(Slate) – L’Asie avait ses dragons, l’Afrique émergente a désormais ses lions. Pour 2011, les deux champions de la croissance sont le Ghana (+12%) et l’Ethiopie (+10%). De quoi faire pâlir d’envie les pays francophones.
Le Ghana a le miracle modeste. Le pays de l’ex-leader panafricaniste Kwame Nkrumah ne fait guère parler de lui dans la rubrique des conflits, famines et autres catastrophes. Et la presse francophone l’ignore injustement pour se focaliser sur le voisin ivoirien, beaucoup plus turbulent.
Dommage, car le Ghana est le champion africain de la croissance pour 2011, selon les toutes dernières prévisions de la Banque africaine de développement (BAD) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’ancien prestigieux royaume ashanti va doubler la croissance de son produit intérieur brut (PIB) en seulement un an, passant de +5,9% en 2010 à +12% en 2011 grâce au pétrole.
La Banque mondiale est même encore plus optimiste, tablant sur un PIB en hausse de 13,4%. En comparaison, la croissance du PIB de l’Afrique de l’Ouest pour 2011 est de 5,9% et celle de l’ensemble du continent de seulement 3,7%.
Le Ghana est en pleine phase de décollage : entre 1993 et 2006, la taille de son économie a triplé. Et grâce au démarrage de la production de pétrole à grande échelle en décembre 2010, le décollage prend des allures de véritable miracle. D’autant plus que les bases sont solides :
« La stabilité sociale et l’enracinement croissant de la démocratie dans le pays ont contribué à renforcer la confiance des investisseurs, ce qui s’est traduit par une recrudescence des opérations », selon le rapport.
Une « nation industrielle moderne »
Le président John Atta Mills, d’une grande discrétion sur la scène internationale contrairement, par exemple, à son homologue sénégalais Abdoulaye Wade, se concentre sur son pays, qu’il veut transformer en « nation industrielle moderne ».
La production de pétrole est actuellement d’environ 80.000 barils par jour et devrait atteindre les 120.000 barils/jour dès le mois d’août. Des nouveaux gisements ont récemment été découverts et les autorités comptent ouvrir une deuxième raffinerie. Le grand port de Takoradi, situé près de zones d’exploitation (toutes offshore), change à toute vitesse, avec de luxueuses villas qui poussent comme des champignons.
Bref, les pétrodollars coulent à flot. Mais la chance du Ghana, c’est que le pays n’a pas attendu l’« or noir » pour enclencher son décollage économique et peut ainsi éviter les travers que connaît le Nigeria ou le Gabon, où les pétrodollars ne profitent guère à la population et sont captés par des élites peu scrupuleuses.
Le pays de Nkrumah, 24 millions d’habitants, est en effet le deuxième producteur d’or du continent après l’Afrique du Sud, et le deuxième exportateur mondial de cacao, derrière son voisin ivoirien. Pour le Ghana, le pétrole est un moteur de plus à son économie —mais pas l’unique. Le président Barack Obama ne s’y est pas trompé : il avait réservé au Ghana en juillet 2009 son premier voyage en Afrique subsaharienne.
Mais la comparaison avec la Côte d’Ivoire, qui sort avec peine d’une décennie de crise politico-militaire, n’est vraiment pas avantageuse pour Abidjan. Si le pays d’Alassane Ouattara est resté leader sur le marché du cacao —demeurant le pays le plus riche de l’Afrique de l’Ouest francophone— les indicateurs pour 2011 sont diamétralement opposés : croissance de 12% pour Accra (capitale ghanéenne), récession de plus de 7% pour Abidjan. Soit près de 20 points de différence entre les deux voisins…
La famine de 1984
Cap à l’Est, avec l’autre champion 2011 de la croissance : l’Ethiopie.
Comparer l’ancien royaume abyssin à un « dragon asiatique » peut paraître plus qu’osé tant les préjugés sont forts à l’égard de ce pays de la Corne de l’Afrique. En Occident, les images de la terrible famine de 1984 et de l’élan de solidarité mondiale qu’elle a suscitée sont toujours dans les esprits. Et aujourd’hui encore, la situation nutritionnelle est grave pour des millions d’habitants. La grande pauvreté reste enkystée dans de nombreuses régions, dans de nombreux villages et quartiers : 40% des près de 90 millions d’habitants vivent —ou plutôt survivent— avec 1,25 dollar par jour (0,86 euro).
Mais l’Ethiopie ne se résume pas à ces clichés misérabilistes. Lorsqu’on arrive dans l’immense aéroport d’Addis Abeba (capitale de l’Union africaine), qu’on emprunte des avenues plus larges que les Champs-Elysées à Paris, que des nouveaux bâtiments de béton et de verre défilent devant soi, on se dit que ce pays, qui selon les projections comptera en 2050 170 millions d’âmes, voit grand, très grand.
Depuis 2004, soit 20 ans après la grande famine et ses millions de morts, la croissance économique en Ethiopie oscille entre 8,8% (en 2010) et 12,6% (en 2005). Et selon le rapport BAD-OCDE, elle devrait s’élever à 10% en 2011 —la deuxième plus forte sur le continent, bien au-dessus de celle de l’Afrique de l’Est (6,7%). Les Chinois déjà présents
Si l’Occident a du mal à imaginer qu’on puisse faire du business dans un pays ayant connu une si grave famine, les Chinois ne font pas autant de précautions :
« La Chine est actuellement la principale destination des exportations éthiopiennes, position à laquelle elle a supplanté l’Allemagne. C’est également la première source d’importations pour l’Éthiopie, alors que c’était auparavant l’Arabie saoudite », indique le rapport.
Les échanges (importations et exportations) entre les deux pays ont été multipliés par dix en moins de huit ans, passant de 100 millions de dollars en 2002 à plus de 700 millions en 2006 (les exportations éthiopiennes dépassant alors les 120 millions), et à plus d’un milliard de dollars en 2009/2010. A Addis Abeba, la « ChinAfrique » est désormais une réalité, et tant pis pour les Occidentaux trop frileux.
Les Chinois sont présents dans de nombreux secteurs, du bâtiment aux routes, mais aussi dans les télécommunications et la production d’électricité. Ce dernier secteur est stratégique pour permettre à un pays de décoller économiquement, et la pénurie d’électricité, en Afrique, constitue un des principaux freins à la croissance.
« Actuellement, les entreprises chinoises prennent part à la quasi-totalité des projets de production électrique » en Ethiopie, souligne le rapport.
Mais le barrage Gibe III, le deuxième plus important barrage hydroélectrique du continent, financé par les Chinois, est très critiqué par les organisations de la société civile et les écologistes ainsi que par les Etats voisins, qui craignent qu’Addis Abeba s’approprie des eaux bien utiles chez eux.
Un parti unique de facto
Cette percée chinoise dans un pays allié des Etats-Unis, notamment dans la lutte contre le terrorisme dans la Corne de l’Afrique, est regardée avec attention à Washington.
Sur le plan des libertés, l’Ethiopie n’est pas le Ghana. Le Premier ministre Meles Zenawi est au pouvoir depuis 1991 et laisse peu de place à ses opposants : le Parlement est dominé à 99% par le parti au pouvoir —un score à la soviétique qui laisse songeur sur les progrès restant encore à accomplir.
Mais, si vingt ans après le vent de démocratisation qui a soufflé sur l’Afrique et six mois après les printemps arabes, Addis Abeba vit toujours sous la férule d’un parti unique de facto, ce ne sont pas ses nouveaux partenaires chinois qui lui en feront le reproche. Et aux Etats-Unis comme en Europe, les pressions sont modérées : la stabilité avant tout.
Les ex-rebelles ayant renversé en 1991 le régime militaro-marxiste de Mengistu sont toujours solidement accrochés au pouvoir. Et pour l’instant, le modèle chinois (croissance économique et parti unique) leur convient très bien.
Adrien Hart
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