Pris entre le bouclage de son journal et les rendez-vous professionnels, Alafé Wakili, patron de presse, accepte d’échanger avec nous ce vendredi 27 mai 2011 à son bureau d’Angré. S’il dit n’avoir aucune ambition quant à diriger une organisation professionnelle, Alafé plaide pour une meilleure pratique du journalisme en Côte d’Ivoire
Vous aviez eu pour ambition de diriger l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (Unjci). Malheureusement, vous avez été freiné dans votre élan. Aujourd’hui, n’envisagez-vous pas de prendre la tête de l’Unjci. Quelles sont vos visées ?
Alafé Wakili: Moi je n’ai pas de visées, non je n’en ai aucune. J’avais approché des amis, il y a deux ans, et ils m’avaient soutenu pour la présidence de l’Unjci. Ceux-là m’ont recontacté, mais je leur dis que cela ne m’intéressait pas.
Pourquoi cela ne vous intéresse plus ?
A.W: J’estime que le pouvoir ayant changé de main, j’ai aussi changé d’avis parce que c’est pendant que l’ancien régime était en place que je voulais diriger l’Unjci. C’était cela mon défi. C’est à dire présider cette union sous l’ancien régime. Aujourd’hui, on peut penser que je pourrai être le président de l’Unjci facilement, mais je n’ai pas envie de diriger les journalistes facilement. Je voulais une vraie compétition, un vrai débat.
Et si vos amis insistent pour que vous dirigiez l’Unjci ?
A.W: Je vais résister et je vais dire non. Je pense que quand on veut quelqu’un pour diriger une organisation, on se donne les moyens de le vouloir (rire)
Et le Groupement des éditeurs de presse de Côte d’Ivoire (Gepci), il ne vous intéresse pas non plus ?
A.W: (Rire) Il y a deux ans mes amis n’avaient vraiment pas besoin de moi à la tête de l’Unjci. Je ne suis pas Alassane Ouattara, mais ceux qui voulaient de lui à la tête de la Côte d’Ivoire se sont battus pour le voter et l’installer au pouvoir. Alors je crois que l’Unjci peut évoluer sans moi.
Avez-vous pensé à un complot contre votre personne à partir du moment où votre candidature a coïncidé avec vos ennuis avec la Justice ?
A.W: Mais quand on est dans une organisation, il faut résister au complot. Tout le monde doit résister au complot. (Il prend un air plus sérieux: Ndlr). Je dis cela pour rire mais je ne reproche rien à personne
Et le Gepci ?
A.W: Je suis membre du Gepci, je suis dans le conseil. Le président actuel a un mandat, il le poursuit.
Et si à ce niveau vos amis insistaient pour que vous en soyez le président ?
A.W: Je ne suis pas demandeur (éclat de rire : Ndlr)
Quelle leçon la presse doit-elle tirer de la crise post-électorale ?
A.W: La presse a été un instrument et un enjeu de la bataille politique que nous avons vécue. Aujourd’hui, les choses semblent se normaliser. Tout ce que cela m’inspire, c’est qu’en tant que professionnels, nous devons mener la réflexion sur comment nous devons avoir la meilleure pratique de notre métier. Il est vrai, nous avions dans le milieu engagé la réflexion, mais il faut la poursuivre. Est-ce normal de traquer les journalistes parce qu’on a changé de régime politique. Il ne faut pas oublier que les problèmes d’aujourd’hui ont été créés hier. Ce n’est pas non plus parce qu’un régime est en difficulté qu’on doit traquer des journalistes. Ce n’est parce que quelqu’un doit arriver au pouvoir qu’il doit utiliser les journalistes, ou que les journalistes eux-mêmes doivent se laisser utiliser. Un journaliste doit rester journaliste. Si on ne parle pas de médecins pro-Gbagbo ni de médecins pro-Ouattara, pourquoi il y aurait des journalistes pro-Gbagbo et des journalistes pro-Ouattara ? Notre métier a ses règles, et il faut l’exercer en fonction de ces règles. Pour moi, la leçon que nous devons tirer c’est cela. Pour que nous puissions nous protéger et protéger notre profession, afin que nous nous fassions respecter. Aujourd’hui, nous nous battons en Afrique pour prôner la démocratie. On a refusé à l’époque qu’on parle de journalisme de développement au temps du parti unique ; tout comme, dans un passé récent, Laurent Gbagbo et ses camarades du Fpi ont combattu le parti unique et la démocratie à l’ivoirienne. Aujourd’hui, il s’agit de pratiquer la démocratie universelle. Mais quand on arrive, en Côte d’Ivoire à un tel niveau, on ne doit pas encourager une pratique du journalisme à l’ivoirienne. Si on admet que ce n’est pas possible de pratiquer du journalisme à l’ivoirienne, alors interrogeons nous parce que quand de nombreux confrères éprouvent en ce moment des difficultés, il faut absolument mener une réflexion sur la pratique de notre métier.
Pensez-vous à une part de responsabilité des journalistes dans l’aggravation de la crise politique en Côte d’Ivoire ?
A.W: Bien sûr, les journalistes ont une part de responsabilité dans la crise politique tout comme les politiques qui eux ont une plus grande part de responsabilité. On peut être partisan et avoir ses convictions politiques. Mais à partir du moment où on revendique la qualité de journaliste, on doit mettre en avant les règles de la profession, en privilégiant l’essentiel. Mais quand le militantisme prend le dessus, évidemment cela conduit à des dérives. Si nous acceptons de prendre nos responsabilités, si nous sommes capables de dire non à des dérives et à des excès, je crois que nous pouvons sauver beaucoup de choses. Notre profession, notre pays, c’est cela le véritable enjeu.
Quelle pourrait être, selon vous, la contribution de la presse à la réconciliation nationale ?
A.W: La presse ne pourra contribuer efficacement à la réconciliation nationale, que si elle tire les leçons de ce qui s’est passé. Peut-être devons-nous comprendre que nous n’avons pas été à la hauteur des attentes. Notre métier nous accorde des privilèges et de la considération. Il nous appartient de ne pas en abuser et de profiter plutôt des avantages que nous offre la loi pour mieux pratiquer notre profession. Cela exige du devoir et de la responsabilité. Vous savez que nous journalistes nous pouvons tout écrire sans courir le risque d’aller en prison, contrairement aux médecins, aux magistrats, aux politiques qui peuvent aller en prison s’ils venaient à commettre une gaffe. Sachant que la loi accorde ce privilège aux journalistes beaucoup se cachent derrière les journalistes, pour régler des comptes en manipulant les journalistes. Tirons le meilleur profit de l’avantage de la loi puisque nous sommes dans une sorte d’impunité qui appelle de notre part du sérieux et non des abus.
Partagez-vous l’avis selon lequel il y a aujourd’hui une perte de confiance entre les lecteurs et les journalistes vu qu’aujourd’hui le lectorat a considérablement baissé, ainsi que le démontrent les chiffres de vente ?
A.W: Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. Mais il ne faut pas perdre de vue les problèmes structurels et conjoncturels que vit la presse ivoirienne. Au temps du parti unique, nous avions deux ou trois journaux qui tiraient, chacun, à plus de cent mille exemplaires. Et la population n’était pas aussi nombreuse que maintenant. Quand vous regardez l’ensemble des journaux, l’offre est variée, mais les chiffres de vente ont baissé. Toutefois, il n’y a pas à désespérer totalement même si l’environnement de la presse est très concurrentiel aujourd’hui. Vous avez la télévision dans tous les foyers, il y a plusieurs possibilités d’évasion. Il y a vingt ans, les gens ne sortaient pas beaucoup comme maintenant et il n’y avait pas Internet. Et comme il y avait moins de loisirs, on lisait beaucoup. En dehors de quelques pays comme le Nigéria, l’Égypte ou l’Afrique du Sud, vous verrez qu’en Afrique, de façon générale, le nombre de tirage est pratiquement identique. A mon avis, les choses ne sont pas alarmantes. Nous pouvons relever les défis qui se dressent devant nous en faisons simplement une relecture de l’approche que nous ferons de notre métier. Si nous redevenons exigeants avec nous-mêmes dans la pratique du journalisme et si nous relevons le niveau vis-à-vis de nos lecteurs, en faisons des efforts et en ayant plus d’imagination, c’est vrai que tout le monde ne pourra pas tenir le rythme, il est possible d’améliorer la demande et d’augmenter ainsi l’offre. Bien sûr en produisant des journaux de qualité et en restant dans les schémas d’une nouvelle restructuration
Quelle analyse faites-vous des déclarations récentes des structures de protection des journalistes, notamment le comité international de protection des journalistes suite à la mort du journaliste Sylvain Gagneteau et suite aux casses des stations de radio, et selon lesquelles la liberté de la presse n’est pas autorisée en Côte d’Ivoire ?
A.W: Ces structures sont dans leur rôle. Et leurs déclarations devraient être écoutées par les gouvernants comme aurait dû les écouter le gouvernement déchu quand des rédactions étaient fermées, quand des journalistes étaient traqués. Tout cela aurait dû être dénoncé. Si ces structures avaient été écoutées, ça nous aurait mieux protégé hier et protègerait mieux les gens aujourd’hui. Hier elles ont été taxées de faire le jeu de Ouattara or ce sont elles qui dénoncent Ouattara aujourd’hui. Cela nous fait comprendre que nous devons avoir des principes et ceux-ci doivent être respectés par nos gouvernants. Qu’on s’appelle Laurent Gbagbo, qu’on s’appelle Alassane Ouattara on ne doit pas mettre des considérations partisanes au devant de ces principes pour tuer des journalistes. Rien ne vaut la vie humaine et c’est sous cet angle qu’il faut comprendre la réaction du comité de protection des journalistes et celle de Reporters sans frontières. Nous avons des valeurs et il ne faut pas les piétiner. Gbagbo l’a fait ces organisations ont dit non (il hausse le ton : Ndlr), si Ouattara le fait elles diront non, parce que les choses ne fonctionnent plus comme ça.
Mais ce que je reproche à ces structures qui dénoncent, c’est qu’elles n’œuvre pas pour plus de professionnalisme puisque quand des journalistes font des dérives, elles restent muettes. Qu’elles nous aident à travailler dans les normes, car que ce soit ici ou ailleurs, nous devons avoir la même pratique du journalisme.
Réalisée par
ALAIN BOUABRE et CLAUDE DASSE in soir info numéro 5010 du Lundi 30 Mai 2011
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