Source: Jeune-Afrique Par Baudelaire Mieu
Les ex-chefs rebelles se sont réparti la capitale ivoirienne comme un butin de guerre. Racket, barrages, règlements de comptes… Autant de techniques éprouvées dans le Nord depuis huit ans.
La lune de fiel a succédé très vite – en moins de trois mois – à la lune de miel dans les rapports entre la population et les chefs de guerre de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN), aujourd’hui estampillés Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Il ne se passe plus un jour sans que la presse locale ne dénonce les méfaits et exactions commis par ces hommes armés qui règnent en maîtres dans le pays. La population est fatiguée. Ceux qui ont « libéré » Abidjan de l’entêtement de Laurent Gbagbo sont à présent des « prédateurs ».
Profitant de l’affaiblissement des ex-Forces de défense et de sécurité (FDS, pro-Gbagbo), ils ont fait de la capitale économique leur butin de guerre. La ville a été « dépecée » en plusieurs zones autonomes ou encore en groupements dits tactiques. Issiaka Ouattara, alias Wattao, ex-chef d’état-major adjoint des FN, a mis sous sa coupe les très rentables quartiers sud – où sont situés le Port autonome d’Abidjan (PAA) ainsi que de nombreuses entreprises – et a élu domicile en Zone 4. Chérif Ousmane, alias Papa Guépard, commandant de zone à Bouaké (Centre), a quant à lui pris le contrôle des communes du Plateau et d’Adjamé. Il s’est d’abord installé à l’état-major des armées, au camp Gallieni, où il dormait sur un lit militaire, avant d’emménager chez l’ancien directeur du port, Marcel Gossio. Cinq autres comzones, Morou Ouattara, Koné Zakaria, Hervé Touré, Ousmane Coulibaly et Gaoussou Koné, se partagent les autres quartiers de la ville.
Voir la carte du partage d’Abidjan par les « comzones »
« Après la chute de Gbagbo, dans le chaos et le désordre qui régnaient, il fallait diviser Abidjan pour mieux le sécuriser », justifie le commandant Wattao. Sécuriser ? Cela reste à démonter. Rançonner les Abidjanais ? Certainement… De fait, devant certains commerces et administrations, les vigiles des sociétés privées de sécurité ont été remplacés par les hommes des comzones, qui perçoivent des taxes de passage. Plusieurs chefs ont mis en place des filières clandestines très organisées, qui ont permis de faire sortir du pays certains pontes de l’ex-pouvoir, ou d’assurer leur protection à Abidjan, en échange de fortes rémunérations qui oscillent entre 5 millions et 50 millions de F CFA (entre 7 600 et 76 000 euros).
« Ils font la loi et la justice à leur manière. Un comzone ne s’est même pas gêné pour ordonner à un magistrat de prendre une décision en faveur de son protégé. Il faut que ça cesse », proteste un chef d’entreprise. « Chaque comzone est à son compte et dispose de ses hommes [environ 350, NDLR] pour vivre sur la bête », dénonce un fonctionnaire. Racket, barrages, saisies de véhicules et de maisons, règlements de comptes… Les techniques ont été éprouvées dans le Nord depuis 2002. À cela s’ajoutent les bagarres et luttes de territoire entre ces armées de pillards et les « mobilisés d’Abidjan », ces milliers de volontaires qui ont pris les armes, au plus fort de la crise, au sein de milices comme le « commando invisible ».
Recyclage
Interpellés régulièrement, le président Alassane Ouattara et son Premier ministre Guillaume Soro, qui disposent d’une montagne de dossiers sur les agissements des comzones, promettent de régler le problème. Le chef du gouvernement n’a pas hésité à descendre sur le terrain pour mettre de l’ordre. En vain. En juin, Ouattara a reçu individuellement chacun des chefs de guerre. Son objectif : démanteler en douceur le système, en recyclant les comzones dans l’administration, l’armée et la sécurité privée. Une solution préconisée par le conseiller militaire français, Marc Paitier, chargé de la restructuration de l’armée. Une exception : ceux qui seront « cités » dans l’enquête de la Cour pénale internationale ou dans celle menée par les autorités ivoiriennes sur les crimes de sang. La liste pourrait être longue.
Mieu, à Abidjan
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