Dans l’intimité de Laurent Gbagbo à Korhogo – l’envoyé spécial de l’Inter raconte

L’Inter

Quatre mois après son assignation à résidence surveillée à Korhogo, comment vit l’ancien chef de l’Etat au nord, dans la cité du Poro? A la suite de nombreuses rumeurs portant sur le traitement des ex-dirigeants ivoiriens faits prisonniers à la suite de la crise post-électorale, nous avons pris notre bâton de pèlerin. Direction Korhogo. Ville où est gardé l’ex-président de la République déchu au terme des affrontements post-électoraux. Il est 8h, ce lundi 11 juillet 2011, lorsque, arrivé la veille dans la cité, nous enfourchons une mobylette pour le quartier résidentiel de Korhogo. Secteur chic où résident la plupart des nantis de la ville. Du quartier Koko où nous avons élu domicile, nous empruntons la voie qui longe le mythique bois sacré de la ville jusqu’au carrefour de la pharmacie de la mosquée où nous bifurquons par la grande mosquée, avant de longer l’établissement primaire scolaire Koko. Fait marquant, plus nous avançons, moins nous rencontrons l’ambiance que nous laissons derrière. Normal, puisque nous sommes à la lisière du quartier résidentiel, baignant ce jour dans un silence matinal laissant percevoir aisément les chants des oiseaux. Juste après l’école Koko, nous empruntons la grande voie qui longe le lycée moderne, le Cafop, la piscine municipale pour nous retrouver face à la résidence d’Etat de la capitale des Savanes. Un imposant bâtiment dont l’usure du temps commence à gagner la façade, de par la peinture de la clôture en pleine dégradation. Au sommet d’une côte, cette bâtisse remarquable est délimitée respectivement par l’Institut de formation féminine, l’école primaire Acacia, l’établissement catholique Saint Jean Bosco, pour ce qui concerne sa façade nord. Puis au sud par la Piscine municipale, le centre de traitement d’eau de la SODECI et le bureau conjoint des Nations unies; à l’Est, à l’Ouest par la résidence du gouverneur de la BCEAO locale et celle du préfet de région. Bref, une sorte de cité pour l’élite du chef-lieu de Région des savanes, bien lotie à cet endroit stratégique donnant lieu à une belle vue paranomique sur le reste de la cité. C’est bien au cœur de cette cité que se trouve la résidence présidentielle, construite par feu le président Félix Houphouët-Boigny, à l’époque de la célébration tournante des festivités de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Cette résidence, aujourd’hui, jouit d’une autre renommée. Du moins depuis la mi-avril dernier. Période depuis laquelle elle abrite un hôte de marque, non pas le chef de l’Etat en exercice, dont c’est en principe la résidence à chaque passage dans la cité du Poro, mais par son prédécesseur, l’ex-locataire du Palais d’Abidjan, Laurent Gbagbo, qui y est assigné à surveillance. En tout cas, officiellement, c’est le lieu que les nouvelles autorités indiquent être l’endroit où réside Laurent Gbagbo, arrêté le 11 avril dernier par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) aidées par les Forces impartiales, à l’issue de la crise post-électorale qui a secoué la Côte d’Ivoire pendant plus de 4 mois. 8h30, c’est l’heure à laquelle nous nous retrouvons derrière cette résidence où aucune disposition sécuritaire particulière n’est visible. Pas un soldat dans les environs. Seuls les troncs d’arbres placés sur les voies qui longent la clôture de la résidence présidentielle rappellent au visiteur qu’un dispositif sécuritaire spécial couvre les lieux. Interdit donc aux véhicules et autres engins à moteur de s’y aventurer. N’empêche, dans le silence bruyant qui nous accueille, nous apercevons des piétons qui enjambent ces troncs d’arbre, qui pour rentrer au quartier résidentiel, qui pour aller au quartier 14. Pour la plupart d’entre eux, ce sont des étudiants du Cafop, des élèves du lycée moderne ou encore ceux du collège moderne, situés à quelque 200 mètres de là. Nous contournons la résidence par le côté Est en passant devant le bureau conjoint des Nations unies pour déboucher devant la résidence. Là encore, à part une voiture de type 4X4 flanquée du sigle FRCI à côté duquel se trouvent six soldats, plus personne d’autre.

Six soldats des FRCI visibles devant la résidence présidentielle

Les soldats perchés devant la résidence devisent tranquillement. De loin, l’on peut distinguer qu’ils essaient de tuer le temps à jouer au ludo. Inutile de rester longtemps en ces lieux, pour éviter d’attirer l’attention de ces sentinelles. Nous longeons la voie juste à côté, entre la résidence présidentielle et celle du gouverneur de la BCEAO. Là se trouve un centre artisanal où des commerçants exposent fièrement les tenues traditionnelles qu’ils confectionnent en grande quantité dans l’attente d’éventuels clients. A quelques mètres d’eux, un groupe de jeunes discute passionnément. «C’est ici que se trouve celui qui a voulu tuer tous nos parents. Aujourd’hui, c’est ceux qu’il a voulu tuer qui l’hébergent», lance l’un des jeunes, sous les éclats de rire de ses camarades. Nous rebroussons chemin. Direction le quartier 14 où nous avons rendez-vous avec un élément des FRCI, bien au fait de tout ce qui se passe à l’intérieur de la résidence présidentielle. Dans un restaurant de la place, celui-ci nous fait des révélations sur le comportement de l’ancien président, ce qu’il aime manger, sa nouvelle vie. «Il est ici avec nous. Toujours chaleureux et jovial», nous lance-t-il, avant de poursuivre: «récemment, il a demandé à manger de la sauce  »tchonron et du to » (ndlr: sauce locale faite à base de feuilles et d’arachides accompagnée de la pâte de maïs). Il a aussi souhaité manger de la viande de porc. Bien sûr, on lui prépare tout ce qu’il veut. Il a à sa disposition un cuisinier, un blanchisseur et des jardiniers. Ceux-ci doivent lui donner tout ce qu’il demande». En clair, soutient notre interlocuteur, Laurent Gbagbo est bien traité comme l’a exigé le président Alassane Ouattara. Entre deux bouchées d’attiéké, notre informateur fronce les sourcils et lâche: «il a été malade et par deux fois, il a été conduit à la Pisam à Abidjan». Devant l’expression de notre visage qui, sans doute, marquait la surprise, il nous interroge: «ça t’étonne hein. Eh bien, il a été conduit à la Pisam. Je ne sais pas exactement de quoi il souffrait, mais on m’a informé qu’il avait du mal à respirer».Ce qui se racontait donc sur la présence de Gbagbo à la Pisam n’était pas de la rumeur? « Que non», rétorque notre interlocuteur. Qui continuait à nous faire des révélations sur les premiers moments de Laurent Gbagbo à la résidence: «Au début, il faut dire que ce n’était pas facile. Quand la rumeur de sa présence ici a éclaté, des jeunes se sont organisés pour aller le lyncher sous le prétexte qu’il a fait tuer leurs frères et sœurs. Il a fallu que le commandant Fofié use de tact pour les en empêcher. Pendant les deux mois qui ont suivi son arrivée ici, c’était le calvaire. Par petits groupes, des personnes voulaient pénétrer dans la résidence pour lui rendre la vie difficile». Après avoir reçu un coup de fil, notre interlocuteur jette un coup d’œil furtif autour de lui, regarde rapidement sa montre et décide de prendre congé de nous. «On s’attrape après-demain. A la même heure», nous lance-t-il, avant d’enfourcher sa moto pour une destination inconnue. 20h, nous mettons fin à une première journée pleine, qui nous aura permis d’avoir les premières nouvelles de l’illustre hôte des Korhogolais, qui ne semblent plus faire de cette présence un sujet d’intérêt.

Des pierres lancées dans la résidence

Sur le chemin de retour, nous faisons le constat que le dispositif laissé le matin n’a pas varié. Tout se passe comme s’il n’existe personne dans la résidence. Mais, il ne faut pas se tromper. Korhogo, sous le commandement du réputé chef de guerre Martin Fofié Kouakou, est l’une des rares villes en Côte d’Ivoire où depuis bientôt une décennie, l’on adopte le système de la sécurité par dissuasion. Rarement, l’on voit des hommes en tenue dans les rues. Mais, à la vérité, chacun est le policier de l’autre. Et rares sont les vols ou autres voies de fait qu’on enregistre dans cette ville où tout semble surveillé discrètement. Il en est certainement de même pour la résidence d’Etat qu’occupe Laurent Gbagbo et où le commandant du groupement tactique des lieux ne juge pas nécessaire de déployer une artillerie, conformément à sa stratégie de sécurisation, pour montrer sa présence. Sur ce dispositif, l’on en saura peu, stratégie militaire oblige. Toutefois, nos interlocuteurs ne se feront pas prier pour conter quelques pans de ce qu’ils ont vécu avec Laurent Gbagbo, depuis son arrivée dans leur cité. C’est le cas de cet élément des FRCI qui se réjouit d’avoir imposé son autorité à l’ancien président de la République. «Il y avait un problème d’électricité dans sa chambre, je suis allé voir de quoi il s’agissait. J’ai oublié de me déchausser et je suis monté sur son lit. Gbagbo m’a rabroué en me demandant de descendre du lit. J’étais tellement révolté que je lui ai demandé de ne pas me crier dessus. Je lui ai dit qu’il a fait tuer mes parents à Abidjan. Il a accusé le coup et s’est tu. Il n’a plus rien dit jusqu’à ce que je quitte la salle», nous a révélé cet élément. «Je crois qu’il mérite pire, c’est un criminel», ajoute-t-il. Son ami, à ses côtés, renchérit: «On a rarement accès à la cour. Parfois, quand on y entre, on le trouve en train de discuter avec les soldats de l’ONUCI. Il ne changera jamais ce Gbagbo. Toujours égal à lui-même!». Un commerçant de la ville nous a révélé avoir vu Gbagbo, il y a peu, à 6h du matin devant la résidence alors qu’il se rendait à Waraniéné (village des tisserands voisin) pour effectuer des achats. «Ce jour-là, je n’en revenais pas. Il avait la main à la poche et causait avec les soldats dehors», révèle-t-il. Derrière le calme apparent qui enveloppe la résidence, se cache d’énormes difficultés liées à la sécurité de l’ancien chef de l’Etat. C’est que, selon des sources bien informées, des jeunes s’approchent nuitamment de la résidence et y jettent des pierres. Ce qui empêcherait Laurent Gbagbo de bien dormir. Pour éviter qu’un jour, l’une de ses pierres lui tombe sur la tête, l’ancien président est constamment déplacé. Le jeudi 14 juillet dernier, nous avons appris qu’il est à la base de l’ONUCI au quartier Cocody. Nous y faisons un tour sans voir de disposition sécuritaire particulière. «Les jeunes vont la nuit lancer des pierres à la résidence présidentielle. Gbagbo s’est plaint de cette situation et finalement, il a été déplacé», nous a soufflé une source proche des FRCI. «Je crois qu’il se trouve toujours à la résidence. Parce qu’une fois, quand les habitants de Cocody ont appris qu’il était à la base de l’ONUCI, ils s’y sont rendus dans le but de déloger Laurent Gbagbo. On l’a ramené à la résidence présidentielle», nous confiera une autre source proche des FRCI. Nous comprenons alors que les déplacements de l’ancien président sont entourés du secret le plus absolu.

«Gbagbo, toujours égal à lui-même»

En tout cas à Korhogo, à part les lieux de vente des journaux, le cas Gbagbo est de moins en moins un sujet de discussions. Les gens se soucient plutôt de leur pitance quotidienne. «C’est quand il est arrivé ici que tout le monde en parlait. Aujourd’hui, ce n’est plus important. On a tourné la page Gbagbo», ironise Soro Rokia, une gérante de cabine téléphonique. «C’est bien qu’il soit ici. Comme ça, on l’a à l’œil», renchérit, souriant, un client. Conformément au rendez-vous dont nous convenions trois jours auparavant, le mercredi 13 juillet, notre informateur nous rappelle et nous promet de nouvelles informations. «J’ai un son pour toi. Même lieu, même heure». Nous nous rendons au quartier 14 et trouvons notre informateur assis au même endroit que la dernière fois. «On dit quoi le journaliste? Tu sais, l’audition de Laurent Gbagbo n’a pas été facile. Il s’est montré particulièrement capricieux ce jour-là. D’abord, il s’est plaint de ce que le climatiseur ne donne pas suffisamment de fraîcheur. Séance tenante, on a installé un Split. Après quoi, il a souhaité dormir avant toute audition. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le procureur s’est résigné. Ce n’est que le lendemain qu’il a été auditionné», révèle notre interlocuteur, qui poursuit: «Quand le procureur a abordé la question du recrutement des mercenaires et des miliciens, Laurent Gbagbo a tout nié en bloc, exigeant qu’on lui montre les preuves de sa culpabilité. Il a demandé qu’on lui montre un contrat de recrutement». Et notre informateur de pester contre le prédécesseur de Ouattara. «C’est vraiment un faux pion ce Gbagbo. Après avoir assumé le recrutement des mercenaires, aujourd’hui, il veut se dédouaner. Mais il n’échappera pas à la justice», commente-t-il. Avant de prendre congé de nous. «On s’appelle s’il y a du nouveau. J’oubliais, la fois dernière, Baï Patrice, emprisonné avec les militaires à la Compagnie territoriale de Korhogo, a demandé qu’on élargisse leur cellule et qu’on leur offre un peu de sucrerie», révèle notre informateur, qui a aussitôt quitté les lieux. Nous retournons ce mercredi à Koko, en passant encore devant la résidence présidentielle. Toujours rien de nouveau, le même dispositif faisant foi. Le jeudi 14 juillet, un nouveau rendez-vous pris avec un autre élément des FRCI va nous permettre d’obtenir d’autres informations. Selon ce dernier, qui nous parlait avec avec une pointe d’ironie, Laurent Gbagbo n’aurait de cesse de réclamer sa seconde épouse. «Il l’a indiqué récemment au cours d’un entretien avec une personnalité. Je ne dirai pas qui. Je ne sais pas ce que ce dernier lui a répondu, mais il avait l’air soucieux». S’il se soucie peut-être pour sa seconde épouse et ses tout derniers nés, les déboires de l’ex-chef de l’Etat ne s’arrêtent pas aux crimes que lui impute le Parquet d’Abidjan. Le père de la refondation aurait aussi à ses trousses des experts de la haute finance internationale, qui défileraient eux-aussi en sa résidence surveillée de Korhogo. «Ils veulent qu’ils leur disent où il a mis tout l’argent que son régime a volé. Plusieurs fois, j’ai aperçu dans la cour des missions diplomates», révèle un éléments des FRCI, faisant partie des commis à la surveillance de l’ex-tenant du pouvoir. Jusqu’à ce que nous quittions la ville de Korhogo, Laurent Gbagbo était annoncé tantôt à la résidence, tantôt à la base de l’ONUCI au quartier Cocody. Dans un lieu comme dans l’autre, cela en dit peu aux populations de la cité du Poro, qui ont fini par se familiariser aux rumeurs qui circulent sur le compte de l’ancien président ivoirien.
Y.DOUMBIA

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