Dr BOGA SAKO GERVAIS
Enseignant-Chercheur à l’Université en Côte d’Ivoire
Président de la Fondation Ivoirienne pour
Les Droits de l’Homme et la vie Politique (FIDHOP) ;
Auteur du livre publié à L’Harmattan : « Les Droits de l’Homme à l’épreuve :
cas de la crise ivoirienne du 19 septembre 2002 »
A MONSIEUR LE PRESIDENT DE LA COMMISSION DIALOGUE, VERITE ET RECONCILIATION (CDVR) DE CÔTE D’IVOIRE
A B I D J A N
Lettre ouverte : CONTRIBUTION RELATIVE A LA RECONCILIATION NATIONALE.
Monsieur le Président de la CDVR-CI,
La Côte d’Ivoire, notre pays, traverse une grave crise militaro-sociopolitique, depuis septembre 2002, qui s’est soldée, à l’occasion de l’élection présidentielle controversée du 28 novembre 2010, par la mise aux arrêts, le 11 avril 2011, du Président de la République en exercice, SEM Laurent GBAGBO, de son épouse, de son fils et de tous ses proches. Cette action a été réalisée par les ‘’Forces Républicaines de Côte d’Ivoire’’, créées par le Président Alassane OUATTARA à la mi-mars 2011 et composées pour l’essentiel des militaires de l’ex-rébellion des Forces Nouvelles, née depuis 2002 ; avec le soutien actif et incontestable de l’armée française de la Licorne.
Devant les conditions tragiques dans lesquelles il a accédé au Palais présidentiel, avec le bilan minimum de trois mille (3000) morts, selon ses propres chiffres, l’actuel Chef de l’Etat s’est engagé à réconcilier les Ivoiriennes et les Ivoiriens, en même temps qu’il entendait lutter énergiquement contre l’impunité qui a tant régné dans notre pays.
Et pour des raisons qui lui son propre, il vous a confié la difficile et délicate mission de Réconciliation nationale, vous, l’ancien Premier Ministre qui aviez suscité beaucoup d’espoir pour la sortie de crise en Côte d’Ivoire. Vos collaborateurs viennent d’être désignés par décret pris en Conseil des Ministres, ce 05 /09 /2011.
Pour participer au succès de cette noble mission, dont l’échec serait une autre catastrophe pour le pays, en tant que Citoyen Ivoirien jouissant de la liberté de pensée et d’opinion et très préoccupé comme tous les Compatriotes de l’avenir de notre Nation, je me permets la présente contribution, qui concerne la forme, l’objet et la démarche de la Commission.
1/ LA FORME :
J’observe comme tous les Ivoiriens qu’il est entrain de se mettre en place une structure administrative institutionnelle, forte et solide, dite ‘’Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation’’, qui est régie par des ordonnances et décrets et qui disposera d’importants moyens financiers pour son fonctionnement.
Même s’il est vrai que la composition d’une telle structure ne fait pas souvent l’unanimité, l’avis du Peuple ivoirien, à travers le Parlement, aurait au moins conféré à la Commission une crédibilité et une légitimité acceptables. En plus, le fait que les vice-présidents et membres doivent décider eux-mêmes de leurs indemnités et avantages peut paraitre inquiétant.
En effet, la mission de réconciliation d’un peuple meurtri et ruiné par la guerre comme le nôtre, devrait être conduite avec modestie et humilité ; car ceux vers qui l’on va et dont le Pardon est indispensable pour la Paix dans le pays, sont affamés et appauvris par cette dernière guerre, dont ils sont tous des victimes. Trop d’ambitions, dans le confort et le luxe pourraient choquer les populations. Il n’est pas évident qu’en Afrique du Sud, Monseigneur Desmond Tutu ait eu besoin de gros moyens pour réussir sa mission.
2/ L’OBJET : QUI RECONCILIER ?
A observer la société ivoirienne et le déroulement des événements sociopolitiques successifs survenus depuis l’Indépendance à aujourd’hui, on peut se rendre compte que les conflits intercommunautaires n’ont jamais franchi la sphère locale, d’un village ou d’une ville, pour atteindre toute une région ou tout le pays. Des politiciens ont certes suscité des guerres tribales ou religieuses, mais leurs basses besognes ont toujours été infructueuses ; Dieu merci !
C’est pourquoi, de mon point de vue, ceux qu’il nous faut réconcilier aujourd’hui en Côte d’Ivoire, c’est moins les populations que les politiciens. Ce sont ces derniers qui nous divisent chaque fois et qui poussent des familles à s’entretuer, pour leur démontrer leur soutien. Ainsi, alors qu’elles sont déjà victimes de la pauvreté, les populations n’hésitent pas à tuer leurs semblables pour ces politiciens. Nous sommes tous leurs otages !
Les joies des politiciens sont aussi les joies des populations et la haine de la classe politique se déverse dans les régions, dans les villes, dans les villages et dans les familles. Par exemple, j’ai l’intime conviction que si le Président OUATTARA rendait une visite fraternelle ces jours-ci au Président GBAGBO à Korhogo, ils seront nombreux les Ivoiriens qui s’en réjouiraient ; ce serait un signal fort pour la réconciliation. Et s’il lui rendait sa liberté, la Commission de Réconciliation n’aurait même plus de raison d’être !
Par contre, aussi longtemps que M. GBAGBO sera fait prisonnier avec ses parents et ses compagnons politiques, ou qu’il serait traduit devant la CPI, alors que les ex-rebelles jouissent de la protection du Palais, la Paix et la Réconciliation seront toujours compromises et un air de dictature planera continuellement sur le pays.
3/ LA DEMARCHE SUIVIE : LA CONCOMITTANCE JUSTICE ET RECONCILIATION.
Toutes les victimes des crises successives qui ont eu lieu en Côte d’Ivoire réclament la Justice. En particulier, les victimes des atrocités et des affres du coup d’Etat de 1999, de la rébellion de 2002 et de la période postélectorale actuelle. Toute sélection de victimes serait une discrimination et une injustice !
Or, au regard de l’évolution actuelle de la vie sociopolitique du pays, le Président Alassane OUATTARA ne saurait objectivement exiger ni garantir une justice équitable pour tous. Déjà, il est accusé par des ONG internationales, à juste titre d’ailleurs, d’instaurer au niveau nationale ‘’une justice des vainqueurs contre les vaincus’’, parce que tous, nous sommes témoins des faits et méfaits des FRCI qu’il a lui-même créées. En plus, la Cour Pénale Internationale (CPI) s’est compromise dans cette crise postélectorale en prenant position pour M. OUATTARA, avant-même le dénouement. Tout procès des uns, les pro-GBGAGBO, sans celui des autres, les pro-OUATTARA, sera vu comme une partialité de la justice et donc une injustice !
En outre, si nous voulons sauver notre pays en profondeur, pour ne plus tomber dans les tragédies comme celles d’aujourd’hui, il nous faut dialoguer sereinement et dans la vérité ; ce que la justice classique, nationale ou internationale ne saurait garantir, encore moins le climat qui prévaut actuellement en Côte d’Ivoire. Choisissons donc la voie de la réconciliation vraie, si tel est notre objectif réel, plutôt que celle de la justice discriminatoire.
Il est donc urgent de réunir les conditions de sécurité et d’équité nécessaires, afin que chaque Ivoirienne et chaque Ivoirien se sente véritablement impliqué dans ce processus, qui dépend à quatre-vingt pour cent (80%) de la réconciliation au sein de la classe politique ivoirienne.
POUR LA RENAISSANCE DE LA COTE D’IVOIRE…
Dr BOGA Sako Gervais
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