Abou Cissé à son neveu Alassane « Tant que Gbagbo sera en prison, tu ne pourras pas réussir »

Source: Le Temps

Abou Cissé, l’oncle maternel d’Alassane Ouattara (frère de feue Nabintou Cissé, mère d’Alassane) n’est pas du tout tendre avec son neveu. Dans cet entretien, il lui «crache» ses vérités.

La Côte d’Ivoire a un nouveau pouvoir depuis le 11 avril dernier, suite à l’arrestation du Président Gbagbo par l’armée française…

Nous avons assisté à l’avènement d’un nouveau pouvoir. Nous subissons, en ce moment, ce pouvoir. Nous savons comment ce pouvoir a été installé. Nous constatons, avec beaucoup d’inquiétudes, la mise en place d’un système de jugement qui ne fait qu’éterniser la crise.

Quelles sont vos inquiétudes?

C’est l’arrestation de certains Ivoiriens, qui à un moment donné, ont eu à diriger ce pays. Notamment le Président Laurent Gbagbo, son épouse, les autres cadres et les militants de la majorité présidentielle. En assignant Gbagbo en résidence surveillée, on ne fait qu’emprisonner celui qui est au pouvoir actuellement. Parce que Laurent Gbagbo en prison pose plus d’inquiétudes que d’apaisement.

Soyez plus explicite…

Le Président Laurent Gbagbo est une personnalité. Cette personnalité a régné pendant dix ans. Plus longtemps, il sera en prison, plus son aura va s’affirmer contre les erreurs du pouvoir actuel. Ce pouvoir n’a pas la dimension de résoudre tous les problèmes des Ivoiriens. Vous allez voir que les gens, sans distinction politique, religieuse, ethnique et régionale, vont se retrouver de plus en plus dans les idées du Président Laurent Gbagbo. A travers cette situation, il a de fortes chances de devenir une icône, un symbole. Il va atteindre une telle dimension que le pouvoir en place ne pourra pas diriger ce pays.

Comment ?

Bon nombre d’Ivoiriens vont se sentir, compte tenu qu’il a mis pratiquement tout le monde en prison, dans l’idéal du Président Laurent Gbagbo. Prenons l’exemple de Mandela lorsqu’ il était en prison. Ce n’était pas lui qui faisait,la révolte en Afrique du Sud. C’est le fait qu’on l’ait mis en prison. Cela a donné une autre valeur à Mandela. Aujourd’hui, Gbagbo va atteindre une dimension telle que la Côte d’Ivoire ne pourra pas être gérée par ceux qui sont là. Il ne va pas utiliser, comme les autres l’ont fait, les armes ou la rébellion. Sa présence en prison va susciter, plutôt, une chaîne de mouvements au niveau de la classe sociale. On n’aura pas besoin des armes ou d’une révolution par la guérilla. C’est le peuple lui-même qui va se soulever. Parce que le pouvoir actuel ne pourra pas répondre à l’attente des préoccupations des Ivoiriens. Ce n’est pas en faisant de grands coups de peinture sur certaines places, qu’on peut dire que ça va, le pays est en train de partir, tout va bien… Le pouvoir

actuel doit se dire que les grandes puissances sont en crise. Ce ne sont pas ces pays qui pourront apporter de l’aide à la Côte d’Ivoire.

On parle de plus en plus de réconciliation nationale avec la mise en place d’une commission…

Tout ce qu’on décide, il faut croire. Si c’est une croyance à Dieu, nous pouvons dire oui. Ce sont des gestes et des volontés humaines. Nous ne croyons pas à ce processus tant que le pouvoir ne prend pas sur lui-même de libérer tous les prisonniers politiques. Il faut libérer le Président Gbagbo et ses camarades. Tant que ceux-ci seront en prison, tant qu’on ne fera pas une politique de réconciliation en acceptant les conditions, il n’y aura pas de paix. Tout le monde a été fautif de cette situation. On ne peut pas juger un côté et laisser l’autre.

Alassane Ouattara, dans son discours à la Nation, tend la main aux cadres de la majorité présidentielle…

Nous avons souri de cette main tendue. Au même moment, il continue de mettre les cadres et militants de la majorité présidentielle en prison. Certains viennent d’être inculpés. La réconciliation ne pourra jamais se faire tant que le Président Gbagbo sera en prison. Il faut le libérer. C’est à partir de ce moment que nous pourrons parler de réconciliation. Afin que la Côte d’Ivoire puisse se retrouver. En clair, la réconciliation ne sera possible, si nous ne trouvons pas une solution sur la réconciliation elle-même.

Quelle est cette solution ?

Dans cette situation, il appartient à Alassane lui-même de trouver la solution. Pour qu’il y ait réconciliation, il faut qu’il se libère de la tutelle des Français. Il est emprisonné par les liens qui le lient à la France. C’est l’armée française qui assure, en ce moment, sa sécurité. En plus, il est emprisonné par le fait que le Président Laurent Gbagbo soit en prison. Il est également en prison par rapport à l’ex-rébellion qui l’a aidé. Il arrive que ceux qui vous ont aidé à prendre le pouvoir, trouvent les voies et moyens pour se débarrasser de vous. Parce qu’ils vont trouver que vous êtes gênant. On le voit, aujourd’hui, les dernières sorties des Nations unies. Elles sont en train de se rebiffer en parlant d’injustice. Alassane doit chercher à avoir une victoire intérieure. Cette victoire c’est libérer tous les dirigeants de la majorité présidentielle.

Quelles explications donnez- vous à ce revirement des Nations unies qui ont aidé Alassane à prendre le pouvoir ?

Lorsqu’ on convoite une belle femme, on utilise tous les mots doux. Lorsque vous l’avez, les conditions dans lesquelles vous mettez la femme finissent par montrer votre vrai visage. Tant qu’Alassane ne prouvera pas aux Ivoiriens qu’il n’est pas attaché à la France, qu’il n’est pas gardé par des troupes françaises, l’Ivoirien dans sa dimension actuelle ne croira pas à tout ce qu’il va faire.

A-t-il vraiment le choix ?

C’est lui qui doit choisir. Avoir l’aval de la population ou être prisonnier de la France. Avec la présence des militaires partout dans les rues, l’Ivoirien va finir par s’habituer. Il ne va plus les respecter. C’est ce qui entraîne les guérillas. Il faut qu’Alassane se ressaisisse. La Côte d’Ivoire n’a pas besoin de prisonniers politiques.

Depuis l’arrivée d’Alassane au pouvoir rien n’a changé. La situation ne fait qu’empirer…

Il y a des parasites dans l’entourage d’Alassane pour satisfaire leurs poches. Et non pour l’intérêt de la population. Il ne pourra jamais travailler tant qu’il ne permettra pas à l’opposition réelle d’exister. Nous disons que la réconciliation ne sera possible tant qu’il y aura des prisonniers politiques. Dans ce mois de jeûne un mois de pardon et de réconciliation avec soi même. Il faut que les Imams lui disent que la pérennisation de la Côte d’Ivoire ne se trouve pas dans les crises. Encore moins avec l’emprisonnement du Président Gbagbo, son épouse et les autres membres de la majorité présidentielle. Ainsi que les inculpations qu’on voit ici et là.

Que dites-vous du panier de la ménagère ?

Nous vivons une situation dramatique. La vie est devenue très chère. Il y a aussi le marché de l’emploi qui est devenu catastrophique. Parce que la confiance n’est pas encore là. La peur de l’Ivoirien pour faire quelque chose est devenue plus frappante. Alassane a promis beaucoup d’argent en tenant compte de ses relations. On ne dirige pas un pays à coups de dollars ou d’argent. On dirige un pays avec un certain humanisme. Cet humanisme manque aujourd’hui à Alassane. La Côte d’Ivoire n’est pas seulement l’économie. C’est une histoire d’humanisme. Ceux qui s’asseyent dans leur bureau pour compter sur l’aide de l’extérieur en auront pour leur compte. Parce que ces pays qui devraient donner de l’argent à la Côte d’Ivoire sont en pleine crise. Ce ne sont pas eux qui vont nous donner de l’argent. Lorsque la population aura faim, elle se soulevera. La destruction des emplois n’arrange pas les choses.

Un commentaire sur les démolitions en cours…

On se rappelle que ceux qui sont au pouvoir actuellement avaient accusé l’ancien pouvoir de tous les maux. Lorsqu’il avait décidé de le faire. Il faut dire que c’était la haine contre le pouvoir de Gbagbo. Nous comprenons mal qu’on aille détruire la rue princesse. Cette Rue n’a pas été créée par un pouvoir. Elle a été créée par des jeunes. Nous ne comprenons pas. Et l’Ivoirien moyen ne comprendra jamais. C’est comme si on allait casser

Pigalle en France.

Le pouvoir soutient que c’est un lieu de dépravation…

Il y a des lieux de dépravation dans toutes les villes. La Rue princesse avait sa dimension. Nous pensons que dans chaque ville du monde entier, il y a des zones qui se fabriquent d’elles-mêmes. Ce n’est pas un gouvernement ou un homme politique qui les crée. C’est une situation voulue, fabriquée et acceptée par les populations. C’est ça aussi la liberté. La Rue princesse existait avant l’arrivée de Gbagbo au pouvoir. La Rue princesse est symbole de Yopougon, voire de la ville d’Abidjan. C’est une erreur d’avoir donné l’ordre de casser cette rue. Ce sont des cultures de la jeunesse. L’homme doit se débarrasser de la haine pour embrasser l’amour pour la patrie. Qu’il arrive à aimer les Ivoiriens. S’ils sont venus pour détruire ce qui est construit, on ne finira pas de reconstruire la Côte d’Ivoire.

Et l’insécurité ?

C’est inquiétant. Alassane luimême n’est pas en sécurité. Raison pour laquelle il est surveillé par l’armée française et les Forces onusiennes. Il se met en sécurité et met les Ivoiriens dans l’insécurité. Il faut donner la sécurité aux Ivoiriens. Notamment aux policiers et gendarmes. Nous ne pouvons pas comprendre qu’on puisse les désarmer. Nous devons apprendre à faire confiance à nos Forces de l’ordre. Il faut débarrasser les rues de tous ceux qui n’ont pas droit aux armes. Aujourd’hui, partout, les gens soutiennent que le temps du Président Gbagbo était le meilleur. Ça veut dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas. L’insécurité, la cherté de la vie, la débâcle de nos institutions sont très graves. Diriger,un peuple ce n’est pas seulement avec le talent d’un économiste. Pour diriger un pays, il faut être investi d’un humanisme. Nous prenons l’exemple du Président Gbagbo.

Il est d’un humanisme incroyable. La politique du Président Laurent Gbagbo prenait en compte tout le monde sans distinction d’ethnie, de religion et de région. Contrairement à Alassane dont l’entourage est composé uniquement de gens de leur ethnie et leur région. Ce n’est pas construire une Nation. C’est en tenant compte de ces facteurs que Gbagbo a mené une politique de rassemblement des Ivoiriens. Pour lui, il ne faut pas juger les gens sur la base ethnique ou religieuse. Mais sur la base des valeurs et de la compétence. C’est un humain. Et il est reconnaissant. Il n’oublie jamais ses amis. Lorsque j’étais en prison, il est le seul qui m’a rendu visite. Alors que celui pour qui j’ai été en prison n’est même pas venu me voir. Sans oublier que j’ai vendu deux de mes villas pour le défendre. Afin qu’il soit candidat. Laurent Gbagbo m’adressait régulièrement des courriers pour me demander de ne pas me suicider. Puisqu’on doit continuer la lutte. Au sortir de la prison, il m’a rendu visite à Treichville. La dimension de Gbagbo a dépassé les frontières. Il n’appartient pas à la seule Côte d’Ivoire. Encore moins au Fpi. C’est l’arc-en ciel. Dieu ne dort pas. Il ne permet pas l’injustice. Laurent Gbagbo a fait beaucoup pour les musulmans. Il a envoyé des milliers de musulmans à la Mecque pour accomplir le cinquième pilier de l’Islam. Et pourtant, il y a des gens qui se targuent d’être musulmans. Alors que leur front ne touche pas le sol. En leur temps, ils n’ont pas pu obtenir une Ambassade en Arabie Saoudite. Laurent Gbagbo n’a jamais mis un journaliste en prison. Malgré que tout ce que les journaux racontaient sur lui. Il y avait une liberté totale de la presse. Il était ouvert à toutes les critiques.

Des personnes ne comprendront pas que l’oncle maternel d’Alassane soit du côté de Gbagbo au détriment de son neveu…

Nous sommes libres de nos idées. La politique ce n’est pas du tribalisme, du régionalisme. Ce sont des idées. Nous disons haut et fort que Laurent Gbagbo ne mérite pas ce qu’on lui fait aujourd’hui. Alassane lui doit beaucoup. Notamment son retour d’exil et sa candidature. Il a fait beaucoup pour la communauté musulmane. A savoir la facilitation du pèlerinage, l’ouverture d’Ambassade en Arabie saoudite. Lorsqu’ il était au pouvoir, il était à leurs petits soins… La réconciliation ne bute pas sur les mots. Mais sur les conditions dans lesquelles, l’on veut organiser cette réconciliation. On risque de dépenser des milliards pour rien. Nous persistons et signons, il n’y aura pas de paix dans ce pays, tant qu’il y aura des prisonniers politiques. Le pouvoir d’Alassane est composé de personnes venues pour se venger. Nous pensons que l’on doit apprendre à faire la distinction entre les valeurs familiales et les valeurs républicaines. Personne ne peut nous empêcher d’avoir une opinion contraire à notre neveu. Nous ne sommes pas des béni-oui-oui. C’est une grave erreur qu’il commet en décidant de vouloir juger son bienfaiteur d’hier.

Le pouvoir soutient que la réconciliation ne doit pas se faire sans justice…

Les gens le poussent à la faute. Il lui appartient de dire aux puissances qui l’ont aidé à prendre le pouvoir qu’en Côte d’Ivoire, nous n’avons besoin de jugement, mais d’une réconciliation. Il faut qu’il arrête de mettre des peintures blanches partout. Ce n’est pas du développement. Ne semons pas les graines de la haine. Libérons tous les prisonniers politiques. Tant que le Président Gbagbo ne sera pas libre, Alassane ne pourra pas dormir sur la surveillance d’un Ivoirien. A la condition que les soldats français et les forces onusiennes restent en permanence. Tant qu’il ne libérera pas les prisonniers, les Ivoiriens à l’extérieur seront un danger. Non pas parce qu’ils ont des armes. Mais par leur aura sur la Côte d’Ivoire, ils auront une emprise sur l’ensemble des Ivoiriens. Au moindre faux pas, on risque de tomber dans une guerre civile. Pour qu’il puisse avoir la paix intérieure et dormir tranquille, Alassane doit chercher les voies et moyens pour libérer le Président Gbagbo et les autres avant d’entamer le processus de réconciliation. Comme ce qui s’est passé en Afrique du Sud et en Zambie. On a libéré tout le monde. Envoyer l’affaire devant le Tpi, c’est détruire la Côte d’Ivoire à petit feu. Alassane ne pourra pas construire la Côte d’Ivoire. C’est dans la paix des coeurs que l’économie marche. S’il refuse, il ne dirigera pas la Côte d’Ivoire.

Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que le tour des gens du Nord est arrivé?

La Côte d’Ivoire n’est pas fait de Dioula. Cette communauté représente 11% de la population. Lorsque nous entendons nos frères dire qu’ils sont au pouvoir, et qu’ils n’ont pas besoin de travailler, cela m’écoeure. Ces propos entraînent des brimades des autres ethnies. Que l’on arrête les exactions à l’encontre de certains de nos compatriotes. Il y a 60 ethnies en Côte d’Ivoire. Elles vivaient en harmonie. On voit des nominations à base ethnique. Ce n’est pas bon.

Quelles explications donnez-vous aux différents drames que vit la Côte d’Ivoire ? Notamment des accidents sur les routes, le bus qui a plongé dans la lagune ? Sans oublier plusieurs collisions de véhicules qui ont entraîné de nombreux morts ?

C’est un message que Dieu lance au pouvoir. Selon les divins Dieu est en train de parler à Alassane qui a le coeur endurci. Que si le pouvoir n’y prend garde, la Côte d’Ivoire va connaître des lendemains plus atroces. Ce n’est pas de bon augure. Ce sont des signes que les nouveaux tenants du pouvoir doivent prendre au sérieux. Raison pour laquelle, nous lui demandons de libérer le Président Gbagbo et ses camarades.

Interview réalisée par : Yacouba Gbané

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