Mamadou Koulibaly est l’une de ces personnalités politiques qu’on ne présente plus en Côte d’Ivoire. Agregé d’Economie à 27 ans, cet universitaire Dioula originaire du Nord de la Côte d’Ivoire et actuel Président de l’Assemblée nationale ivoirienne est l’un des caciques du régime défunt à Abidjan. C’est à lui d’ailleurs que sont revenues les rênes du parti présidentiel, le Front populaire ivoirien (Fpi) quelques jours après la chute de Laurent Gbagbo. Mais coup de théâtre, il démissionne avec fracas de la tête du parti et quitte le Fpi.
Mamadou Koulibaly déterminé à apporter sa pierre dans l’édification d’une nouvelle Côte d’Ivoire a porté, la semaine dernière, sur les fonts baptismaux, son propre parti politique dénommé : Lider (Liberté et Démocratie pour la République) dont il est le président. Dans cet entretien exclusif qu’il a bien voulu nous accorder, il répond à nos questions sans langue de bois et sans rien perdre de sa réputation de bouillant homme politique.
Professeur Mamadou Koulibaly, vous êtes Professeur agrégé d’économie à l’université de Cocody à Abidjan, Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, on vous présente comme un grand promoteur de la pensée libérale classique. Vous avez récemment démissionné du Front populaire ivoirien, alors que vous venez d’être porté à la tête de ce parti après la chute du régime de Laurent Gbagbo. Pourquoi cette démission ? Est-ce pour exprimer une déception personnelle ?
Merci bien pour la question. J’ai été pendant 20 ans membre du Front populaire ivoirien et ces dix dernières années, je me suis efforcé d’attirer l’attention de mes camarades sur le sens de notre combat, sur l’orientation de notre combat, sur les déviances qui étaient préjudiciables à notre ligne de conduite et à la vie des militants ; malheureusement, je n’ai pas été entendu ; j’ai même été combattu parce que revenir à la ligne originelle du Fpi gênait pas mal de monde, nous étions au pouvoir et il était question que nous puissions y rester et on ne pouvait se permettre de dévier sans conséquences. Malheureusement, les élections sont venues et m’ont donné raison. Ce qui a provoqué mon départ, est que malgré les mises en garde que j’avais pu faire à mes camarades, non seulement, on ne m’a pas écouté mais on est allé droit dans le mur. Malgré cela, j’ai essayé d’attirer leur attention sur une orientation que nous pouvions donner à l’opposition une fois que le Président Gbagbo avait été arrêté. Et là encore, je me suis retrouvé mis en minorité au sein de la haute direction du parti qui avait été décapité. Certains voulaient que nous attendions tranquillement que Laurent GBAGBO revienne de sa prison pour nous dire ce qu’il y a à faire. Et moi, je pensais que c’étaient nous les hommes et les femmes qui n’étions pas en prison qui pouvions libérer Gbagbo. Entre les deux attitudes, j’ai compris qu’il était difficile pour moi de faire comprendre ma position aux autres. Le parti avait alors trois autres têtes en plus de celle de la direction officielle que je dirigeais à Abidjan. Il y en avait une à Paris et deux à Accra. Il m’était impossible de diriger une telle machine à quatre têtes. Et comme j’avais envie de mettre une opposition forte, une opposition crédible et combative en face de Ouattara, j’ai décidé de démissionner pour créer un parti dénommé : Liberté et démocratie pour la république (Lider). C’est d’autant plus triste qu’après 20 ans, il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’un jour je serais parti du Fpi mais nous refusons de tirer les leçons de nos erreurs. Il est difficile pour moi qu’après cette crise-là, le Fpi qui a dirigé la Côte d’Ivoire pendant 10 ans, qui, pendant 10 ans, n’a fait aucun congrès de renouvellement de ses structures, pendant 10 an,s a géré une crise sans méthode, en soit arrivé à ne pas vouloir faire de bilan, tirer les leçons et construire des perspectives. Il est difficile de construire tant qu’on ne peut pas faire de bilan. Nous sommes allés aux élections sans désarmement alors que dans les accords qui conduisent à la paix, il était nécessaire de faire le désarmement ; nous y sommes allés sans réunification du pays, nous sommes allés aux élections sans qu’il y ait unicité des caisses de l’Etat de Côte d’Ivoire, nous sommes allés aux élections sans redéploiement de l’Administration officielle ; toutes ces erreurs-là ont fini par nous faire perdre les élections. Il suffisait juste que nous nous réunissions , que nous tirions les leçons, que nous présentions des excuses aux militants, que nous reconnaissions que, en tant que Direction, nous n’avons pas été à la hauteur et que les militants nous pardonnent et que nous reformulions de nouvelles orientations du parti dans un contexte d’opposition et que nous nous réengageons dans le sens de ce combat. Mes camarades ont trouvé que c’était trop demander et qu’en l’absence de Gbagbo, il n’était pas possible que nous fassions tout cela. Et pour moi, il était difficile de continuer le combat sans bilan. Je suis parti pour tenter d’organiser une opposition en face de Ouattara et c’est ce que je fais.
Vous venez de créer votre propre parti que vous avez appelé » Lider » et qui s’assigne pour mission la défense des libertés. Doit-on déduire qu’il n’y avait pas de liberté au sein du Fpi ?
Qu’est-ce qui fera la différence entre votre parti et les nombreux autres qui occupent le paysage politique ivoirien ?
Oui, il y a un peu de cela dedans. Le parti s’appelle » Lider » entendez : Liberté et démocratie pour la république. C’est un parti qui va organiser un plaidoyer en faveur des libertés individuelles, des libertés politiques, la liberté d’entreprise, la liberté de penser, la liberté de culte, de toutes les libertés pas seulement pour la classe politique mais pour tous les citoyens dans une atmosphère d’Etat de droit et pour la défense des principes de la République. Nous voulons allumer la flamme de la liberté dans le cœur des Ivoiriens pour qu’elle devienne l’esprit vital de chacun d’entre eux et qu’ainsi, ils deviennent généreux et acceptent de se supporter les uns les autres et cessent de se battre entre eux pour tout et pour rien. Au Fpi, nous avons l’habitude de défendre la liberté. Cela fait 20 ans que nous célébrions la fête de la liberté mais nous ne sommes pas arrivés à franchir le pas pour promouvoir les libertés individuelles, la liberté de contrat, la liberté d’entreprise. Nous avons souvent vu des privatisations » gré à gré » que nous avions critiquées souvent sous Ouattara quand il était Premier ministre mais une fois au pouvoir nous aurions dû, au nom de la liberté, faire des privatisations, utiliser les principes du marché par appel d’offres internationales, nous n’avons pas été capables de cela alors que c’est au nom de l’économie sociale de marché que nous avions gagné les élections de 2000. Il y a beaucoup de manquements que nous avions eus par rapport à la liberté, et Lider aimerait bien renouer avec ces principes fondamentaux de la vie démocratique, des principes qui ont justifié l’engagement de beaucoup de personnes aux côtés de Laurent Gbagbo à l’époque pour la promotion de la démocratie en Côte d’Ivoire.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous êtes parti du Fpi pour aller rejoindre vos frères du Nord ?
J’ai entendu cela mais il ne faut pas prendre ça très au sérieux. Avant même mon départ du Fpi, certaines voix du parti se plaisaient à me traiter avec les plus grossières inconvenances. Si je devrais aller rejoindre mes frères du Nord, je ne serais jamais allé militer au Fpi. Ouattara était déjà Premier ministre en Côte d’Ivoire quand j’étais jeune prof à la fac, ce n’est pas l’occasion qui a manqué pour m’attirer autour de lui. Mais la perception que j’ai de la politique n’était pas du tout la même que ce que je voyais faire. C’était dans les années 90. Malgré cela, je suis allé au Fpi. Ouattara est revenu opposant à Bédié puis à Gbagbo Laurent, je ne suis pas allé rejoindre mes frères du Nord. (…) Ceux qui disent ça sont un peu choqués de la défaite du Fpi et du Président Gbagbo et ne sont pas encore arrivés à comprendre ce qui nous est arrivé. (…) Pour ceux du Fpi même qui me regardent, j’ai jamais pensé qu’ils seraient allés jusqu’ à me le dire fortement, mais à différents moments, il m’a été rappelé que j’étais là juste pour donner une coloration nordiste à la chose qu’ils avaient, à leur pouvoir. J’ai entendu cela même à des réunions officielles. Ce sont les mêmes qui disent que Affi N’guessan qui est un Akan, est là pour donner une coloration akan au parti de l’ouest… Cela n’a jamais été ma conception. Je ne suis pas allé au Fpi parce que je cherchais à représenter un groupe ethnique au sein d’un parti. J’y suis allé parce que le Fpi avait une vision à l’époque, le Fpi avait des valeurs, le Fpi avait un idéal… Malheureusement avec la crise post-électorale, je me suis rendu compte que beaucoup était au Fpi pour des raisons tribales et n’avaient aucune conviction politique, aucune vision politique, mais ils y étaient parce qu’ils sont du village de Gbagbo, ou de la région de Gbagbo ou du département de Gbagbo… C’est d’ailleurs ce qui a perdu le Fpi.
Depuis l’arrestation du Président Laurent Gbagbo, l’avez-vous revu ?
Non. Je n’ai pas pu. J’ai essayé quand j’étais encore au Fpi. Chaque fois que j’ai eu l’occasion de parler aux autorités au pouvoir, on m’a dit qu’il fallait attendre, que c’était trop chaud pour le faire, que les procédures étant en cours qu’il fallait attendre. On me dit d’attendre. Et maintenant que je ne suis plus au Fpi peut-être qu’on ne jugera même plus utile de me laisser le rencontrer. Mais j’aimerais bien rencontrer Laurent Gbagbo pour savoir quelle est sa lecture de la situation actuelle, quels sont ses regrets, quelles sont ses analyses par rapport à tout ce qui s’est passé, lui faire part de toutes les tentatives que j’ai pu faire en son absence pour réorganiser le Fpi et de toutes mes déceptions par rapport à cette réorganisation et mes perspectives que je trace avec le nouveau parti et puis savoir ce qu’il pense de tout ça. Je continue de me battre pour pouvoir obtenir l’amélioration de ses conditions de détention et surtout un traitement digne et équitable par la justice qu’elle soit locale ou internationale, à défaut d’obtenir sa libération pure et simple. Laurent Gbagbo et les autres prisonniers de guerre de Ouattara ne doivent pas subir une vengeance justicière.
Une justice des vainqueurs. Lider s’opposera à ce type de traitement.
Un mot à l’endroit de la jeunesse africaine
Les jeunes africains devraient sortir de la désespérance et l’idée selon laquelle tout est perdu pour eux et qu’il faut aller au bout du monde là-bas chercher leur avenir. Je ne suis pas contre ceux qui vont à l’extérieur chercher leur avenir, je les encourage d’ailleurs à le faire. (…) La mondialisation et les nouvelles technologies de la communication offrent d’énormes possibilités aux jeunes mais n’en profitent vraiment que ceux qui se forment correctement dans les grandes écoles et universités du monde. Ceux qui sont mal éduqués ou pas éduqués du tout en pâtissent en général. Les jeunes Africains doivent se former car ils vivent dans un monde où leur concurrent sur le marché du travail n’est pas le voisin de classe mais de nombreux autres jeunes là-bas dans les universités américaines et chinoises et d’ailleurs dans le monde.
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