La lourde addition pour la France de la guerre en Libye

GENERAL PALASSET ex-COMMANDANT LICORNE

BRUNO FANUCCHI – Le parisien.fr

Plus de 87 M millions d’Euros: c’est ce qu’a déjà coûté à la France l’intervention militaire en Libye lancée il y a trois mois. Et les responsables militaires craignent que cette opération « dure plus longtemps que prévu ».

Avec 4000 hommes déjà déployés en Afghanistan, où un 62e soldat a été tué samedi, la France a-t-elle les moyens de participer simultanément à plusieurs guerres? Trois mois après le déclenchement, le 19 mars — alors que Kadhafi faisait bombarder son propre peuple — des frappes aériennes en Libye, la question se pose vraiment.

Certes, l’armée de l’air française a prouvé qu’elle avait la capacité, avec ses Rafale, d’« entrer en premier », comme s’en félicite son chef d’état-major, le général Paloméros. Mais tous les responsables militaires à Paris s’accordent pour reconnaître que cette opération libyenne « dure plus longtemps qu’initialement prévu ». Le colonel Kadhafi, qui fait le gros dos en appliquant la « stratégie du bunker », n’est pas encore vaincu… même si ses forces ont été très sérieusement endommagées. La France a-t-elle donc les moyens humains, matériels et surtout financiers de faire face à une guerre qui se prolongerait au-delà de l’été? Au risque de compromettre gravement les capacités opérationnelles de l’aviation et de l’aéronavale.

Des soldats sur tous les terrains

Le coût humain tout d’abord. Si la France a eu — en près de dix ans de guerre en Afghanistan — 62 morts et 476 blessés, elle n’a subi jusqu’à présent aucune victime en trois mois d’engagement militaire en Méditerranée et dans le ciel libyen. Entre le groupe aéronaval constitué autour du porte-avions « Charles de Gaulle » et le BPC (bâtiment de projection et de commandement) « Tonnerre », qui transporte des hélicoptères, et les pilotes de l’armée de l’air mobilisés sur la base de Solenzara (en Corse) ou à La Sude (en Crète), près de 4000 militaires français participent aujourd’hui à l’opération Harmattan. Les chefs d’état-major de l’air comme de la marine tirent cependant la sonnette d’alarme : si la guerre se prolonge encore plus que de raison, ils auront rapidement des problèmes de « ressources humaines » et de « régénération des forces et du matériel ».

Un matériel parfois à bout de souffle

« La crise libyenne a eu le bon goût d’arriver en début d’année », mais dans cette opération Harmattan « nous sommes en train de bouffer le potentiel » de la Royale, observe ainsi l’amiral Forissier, chef d’état-major de la marine. Exemple, le porte-avions « Charles de Gaulle », à peine rentré d’une mission de plus de quatre mois dans l’océan Indien au large de l’Afghanistan, est reparti au premier coup de sifflet pour la Libye. Le porte-avions, rappelle l’amiral, « entame son huitième mois de mer » depuis un an et ne sera plus du tout opérationnel en 2012 s’il n’est pas rentré à Toulon, son port d’attache, avant la fin de l’été. C’est peu dire que les propos de ce chef militaire ont fait des vagues!

Il en va de même des hélicoptères qui sont déjà très largement mis à contribution sur des théâtres d’opérations difficiles comme en Afghanistan (13 machines), en Côte d’Ivoire récemment et, depuis deux semaines désormais, en Libye avec 18 machines sur le « Tonnerre » et une dizaine d’autres sur le groupe aéronaval depuis trois mois.

L’armée de terre qui, à l’exception des hélicos de l’Alat (son aviation légère), n’est pas engagée en Libye n’est cependant pas en reste. Elle a actuellement quelque 1800 véhicules en « opex » (opération extérieure) en Afghanistan, au Liban, au Tchad, en Côte d’Ivoire, Somalie et ailleurs. Dont un millier de blindés, parmi lesquels 800 VAB (véhicule de l’avant blindé) sont à bout de souffle et commencent à être remplacés petit à petit par des VBCI (véhicule blindé de combat d’infanterie) faisant leur apparition en Afghanistan.

Un surcoût financier considérable

L’argent, dit-on couramment, est le nerf de la guerre. Mais c’est justement lui qui risque de faire défaut rapidement car tout nouvel engagement militaire coûte cher à la nation. « Le coût journalier de l’opération Harmattan est estimé à un peu plus d’un million d’euros par jour. Le surcoût de la guerre en Libye, lié à la consommation des munitions et à la solde opex (NDLR : supérieure à la normale) attribuée à tous nos personnels projetés en Méditerranée ou à l’étranger, est déjà de 87 M€ en 80 jours d’opération », explique le général Pontiès, porte-parole adjoint de la Défense. L’officier dispose des dernières évaluations en la matière, arrêtées il y a déjà une dizaine de jours.

Un surcoût d’autant plus difficile à assumer que l’Afghanistan coûte lui aussi déjà plus d’un million d’euros par jour aux contribuables français. Et ce surcoût devrait aller en augmentant avec la montée en puissance des forces françaises au large de la Libye. S’il n’y a pas de problèmes de munitions, certaines d’entre elles, qui ont été expérimentées pour la première fois, coûtent très cher. A l’instar du missile air-sol de dernière génération Scalp, dont le coût unitaire est évalué entre 500000 et 800000 € et dont onze exemplaires ont déjà été tirés contre les forces de Kadhafi. Autre indicatif, une heure de vol d’un Rafale est de l’ordre de 13 000 €. Au total, l’addition est plus que salée.

Le Parisien

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