Duékoué: Amadé règne en maître absolu sur le Mont Péko (Fraternité Matin)

Par DOUA GOULY – Grand-Reporter de FratMat –

Envoyé spécial Fraternité Matin

En cette matinée du lundi 22 août 2011, un calme règne à Bagohouo, chef-lieu de sous-préfecture (35 Km de Duékoué). Des éléments des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) déployés le week-end sont assis à la terrasse d’une grande villa qui leur sert de Quartier général.

Rien d’apparent dans cette petite ville que l’on continue d’assimiler à un village. Sauf quelques étals disposés le long de l’artère principale. Au centre de santé urbain, un homme surveille plusieurs téléphones portables mis en charge à partir d’un panneau solaire. Signe que l’électricité ne marche pas à Bagohouo. Les bureaux de la sous-préfecture sont ouverts à une centaine de mètres du QG des Frci. Une pancarte indique les insignes d’une Organisation non gouvernementale (Ong) spécialisée dans les soins de santé à l’entrée du siège de l’administration centrale dans la localité. «Le sous-préfet n’est pas là. Il vient ici de temps en temps. Sinon, il réside à Duékoué où il a un autre bureau. Si vous avez besoin d’information, adressez-vous au chef du village ». La jeune dame qui tient ses propos s’occupe pour le compte de cette Ong, de la commercialisation des produits pharmaceutiques. Elle ne veut pas en dire davantage à propos de l’occupation des locaux de la sous-préfecture. « Laissez comme ça », dit-elle avec un brin de sourire.

Photo Connectionivoirienne.net / Amadé premier plan

 

Cap est donc mis sur le domicile du chef de village. Ici, l’organisation est parfaite. Sous le préau qui sert de salle de réunions et de tribunal, plusieurs rangées de chaises font face à un long bureau. Au centre de ce bureau, la chaise du chef. Celle-ci est entourée de celles des notables. A l’extrême droite, le siège du secrétaire du chef de village. Les rangées de chaises de la communauté sont divisées en deux groupes. A gauche, il est marqué « accusés et témoins », et à l’opposé, « plaignants et témoins ». Aujourd’hui n’est pas jour d’audience. Mais des villageois sont tout de même chez le chef. Question certainement d’échanger avec lui sur des sujets qui intéressent le village.

L’homme autour de qui tout gravite dans le village se nomme Simplice Doh. Il n’est pas encore confirmé officiellement comme chef. Cependant il règne en maître. C’est lui l’interlocuteur privilégié du sous-préfet et de tous ceux qui arrivent à Bagohouo. La quarantaine entamée, Simplice Doh fut jusqu’à la dernière crise post-électorale le président des jeunes de Bagohouo.

«L’histoire de notre chefferie est complexe. Le vrai chef, Béant Bernard, a pris la fuite en 2003 quand la guerre a atteint notre village. Quand il est revenu après l’accalmie en 2004, les villageois l’ont rejeté. Son secrétaire a assuré l’intérim jusqu’en mars dernier. Mais celui-ci s’est s’enfui aussi avec l’arrivée des Frci. Depuis lors, c’est le président des jeunes qui assure les fonctions de chef, avec la bénédiction de…. ». Notre interlocuteur qui fait office de secrétaire du chef n’a pas le temps d’achever sa phrase qu’il est interrompu par Simplice Doh.

A partir de cet instant, tous les intervenants qui viennent de connaître l’objet de notre visite à Bagohouo, à savoir la gestion du parc du Mont Péko, demandent de nous recevoir en dehors de la résidence du chef. « Ici, personne ne peut vous dire ce qu’il sait réellement de l’occupation de cette aire protégée par les Mossis», lance, de la petite assistance, Simplice Doh, très enchanté de notre visite ne fait pas attention à cette remarque. Il nous promet séance tenante une rencontre avec le chef des occupants de la forêt du Mont Péko. Un certain Amadé Ouérémi. Pour joindre l’acte à la parole, le chef du village saute sur sa moto et prend la direction du campement de ce dernier. Campement, qui dit-on, est à un kilomètre du village. « Soyez rassuré, je reviens tout à l’heure avec le vieux. Il ne sort pas comme ça, mais pour vous je suis sûr qu’il viendra », dit-il avant de partir.

En l’absence du chef dont certainement la présence les gênait, les villageois se libèrent. Chaque notable désire prendre la parole. « En tout cas, nous avons souffert dans ce village depuis 2003 », entame le premier intervenant qui, comme les autres d’ailleurs, a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité. Il ajoute : «Après 2003, les survivants ont regagné le village. Nous avons vécu comme nous le pouvions, lorsque le 2 décembre 2010, les militaires qui assuraient notre sécurité au village ont eu des histoires avec les éléments d’Amadé Ouriémi. Il y a même eu affrontement entre eux. Qui a fait 5 morts du côté des Fds, deux gendarmes et trois militaires dont un officier. Nous avons à nouveau fui le village ».

Amadé Ouérémi, au dire des populations, est un chef de guerre de nationalité burkinabé. «Ce guerrier et ses parents occupent le Mont Péko depuis 2003. Ils y ont fait des plantations de cacao et de banane. Beaucoup d’entre eux sont venus de Soubré et d’autres escortés du Burkina Faso. Ils avaient un porte-parole qui s’appelait Taharé. Ce dernier a été clair avec nous. Il nous a dit : Que vous voulez ou pas, nous allons travailler. Nous avons combattu aux côtés des Forces nouvelles. En récompense, on nous demande de travailler dans les forêts classées jusqu’à ce que le gouvernement nous récompense », explique un autre intervenant qui dit se prénommer Jules.

Cet homme craint par tous ici (voir encadré) est arrivé à Bagohouo en 1986. Ses parents et lui ont eu pour tuteur Bahé Monké Roger, un natif du village. Le groupe des exploitants du Mont Péko s’est agrandi au fil des mois.

Dans l’attente du retour du chef du village, nous menons des entretiens à travers plusieurs cours. L’impression générale qui se dégage de ces échanges est que ces populations ont peur des occupants du Mont Péko. Un homme justifie cette crainte en ces termes : «Béant Bernard, notre ancien chef de village qu’Amadé Ouérémi ne voulait pas voir a été tué à Duékoué-Carrefour le 28 mars 2011 par les hommes du Péko. Nous avons tous peur de subir le même sort que lui ». Il ajoute : «Notre village a perdu 42 personnes dans la prise de Duékoué. Car le 3 décembre 2010, quand les hommes d’Amadé Ouérémi ont mis en déroute les Fds stationnées à Bagohouo, nous avons tous fui pour Carrefour ».

Aux environs de 11 heures, le chef de Bagohouo, jovial à notre arrivée, nous rejoint la mine grise. «Le sous-préfet vous demande de tout arrêter. Il n’est pas au courant de votre présence dans sa circonscription. Pour votre sécurité, vous ferez mieux de partir maintenant », ordonne-t-il. Et M. Amadé Ouérémi ? «Le Vieux, (comme on appelle Amadé Ouérémi à Bagohouo), ne pourra plus sortir. Le sous-préfet n’a pas donné son accord », répond-il sèchement. Malgré les menaces non voilées du chef de Bagohouo, nous continuons à interroger certains de ses administrés. Sa présence, bien évidemment, influence les réponses. Ainsi, s’agissant du désarmement des hommes d’Amadé Ouérémie qui a eu lieu récemment, les populations donnent des réponses vagues : «Le jour du désarmement, disent-ils, certains sont venus déposer les armes. D’autres sont venus le lendemain et d’autres encore pensent venir faire le même geste une autre fois ».

C’est le chef de Nidrou, village voisin où nous nous sommes rendu grâce à l’escorte d’une patrouille de l’Onuci, qui est plus clair : «Tous les fusils n’ont pas été donnés. Je l’ai déjà dit à l’Onuci qui est venue nous interroger ici », avoue-t-il. Propos confirmés par Diarra Seydou, porte-parole de la communauté burkinabé de Nidrou. « Depuis que nos parents sont venus, il y a 50 ans, nous ne sommes jamais allés dans la forêt classée. Les Guéré nous ont donné des parcelles en dehors de celle-ci. Nous ne connaissons pas particulièrement ceux qui sont au Péko quand bien même ils seraient de la même nationalité que nous. Chacun est arrivé ici par son propre chemin. Nous savons qu’ils sont encore armés », soutient-il.

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Encadré 1

Sauvé par l’Onuci

A Bagohouo, les menaces étaient réelles pour notre sécurité quand Simplice Doh est revenu duLa patrouille de l’ONUCI dont un élément est visible, en bleu, sur notre photo, a été salutaire. campement d’Amadé Ourémé avec les instructions du sous-préfet de nous chasser du village.

Le chef du village, visiblement très agacé par notre entêtement à poursuivre de notre mission, a fini par lâcher : «Si vous ne partez pas à l’instant, votre sécurité n’est pas garantie ».

Le chef, après plusieurs coups de fil passés, demande à ses administrés de ne plus nous parler pour «ne pas être responsables de ce qui pourrait nous arriver».

Et comme par hasard, une patrouille de l’Onuci, partie à Nidrou pour constater les échauffourées entre les éléments d’Amadé Ourémi et les Frci, accepte de nous escorter sur les 35 Km de piste qui séparent Bagohouo de Duékoué.

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Encadré 2

Amadé Ouérémi, planteur ou combattant ?

Cet homme qui fait la pluie et le beau temps à Bagohouo est né, selon l e sous-p réfet de la localité, en 1964. Il est arrivé dans ce village en 1986 avec ses parents. Il était le réparateur de vélos de la localité jusqu’au déclenchement de la crise ivoirienne en 2002. En 20 03, Amadé Ouérémi a rejoint le Mont Péko où se trouvaient déjà certains de ses compatriotes. Sa bonne connaissance des lieux a vite fait de lui le leader des occupants du domaine de l’Etat.

Le nombre exact des personnes sous son contrôle n’est pas connu. Etant donné qu’ils vivent en pleine forêt. Les paysans parlent de 400 combattants. Le sous-préfet lui, soutient qu’ils sont moins de 80.

Outre la mort de cinq éléments des Fds dont un officier, qui est attribuée au groupe d’Amadé Ouérémi en décembre 2010, il lui est reproché également d’avoir incendié un véhicule des agents de l’Office ivoirien des parcs et réserves (Oipr) en patrouille à Guézon Tahouaké à la lisière du parc.

De soupçons pèsent également sur Amandé Ouérémi dans les massacres de Duékoué. En effet, les paysans ont reconnu formellement des éléments de son groupe lors de l’attaque du quartier Carrefour de Duékoué. Attaque dans laquelle le chef de Bagohouo, 41 personnes du même village et des centaines d’autres ont péri.

D. G.

DOUA GOULY
Envoyé spécial
Fraternité Matin

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