Editorial – Hermann Aboa et les pratiques ivoiriennes du journalisme

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Charles Kouassi – L’Intelligent d’Abidjan

Les associations du secteur et les confrères qui se mobilisent en sa faveur, font d’ailleurs une différence entre sa situation et celle des autres journalistes contre lesquelles sont engagées des procédures. Ces autres journalistes n’ont pas posé les actes qui leur sont reprochés dans le cadre de la pratique de leur métier de journaliste. Ils étaient des responsables administratifs ou des collaborateurs de Laurent Gbagbo. Ils sont certes, des journalistes ou des professionnels de la communication, mais cette qualité n’a pas été mise en évidence par eux, dans leurs agissements. Répétons-le donc: la place d’un journaliste n’est pas en prison. Tout comme la place d’un journaliste n’est pas un parti politique, dans les réunions et les stratégies pour garder le pouvoir ou pour défendre la patrie, la République. La crise postélectorale nous a entraînés dans la confusion et dans les amalgames. L’on a assisté à de terribles mélanges de genre. Et tout porte à croire que les bonnes leçons n’ont pas été tirées. Aujourd’hui, la pratique du journalisme en Côte d’Ivoire n’a pourtant pas encore changé. Les pratiques ivoiriennes du journalisme s’aggravent même. Les bleus sont toujours bleus. Plus que jamais, ils sont dans la provocation et l’outrance. Les verts sont toujours verts. Plus que jamais, ils jettent de l’huile sur le feu. Chacun s’en donne à cœur joie, pour chauffer les passions et attiser le feu. Pour vendre certes. Mais surtout, pour faire libérer Gbagbo, Simone et les autres détenus LMP. Pour vendre certes mais aussi, pour soutenir Ouattara, Bédié et pour aider le RHDP et le nouveau pouvoir à tenir. Est-ce cela la vocation et le rôle d’une presse ambitieuse et de journalistes professionnels? La presse mérite des ambitions plus sérieuses et d’inscrire l’entreprise de presse dans un cadre durable de rentabilité. Lorsqu’on crée une société de transport, elle n’est pas pro-Gbagbo ou pro-Ouattara. N’empêche que le promoteur reste un citoyen pouvant avoir son avis sur la gestion de la cité. Pourquoi dans le secteur de la presse en Côte d’Ivoire, les uns veulent se servir des lacunes et des manquements des autres pour justifier leurs propres lacunes et manquements? Tristes tropiques, a écrit Claude Levi-Strauss. Triste Cote d’Ivoire, dirions-nous. Il y a quelques semaines, nous avions publié un grand dossier sur la vraie maladie de la presse ivoirienne. Depuis lors, rien n’a changé. Personne ne veut changer! Les journalistes donneurs de leçons, ceux-là qui jouent les censeurs et veulent que les gouvernants performent au niveau de l’Etat de droit, et de la bonne gouvernance, ne sont pourtant pas capables de montrer l’exemple. Nous ne sommes pas éthiques! Nous ne sommes pas propres! Sous Laurent Gbagbo, la pratique ivoirienne du journalisme n’était pas juste, ni éthique. Sous Ouattara, elle ne l’est toujours pas. Rien n’a encore changé ! C’est inacceptable. Nous réitérons aux gouvernants et à Reporters Sans Frontières, un appel déjà lancé dans l’IA: puisque l’association avait conduit un monitoring durant la campagne pour la présidentielle; puisque son impartialité semble acceptable pour toutes les parties ivoiriennes qui ont eu recours à elle, hier pour les uns, et maintenant pour les autres; puisque les suspicions et les procès d’intention demeurent entre Ivoiriens d’une part et d’autre part, entre les professionnels du secteur de la presse ivoirienne, pourquoi ne pas solliciter à nouveau Reporters Sans Frontières et d’autres ONG locales ou étrangères, pour une mission d’évaluation et de monitoring sur une longue période, avec des mesures immédiates, qui pourront aider la presse ivoirienne et les médias à gagner en maturité, et à devenir plus adultes? Quand on a arrêté Hermann Aboa sans avoir réussi à améliorer le sens du respect du code de la déontologie, on n’a encore rien fait. Ce qui arrive à Hermann Aboa, ce qui est arrivé à d’autres journalistes hier, ce qui pourrait encore arriver demain, à des journalistes, en cas de changement de régime, est une ultime opportunité pour mener la réflexion et poser les bases d’une pratique du journalisme comme l’on l’enseigne dans les écoles, lors des séminaires et des rencontres entre les professionnels. Journaliste, Hermann Aboa n’est pas un citoyen au-dessus de la loi. Les journalistes ivoiriens ne sont pas au-dessus des lois. Mais, il se trouve que notre pays a voté une loi, qui interdit de conduire le journaliste dans le cadre des délits commis en relation, avec la pratique de sa profession. Dans le cas d’Hermann Aboa, cette loi doit s’appliquer en évitant de ruser, comme des juges, des procureurs et d’autres citoyens justiciables avaient tenté, il n’y a pas longtemps, en faisant requalifier en délit de droit commun, les délits de presse. Sous le régime Gbagbo, ce type d’astuces a souvent prospéré mais a été freiné par la vigilance et la mobilisation des professionnels du secteur. Cela dit, rien n’indique qu’Hermann Aboa est innocent des faits qu’on lui reproche. Il est peut-être coupable. Ou bien, il est même et plutôt innocent! Un procès peut et doit se faire. Toutefois, par respect pour la loi sur la presse, il est important que le parquet qui a engagé les poursuites, le laisse libre de ses mouvements. Bien entendu, le cas Abéhi et celui de bien d’autres en fuite, peut interpeller, tout comme la sévérité de la justice new- yorkaise à l’endroit de DSK, pour empêcher qu’il quitte les USA. La justice ivoirienne peut craindre que libre, Hermann Aboa va fuir. Mais, elle ne doit pas oublier que, c’est lui-même qui est venu se mettre dans la gueule de la justice de son pays en rentrant d’exil. Il n’a donc aucune raison de fuir à nouveau. De toutes les façons, si on accepte de rester dans le cadre du délit de presse, la détention provisoire actuelle n’est pas juste, puisqu’à terme, à l’issue de son procès, même s’il est reconnu coupable, Hermann Aboa devrait pouvoir échapper à la prison. Si les autorités politiques et judiciaires le souhaitent, elles peuvent réformer la loi actuelle sur la presse, en relation avec le futur parlement. Elles pourraient par exemple transformer en crimes imprescriptibles et conduisant en prison, certains délits de presse, eu égard à leur gravité et à la crise que nous avons vécue. Mais, pour l’heure, tel n’est pas encore le cas. La loi est dure, mais, c’est la loi. Pour conclure, nous reprenons notre plaidoyer : le temps est arrivé de tirer les leçons de la crise au niveau de la presse ivoirienne. Proche du pouvoir Gbagbo hier, dans l’opposition à Ouattara aujourd’hui; dans l’opposition à Gbagbo hier, et proche du pouvoir Ouattara aujourd’hui; la presse ivoirienne en fait voir de toutes les couleurs aux Ivoiriens, et donnent des sueurs froides aux populations. La presse et les journaux ivoiriens ne se contentent pas d’être bleus ou verts en majorité. Ils sont trop souvent noirs, alors qu’on les veut blancs ou rose. Libérons Hermann Aboa. Mais, nous n’aurions rien gagné si nous ne sortons pas nous-mêmes de la grande prison dans laquelle, nous sommes et que nous appelons pompeusement liberté. Nous-mêmes journalistes, sommes des prédateurs de la liberté de la presse, des fossoyeurs de la liberté d’expression et du débat pluriel à travers nos différents médias.

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