Yopougon (Abidjan), Envoyé spécial – Dix jours après l’arrestation de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, la bataille d’Abidjan continue. Alors que la plupart des habitants de la capitale économique reprennent progressivement le rythme d’une vie presque normale, dans le quartier de Yopougon, à l’ouest de la ville, des centaines de milliers d’Ivoiriens isolés, encerclés, étaient toujours plongés dans la guerre, mercredi 20 avril. Un autre monde.
Plusieurs centaines, voire milliers, de miliciens – armés par l’ancien président Laurent Gbagbo alors qu’il refusait de reconnaître sa défaite lors de l’élection présidentielle de novembre 2010 – résistent aux assauts des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) soutenant son ancien rival, Alassane Ouattara, le nouveau chef de l’Etat. Mais l’asphyxie approche.
« Notre stratégie est de grignoter du terrain et d’étouffer les derniers groupes de combattants de Laurent Gbagbo en les isolant les uns des autres. Leur mettre une pression militaire tout en essayant de négocier pour qu’ils déposent les armes. Nous ne sommes pas loin d’atteindre notre objectif », explique le colonel Soumahoro Gaoussou, chef des opérations des FRCI.
Yopougon, où vivait près d’un million de personnes avant la crise, a été progressivement coupé du reste de la ville à partir de l’entrée des FRCI à Abidjan, le 31 mars. La géographie s’y prête. Cette commune d’Abidjan est comme un poing s’enfonçant dans la lagune Ebrié, fermé au nord par l’autoroute qui mène à la capitale administrative, Yamoussoukro.
Les FRCI tiennent solidement l’axe routier, comme tout le reste du pays ou presque. « Les 2 000 à 3 000 miliciens et mercenaires présents sont donc piégés », commentent le colonel Gaoussou. La mer d’un côté, les FRCI de l’autre.
GUÉRILLA URBAINE
Mercredi, la station-service Shell servait de quartier général aux forces républicaines lancées par petits groupes dans la bataille de rues de Yopougon. Une trentaine de miliciens présumés sont gardés prisonniers, torse nu, à l’atelier de vidange.
Le téléphone portable rivé à l’oreille, fines lunettes fumées sur le nez, le colonel Gaoussou suit en direct, quand le réseau téléphonique le permet, l’application de la tactique que cet ancien étudiant en mathématiques à l’université de Grenoble a mise au point.
Certains paramètres lui échappent encore. « J’ai pris une position, j’avance mais je dois sécuriser mes arrières », lui explique l’un de ses lieutenants arrivé à bord de son pick-up, à tombeau ouvert, en provenance du front mouvant de Yopougon. « Vous avez les kalachnikovs ? J’ai des hommes mais pas assez d’armes. Et l’essence ? », demande-t-il à son supérieur.
La station Shell a été pillée depuis longtemps. L’arsenal est, semble-t-il, limité. Les véhicules surmontés de mitrailleuses ou de petits mortiers sont rares comparés aux 4×4 en tout genre qui eurent une autre vie dans le civil avant de transporter des hommes en treillis dépareillés.
L’issue de la bataille ne semble pas faire de doute tant semble évidente la disproportion des forces. Mais vaincre une guérilla urbaine coûte cher en combattants pour n’importe quelle armée aguerrie. Les FRCI en sont loin.
Les populations civiles paient également un lourd tribut, ce que le président Ouattara aimerait vraisemblablement éviter sous peine d’être accusé d’avoir laissé massacrer un fief électoral de son rival au scrutin présidentiel.
Impossible, aujourd’hui, de dresser un bilan des combats. Mercredi, les chambres du service des urgences du CHU de Yopougon étaient d’ailleurs étrangement vides. Situé au pied de l’autoroute, son entrée est gardée par des FRCI.
LES CIVILS PAIENT UN LOURD TRIBUT
« Les hommes ne viennent pas de peur d’être pris pour des miliciens. D’autres blessés ou des malades restent calfeutrés chez eux par peur des miliciens ou faute de moyens de transport. L’affluence viendra lorsque les combats se calmeront », explique le professeur Soro, assis sur le lit dans son bureau où il passe ses nuits depuis plus de trois semaines.
Médecins sans frontières a ouvert, lundi, une unité de chirurgie dans une clinique du quartier d’Attié, en zone milicienne. Près de vingt personnes y ont déjà été opérées de blessures par balles reçues au combat pour la plupart. Tous les témoignages font état de cadavres dans certaines zones de Yopougon.
« Nous, les civils, souffrons énormément », explique Patrice Kacou, un enseignant de Yopougon. « Se déplacer dans les rues est dangereux et quasiment impossible pour les “étrangers”. Il n’y a aucune circulation automobile, sauf celle des miliciens. Nous n’avons plus grand-chose à manger », ajoute-t-il. « Les miliciens prennent de plus en plus de risque pour piller de plus en plus près des lignes contrôlées par les FRCI », confirme un humanitaire. « Le plus sage serait que les combattants rendent les armes et entrent en clandestinité. Gbagbo est notre seul président, il reviendra », affirme M. Kacou.
Des négociations avec deux leaders « représentatifs » des miliciens sont d’ailleurs en cours, menées, côté FRCI, par Chérif Ousmane, l’un des « com-zone » (commandants de zone) historiques de la rébellion anti-Gbagbo de 2002, qui aboutit alors à la division du pays en deux. « Ils veulent des garanties sur leur sécurité s’ils se rendent », explique le colonel Gaoussou. « Et sans doute quelques valises d’euros », glisse un autre officier. Les discussions seraient sur le point d’aboutir.
Elles se heurtent toutefois à la question de la représentativité des négociateurs dans une galaxie de miliciens composée de groupes d’autodéfense patriotes improvisés dans les quartiers et de « combattants plus motivés arrivés en pirogue, par la mer, d’autres quartiers d’Abidjan après l’arrestation, le 11 avril, de Laurent Gbagbo », explique un officier des forces des Nations unies (Onuci).
« Il y a parmi eux des mercenaires libériens qui n’ont rien à perdre », dit le commandant Zoua, un autre « com-zone » historique de 2002. « Mais il n’y a plus personne pour les payer. Et si tous, miliciens et mercenaires, ne se rendent pas, nous leur tomberons dessus comme un essaim d’abeilles », menace-t-il, entouré de ses soldats bardés de gri-gris.
Christophe Châtelot
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