Suppression du Syndicalisme à l’école, MADAME LA MINISTRE avez-vous eu peur de toucher le douloureux furoncle ?

C’est lors d’une conférence de presse animée à son cabinet le lundi 1er Août dernier que Mme KANDIA Camara Ministre de l’Education Nationale du Gouvernement Ouattara a annoncé la suppression du syndicalisme à l’école. Cette décision intervient au moment où l’Ecole ivoirienne est en proie au plus grand malaise de son histoire avec à la clé, une année blanche universitaire garantie par la fermeture des Universités. C’est la FESCI qui est visée mais l’on n’a pris le soin de ne pas la citer. Comme si Mme la Ministre avait eu peur de toucher le furoncle dont on sait tout de même que le percer soulagerait tout le corps. Pour donner un fondement légal à sa décision, elle invoque « la loi ». « Nous avons consulté la loi qui stipule que pour participer à une activité politique ou syndicale, il faut être majeur », dit-elle. Bien entendu, un tel argumentaire est trop expéditif, trop superficiel, trop chorégraphique, trop classique pour être persuasif pour un esprit alerte et interrogateur. Car si c’est à la loi ivoirienne qu’il est fait allusion ici, un regard exploratoire bien mené suffit pour découvrir que cette décision est d’une illégalité manifeste (I) quoiqu’il serait honnête et responsable de reconnaitre qu’elle était prévisible (II).

I- UNE DECISION MANIFESTEMENT ILLEGALE:

Si nous soutenons que la décision de Mme la Ministre est manifestement illégale, ce n’est pas seulement parce que le fondement légal qu’elle invoque est inopérant (A) mais c’est aussi parce que nous sommes en présence d’une décision ministérielle qui est d’une inconstitutionnalité outrageusement frappante (B).

A/ Du caractère inopérant du fondement légal invoqué:

Quand Mme la Ministre affirme qu’elle a consulté « la loi » et que celle-ci stipule que pour mener des activités syndicales et politiques, il faut avoir 21 ans, j’ai envie de m’exclamer « de quelle loi parle-t-elle »? En effet, la gravité de la décision que Mme Kandia Camara prend mérite qu’elle énumère clairement tous les visas qui l’y fondent. Le transport de la preuve étant à la charge de celui qui l’invoque, je voudrais donc qu’il me soit autorisé de douter de l’existence d’une telle loi jusqu’à ce qu’elle soit rapportée clairement. Toutefois, au cas où ce texte existerait, la question qui se poserait alors serait la suivante: les organisations d’élèves et d’étudiants sont elles des syndicats? leurs activités sont-elles des activités syndicales? La précision est nécessaire car il ne faut pas tenir pour vérité un abus de langage unanimement admis et qui tient la FESCI et les organisations d’élèves et d’étudiants pour des syndicats. Cette question est d’autant plus centrale dans ce débat que la légalité et la légitimité de la décision ministérielle est tributaire de la réponse que l’on pourrait y apporter. Par définition, un syndicat est une organisation sociale de travailleurs organisés pour défendre leurs intérêts. Les élèves et étudiants de Côte d’Ivoire ne sont pas des travailleurs, donc leurs organisations ne sont pas des syndicats. Ce sont plutôt des associations et c’est l’Etat de Côte d’Ivoire lui même qui les considères comme telles. C’est d’ailleurs pour cela que le Ministère de l’intérieur soumet leur création et leur fonctionnement à la loi N°60-315 du 21 septembre 1960 relative aux associations. On peut admettre que la FESCI et les autres organisations ressemblent à des syndicats du point de vue de leurs activités par lesquelles elles agissent pour le bien être de leurs membres comme le font les syndicats de travailleurs; mais cela ne suffit pas pour dire qu’elles sont des syndicats. C’est exactement cette subtilité qui permet de ne pas perdre de vue que le chimpanzé n’est pas le frère du gorille même s’ils se ressemblent. Un exemple d’organisation d’élèves et étudiants qui a délibérément choisi de se constituer en syndicat c’est l’UNEF (Union Nationale des Etudiants de France) qui déclare dans l’article 1er de la Charte de Grenoble du 24 avril 1946: « l’étudiant est un jeune travailleur intellectuel ». La décision de Mme le Ministre aurait été justifiée si elle avait été prise en France, et qu’elle concernait l’UNEF.
Cependant, en dépit de son caractère hypothétique, le fondement légal brandi n’est rien à coté de l’inconstitutionnalité de la décision dont nous parlons.

B/ Une décision outrageusement inconstitutionnelle:

Le moins qu’on puisse dire en appréciant la décision d’interdire ce que Mme la Ministre a appelé « les activités syndicales et politiques à l’école », c’est qu’il s’agit d’une mesure qui viole, qui violente même la Constitution de notre pays. En sus de son préambule dans lequel elle déclare que « le peuple de Côte d’Ivoire exprime son attachement aux valeurs démocratiques reconnues à tous les peuples libres, notamment, le respect et la protection des libertés individuelles et collectives », la Constitution dispose en son article 11 que « les libertés de réunion et de manifestation sont garanties par la loi ». Si la décision de Mme la Ministre s’applique effectivement, cela signifierait que les élèves de Côte d’Ivoire n’auraient plus le droit de se réunir pour parler de leurs problèmes a fortiori de se rassembler pour réclamer leurs droits par exemple quand leurs bourses ne sont pas payées ou quand ils sont contraints de s’asseoir à même le sol pour prendre les cours. Ce serait alors une violation flagrante de la Constitution en son article 11 sus-énuméré. Les élèves de Côte d’ivoire seraient même fondés à crier à l’arnaque politique dès lors que l’Etat de Côte d’Ivoire les considère comme assez mûrs pour voter à 18 ans et moins matures pour s’organiser en toute responsabilité.
Un fâcheux paradoxe qu’il ne faut pas laisser advenir par la faute d’une décision ministérielle mal peaufinée quoique prévisible.

II- UNE DECISION POLITIQUE PREVISIBLE:

Il faut être ou bien un ivoirien désintéressé de tout ou bien un observateur politique naïf pour se laisser surprendre par la dissolution silencieuse de la FESCI (car c’est bien de cela qu’il s’agit en réalité) enclenchée par Mme la Ministre. Un non-évènement annoncé aussi bien par l’actuelle dynamique anti-LMP (A) que par l’immobilisme coupable de la FESCI elle même (B).

A/ Au regard de la dynamique anti-LMP:

Ce n’est plus un secret pour personne, le 11 avril a marqué le début du purgatoire pour la LMP et tous ses satellites. Il suffit de regarder la conduite des dossiers de l’Etat pour observer la traque systématique des partisans LMP et assimilés. On réclame la dissolution du FPI comme si l’accession au pouvoir d’un parti signifie la disparition de l’autre. Si la FESCI s’est retrouvée dans le collimateur du nouveau pouvoir , ce n’est pas seulement à cause de ses propres agissements qui la condamnent et qu’il convient de reconnaitre en toute responsabilité mais c’est aussi et surtout en représailles à son soutien déclaré et actif au camp LMP. Si la volonté de rejeter systématiquement tout ce qui pullule LMP ne téléguidait pas l’action des nouveaux dirigeants, Mme la Ministre aurait pu adosser sa décision sur une recommandation faite lors des festivités du cinquantenaire de l’indépendance organisées par la LMP elle même. Hélas! Elle ne pouvait pas voir que ce sont les jeunes de Côte d’Ivoire et avec eux la FESCI qui ont proposé que les activités syndicales soient proscrites à l’école lors du Forum du cinquantenaire pour les jeunes tenu le 23 juillet 2010 à l’ENA. Normal puisqu’en ce moment en Côte d’Ivoire tout ce qui a pour origine la LMP est déclarée mauvais d’avance.
Mais comment prendre la défense de la FESCI quand elle même semble se plaire dans un mutisme totale devenu encore plus chronique depuis le 11 avril 2011?

B/ Au regard de l’immobilisme « post 11 avril » de la FESCI:

Après le 11 avril, tout le monde savait que l’existence de la FESCI tenait à un fil à cause de certaines pratiques inscrites au passif de son passé. Son Secrétaire Général Mian Augustin a reconnu (enfin) qu’elle ne jouait plus son rôle originel et qu’elle devait être « réorientée ». Conscients de ce que cette organisation était en ballotage défavorable et qu’il était nécessaire qu’elle se repositionne dans l’opinion, les responsables de la FESCI devaient alors communiquer pour rassurer les élèves et étudiants, les parents, les autorités et l’ensemble des acteurs du système éducatif ivoirien. Mais étant donné que cette génération de Fescistes dont Mian est le leader a fait de l’insouciance et de l’inaction sa carte de visite, il n’y a rien eu. Aucune assemblée Générale, aucune réunion, aucune prise de position face aux problèmes de l’école là où les activités du FPI, persécuté comme elle, devrait la rassurer et lui permettre de faire des sorties et envoyer des signaux rassurants pour un nouveau depart. Jusqu’à une semaine après l’annonce de la décision de Mme la Ministre, aucune mouche ne vole du coté de la FESCI. C’est à croire que « y a pas l’homme pour elle » comme le dirait un DJ connu de la place.

CONCLUSION:

A l’analyse, la décision de suppression des activités des organisations d’élèves est la résultante de deux méprises faites l’une par action et l’autre par omission. La première méprise par action est commise par l’autorité émettrice de la décision qui viole la Constitution de Côte d’Ivoire. La deuxième méprise par omission est commise par la FESCI qui, depuis lors, accepte tout, même ce qui va la tuer illégalement. Ces deux méprises doivent se ressaisir, la première surtout. Mais je préfère m’adresser à la deuxième dont je me sens le plus proche. Je considère la décision de Mme la Ministre comme la dernière opportunité offerte à Mian Augustin pour poser au moins une action d’éclat avant la fin de ses 4 ans de mandat à la tête de la FESCI: je lui propose d’attaquer cette décision devant le Conseil Constitutionnel en introduisant une action en annulation fondée sur l’exception d’inconstitutionnalité. Le faisant, il aura eu le mérite de mettre le nouveau gardien de la Constitution le Professeur Francis Wodié à l’épreuve de « son indépendance », de « son objectivité » et de « la justice » dont il se réclame tant.

ARSENE TOUHO dit SENIO WARABA-DAH-DJI
Juriste Ecrivain
Ex-SG FESCI DROIT (Abidjan) 2005-2007
Auteur de Côte d’Ivoire, il faut sauver le soldat FESCI
arsene_touho@yahoo.fr

Fait à Ziguinchor le 07 Août 2011.

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