 2010, Sarkozy nomme Guillaud chef d’état-major des armées. Avant lui, un seul marin, l’amiral Lanxade, a occupé le poste. Sa nomination agace. Ses relations avec le ministre de la Défense, Hervé Morin, sont exécrables. Aujourd’hui encore, Morin refuse d’évoquer la personnalité de l’amiral, s’étonnant même qu’on lui consacre un article. Anonymement, des généraux de l’armée de Terre, des anciens de Kolwezi, du Tchad ou du Kosovo, soulignent sa faible connaissance du « feu » et son côté « manœuvrier ». Sa proximité avec le président exaspère. « On n’arrive pas à ce poste-là par hasard », persifle un officier.
«L’armée françaises s’est montrée très efficace lors de l’intervention en Libye.»Durant l’été 2010, devançant la fureur présidentielle à l’égard du général Desportes, patron de l’École de guerre qui avait étalé ses divergences sur le conflit afghan dans Le Monde, le chef d’état-major convoqua l’officier rebelle. Le journaliste Jean-Dominique Merchet décrit un Guillaud « dans un état sauvage ». Desportes, qui ne souhaite pas non plus parler de Guillaud, est mis à la retraite. Le clash laissera des traces. « C’est d’autant plus regrettable que Guillaud est un type éminemment intelligent, déplore un haut-gradé de l’armée de terre. Mais il est incapable de s’opposer à Sarkozy, alors qu’un chef d’état-major doit oser contrer les politiques, qui, bien souvent, n’entendent rien aux subtilités de la stratégie. »
Guillaud préfère évoquer sa relation de « confiance » avec le président. En mars dernier, trois jours avant les frappes sur l’armée de Kadhafi près de Benghazi, l’Élysée le prévient de l’imminence d’une décision d’attaque. « J’ai expliqué au président quelles étaient les options militaires, avec qui nous pouvions “taper”, à partir de quelle date, avec quels objectifs et quels moyens. Je lui ai proposé un schéma de montée en puissance, faire appareiller le Charles-de-Gaulle, charger les bombes, mettre en alerte nos bases aériennes sur le continent et en Corse ainsi que nos hélicoptères de combat. Le 19 mars, quand le président a reçu lors de la conférence de Paris l’aval de ses pairs, nos avions étaient déjà tout près de l’espace aérien libyen. J’ai reçu le feu vert et ordonné les tirs. Et je pense pouvoir dire que l’armée française s’est montrée très efficace. »
Le printemps puis l’été ne furent pas de tout repos pour l’amiral. Il y eut et il y a encore la Libye avec, pour commencer chaque journée, la lecture des rapports du renseignement militaire. Il y eut les morts en Afghanistan, notamment les cinq décès des 13 et 14 juillet, qui provoquèrent l’ire présidentielle cette fois-ci à l’égard de Guillaud. « Une sacrée soufflée », assure un cadre du ministère de la Défense. Cité pour prendre la très prestigieuse présidence du comité militaire de l’Otan à Bruxelles, l’amiral est finalement demeuré à Paris à la tête des armées et aux côtés du président. Il y a quinze jours, il a dû gérer une nouvelle prise d’otages d’un couple de Français par des pirates somaliens. Dans trois mois, il passera Noël avec les soldats en Afghanistan. Plus tard, quand le temps de ranger l’uniforme sonnera, il gagnera le Cotentin, s’achètera un « mouille-cul », comme il dit, et partira pêcher au calme, enfin seul, loin des affres de la politique et de la guerre.
Alexandre Duyck – Le Journal du Dimanche
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