Côte-d’Ivoire, la gratuité des soins – le calvaire des malades

Photo MSF

La semaine dernière, j’ai été touché par le cri de cœur de certains malades face aux difficultés qu’ils rencontrent dans nos centres de santé en cette période de gratuité des soins. Ils ont l’impression d’avoir été trompés par la politique de gratuité des soins du président de la république Alassane OUATTARA.
Cette gratuité qui devait permettre à plus de 70% de notre population pauvre de bénéficier des soins de bonne qualité sans avoir à débourser de l’argent directement fait maintenant peur aux malades.
Ce qui à mon avis, risque de porter atteinte à la politique générale de lutte contre la pauvreté en santé qui devait en principe régler les problèmes d’équité d’accès aux soins et d’égalité de niveau de bonne santé au sein de la population .
Tous les malades sont unanimes sur le fait qu’en cette période de gratuité, ils dépensent plus dans nos hôpitaux publics qu’avant. Tout ceci pour dire que la gratuité des soins telle qu’elle est appliquée fait trop dépenser les malades, si bien qu’ils commencent encore à fuir nos hôpitaux.
Mais comment la gratuité des soins peut- elle encore appauvrir nos malades ?
Pour avoir un élément de réponse à cette question, j’ai essayé avec des amis de suivre le parcours de certains demandeurs de soins dans quelques centres de santé et nous avons fait le constat suivant :

• Les frais de consultations et d’hospitalisations sont effectivement gratuits.
• Les pharmacies sont presque vides avec des kits incomplets.
• Les services de radiologie sont encore en panne.
• Les services de laboratoires publics ne travaillent plus.
• Certains hôpitaux ont fermé leur bloc opératoire.
• Les services publics de réanimation n’existent que de nom.

Devant ces désagréments, les malades qui courent vers nos centres dans l’espoir d’être pris en charge gratuitement, sont désagréablement surpris et confrontés à des dépenses imprévues qui sont :

1. Le coût de transport.
C’est un grand parcours de combattants pour avoir de la place dans nos hôpitaux ou pour trouver un bloc opératoire fonctionnel. Nous avons vu des déplacements des demandeurs de soins à travers la ville d’Abidjan à la quête d’un centre adapté à leurs besoins médicaux. Les personnes les plus concernées dans ce cas sont en général les femmes enceintes en travail nécessitant une césarienne d’urgence. Ces tristes cas ont été observés devant les salles d’accouchement des CHU de Cocody et Yopougon cette semaine où des femmes avec leur douleur ont été priées d’aller voir ailleurs….. sûrement dans une clinique de la place. Sans oublier aussi que des parents se déplacent avec leurs ordonnances médicales à travers la ville à la recherche d’une pharmacie privée de garde.
Tous ces déplacements engendrent des coûts de transport inattendus variant de 5.000 Frs à 20.000 Frs par jour.

2. Le coût des médicaments
Les pharmacies des hôpitaux sont vides, il m’a été donné de constater le manque de simples compresses et de solutés dans les CHU d’ Abidjan et même dans certains centres de santé de l’intérieur du pays. Tous les patients sont alors obligés d’aller acheter leurs produits (s’ils n’ont pas été accostés à la sortie par certains agents affairistes pour leur proposer ces mêmes produits) dans les pharmacies privées où les prix sont environ deux à trois fois plus élevés que ceux des pharmacies de la santé publique. Le coût de ces dépenses peut varier de 20.000 Fr à 40.000 Fr par jour.

3. Le coût des examens biologiques.
Les examens biologiques dans nos CHU sont faits par des laboratoires privés installés dans ces mêmes locaux. Au nom d’un partenariat public- privé inutile et douteux, ces laboratoires exploitent sans remords les pauvres malades dans nos hôpitaux publics en pleine période de gratuité. Ces coûts peuvent varier de 10.000Fr à 30.000 Fr par jour.

4. Le coût des examens radiologiques, Echographie et Scanner.
Tous les actes radiologiques sont peut- être interdits dans nos centres de santé publiques depuis le lancement de la gratuité. Les malades sont obligés de se diriger vers les centres privés de radiologie où ils auront 100% de chance de croiser les mêmes agents de l’état en pleine activité dans ces structures. Les coûts de ces actes varient de 10.000 Fr à 80.000 Fr.
5. Le coût du stress
Les difficultés à trouver un centre approprié avec des agents en place, des médicaments et surtout avoir de l’argent liquide créent chez nos demandeurs de soins et leurs accompagnateurs des stress énormes, pouvant entrainer d’autres pathologies. Ce coût capital est inestimable.

Ainsi, quand on fait une étude des coûts, on est en droit d’affirmer aujourd’hui, que la gratuité des soins telle qu’elle est faite, engendre trop de dépenses chez les malades comparativement à la période du paiement à l’acte où tous les services étaient fonctionnels.
Au vu de tous ces arguments, les malades ont totalement raison de grogner et de s’inquiéter pour l’avenir car ce n’est pas cette gratuité des soins que le président OUATARRA leur avait promis et pour laquelle il n’hésite pas à dégager des moyens colossaux surtout en cette période de difficultés financières afin de soulager ses compatriotes.
La gratuité des soins actuelle dans nos centres de santé n’est pas celle que nous avions pensée et voulue pour nos populations, elle me paraît évidement comme un sabotage de la vision sociale en santé du président OUATARRA par les affairistes en santé et biens d’autres……
La volonté politique de réaliser cette opération y est mais elle me semble, être contrariée par la volonté technique, ce pourquoi la gratuité risque de ne pas connaitre de succès dans son application. L’état fera des fortes dépenses en santé pour rien et la population ne verra aucun changement.
Il nous faut alors, comme je l’ai dis dans mes articles précédents, créer une structure autonome de gestion de la gratuité des soins qui boostera la volonté technique sinon, nous aurons à conduire non seulement les malades vers l’abattoir mais aussi à exposer quotidiennement la vie de certains de nos personnels de santé consciencieux.
La volonté du président de la république son Excellence Alassane Dramane OUATARRA, c’est la gratuité des soins dans les structures d’Etat, c’est un devoir de l’appliquer au nom de la république et au nom de nos engagements vis à vis du peuple qui a tant souffert.
Que DIEU protège la gratuité des soins.

Docteur Mamadou DIOMANDE
Médecin- Economiste santé et développement
dr_diomande@yahoo.fr
dirrylucky@yahoo.fr

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