Le désormais général de division, Soumaila Bakayoko, est le nouveau patron de l’armée ivoirienne. Il succède à Philippe Mangou, figure emblématique de l’armée sous le régime de Laurent Gbagbo. C’est finalement lui qui a été préféré à d’autres illustres officiers supérieurs dont les noms avaient circulé. Ancien chef d’état-major de l’ex-rébellion, Soumaila Bakayoko a la lourde mission de rebâtir une armée totalement déglinguée au sortir des sanglantes violences post-électorales. Mais l’homme sera-t-il à la hauteur de la mission ? En a-t-il toutes les armes nécessaires? Il semble en tout cas handicapé en bien des points. Premier handicap: le fait qu’il soit issu de l’ex-rébellion. Ancien commandant du Génie militaire à Bouaké avant de basculer dans la rébellion survenue en septembre 2002, le nouveau Cema a dirigé les Forces armées des forces nouvelles (Fafn) durant près d’une décennie. Il est apparu au grand jour lors des négociations de Lomé aux côtés de Guillaume Soro, alors secrétaire général des Forces nouvelles. C’est une armée composée en majorité de ses hommes qui a livré la bataille ayant abouti à la chute de l’ancien chef de l’Etat, Laurent Gbagbo. A ce titre, Soumaila Bakayoko apparaît aux yeux des rescapés des ex-Forces de défense et de sécurité (Fds), et même d’une partie de l’opinion, comme le patron de l’armée des vainqueurs, mieux de l’ex-rébellion venue du Nord. Une image qui pourrait compliquer sa mission de restauration de la confiance entre les entités à fusionner en vue de bâtir la nouvelle armée. Réussira-t-il à faire tomber la frontière entre ex-Fafn et ex-Fds tant qu’il sera perçu par les seconds comme l’icône des soudards qui ont eu raison de l’ex-armée régulière ? C’est là un handicap psychologique non négligeable. Deuxième faiblesse du nouveau Cema: le peu d’emprise qu’il a sur les »com’zones », ces puissants chefs de guerre à l’origine de la rébellion de 2002. Comment réussira-t-il aujourd’hui à faire rentrer dans les rangs les Chérif Ousmane, Wattao, Morou, Zakaria, Jah Gao, Ben Laden, Loss, Vetcho, qui régnaient en maître sur le Nord de la Côte d’Ivoire au point de laisser penser qu’ils recevaient leurs ordres d’ailleurs, plutôt que de leur chef-d’état-major Bakayoko ? A l’époque déjà, le chef d’état-major adjoint, Issiaka Ouattara dit Wattao s’affichait comme le véritable n°1 des ex-Fafn, vu qu’il était en première ligne chaque fois que des bruits de botte se faisaient entendre dans la zone ex-assiégée ? Bakayoko aura-t-il assez de poigne pour rappeler à l’ordre ces chefs de guerre qui se sont enrichis dans le Nord et sont tout à la fois respectés par le gros de la troupe ? Aura-t-il assez de cran pour s’imposer à cette armée mexicaine constituée de chefs de guerre embourgeoisés, dont certains se sont partagés d’autorité Abidjan ? De bonne source, certains d’entre eux seraient réticents à sortir de l’armée pour une retraite dorée à l’extérieur. Par ailleurs, d’aucuns voient comme un handicap psychologique le fait que celui qui est appelé à diriger les militaires soit issu du Génie militaire. Le général Bakayoko serait plus aguerri de ce fait dans les questions de construction que dans les métiers de la guerre. Et ce n’est pas forcément un avantage dans une armée à vocation offensive en ces moments post-électoraux pleins d’incertitudes. Mais le nouveau Cema a des atouts qui devraient lui permettre de bien tenir sa troupe. Rebâtir une armée, qui mieux qu’un »maçon » peut y parvenir ? Et c’est ici que l’expertise du génie militaire qu’est le chef d’état-major a tout son intérêt. En le nommant à la tête de l’armée, Alassane Ouattara a voulu donner un signal fort, à savoir que l’armée doit désormais se mettre au service du développement, de la reconstruction du pays. Par ailleurs, le nouveau Cema connaît bien les chefs de guerre, certaines têtes fortes des ex-Fds et a suivi de bout en bout les travaux préparatoires à la nouvelle armée, ce qui devrait constituer un atout. Toutefois sa mission, comme du reste celle des autres chefs de commandement, ne s’annonce pas de tout repos. Il faudra dans les semaines et mois à venir mettre de l’ordre au sein des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), qui évoluaient jusque-là sans boussole. Bakayoko aura la lourde responsabilité de renvoyer à leurs occupations d’avant la guerre, tous ces gens en armes qui paradent encore dans les rues et commissariats et qui ne figurent pas au nombre des 11 000 soldats ex-Fafn et volontaires devant intégrer l’armée. Il lui faudra également restaurer la chaîne de commandement brisée à la faveur de la guerre en amenant tous ses hommes, y compris les chefs de guerre, au respect de la nouvelle hiérarchie militaire. Last but not least: les nouveaux promus se doivent de garantir l’intégrité de l’Etat en parant à toute velléité de déstabilisation dans un pays, dont une bonne frange de soldats et officiers supérieurs sont dans la nature. La mission, on le voit, s’annonce herculéenne.
Assane NIADA
L’Inter
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