Pr. Franklin NYAMSI
Agrégé – Docteur en Philosophie
Berlin, Allemagne.
L’art et le métier de penser, comme toutes les affaires humaines, ont leurs limites. Il est question justement de se demander si l’actualité ivoirienne de la guerre déborde désormais les activités de penser et d’agir. Si désormais, plumes et pioches doivent céder résolument le pas aux baïonnettes et aux communiqués des différentes forces armées. Devant le drame de la Côte d’Ivoire contemporaine, partie totale de l’espérance africaine, devons-nous nous taire sous le prétexte de l’insignifiance des mots devant le poids du tragique des événements ? Que vaut le présent article de presse, devant les corps déchiquetés des femmes d’Abobo, devant ces milliers d’ivoiriens assommés par la terreur des mercenaires libériens lancés par Gbagbo dans l’Ouest ? Que valent les présentes lignes à l’heure où l’actualité ivoirienne ne s’interprète désormais qu’en termes décisifs de progressions et de régressions militaires ? Nous sommes, ivoiriens ou non, condamnés à méditer cette énigme taraudante, quand par ailleurs, notre art préféré et notre métier ne sont ni celui des armes, ni celui de la querelle, mais le combat pour le sens : le métier de penser. La pensée peut-elle se saisir du mal en cours? Peut-elle le comprendre, l’interpréter, le dévêtir, voire le subvertir en vue de célébrer la vie ? Est-elle plutôt condamnée à le contempler, à s’en défaire en reconnaissant sa propre défaite, quitte à attendre patiemment que les acteurs historiques aient décidé du sens réel de l’Histoire ? Faut-il remettre la pensée du drame ivoirien à l’après-guerre FDS/FRCI ?
La pensée est certes pulvérisée par le fait brutal de la guerre, où l’horreur sous toutes les formes de l’industrie humaine de la mort, contraint les penseurs les plus sereins à l’angoisse, à la crainte et au tremblement irrépressibles. Au-delà de l’innommable bruit des orgues de Staline et autres armes de guerres lourdes qui tonnent du grondement archaïque des forces primordiales de la nature dans les oreilles insomniaques des hommes, femmes et enfants de Côte d’Ivoire, la pudeur ne commande-t-elle pas de se taire devant l’ampleur du drame, ne serait-ce que par exigence de piété? Or, précisément il y a plusieurs types de guerre et plusieurs types de justifications aux actes de guerre. Condamner la guerre par principe et en fait, au nom d’un pacifisme aveugle, est aussi naïf que louer par principe et dans tous les cas factuels la guerre, au nom d’un bellicisme tout aussi stupide. Et la philosophe Simone Weil eut dans cet esprit, sans doute raison d’écrire :
« Il résulte d’une telle situation, pour tout homme amoureux du bien public, un déchirement cruel et sans remède. Participer, même de loin, au jeu des forces qui meuvent l’histoire n’est guère possible sans se souiller ou sans se condamner d’avance à la défaite. Se réfugier dans l’indifférence ou dans une tour d’ivoire n’est guère possible non plus sans inconscience. La formule du moindre-mal reste alors la seule applicable, à condition de l’appliquer avec la plus froide lucidité. »
Incontestablement, un devoir de lucidité nous appelle, au cœur des abîmes qui frappent le pauvre peuple de Côte d’Ivoire. Nous estimons par conséquent, par-delà émotion et piété, qu’il n’y a pas de pensée profonde qui n’ait justement médité devant l’abjection de la mort violente en particulier et de la mortalité humaine en général. Il appartient dès lors, contre tous les scrupules imaginables, à ceux qui font office de penser la réalité historique ivoirienne, de se prononcer clairement et distinctement sur la question suivante : la guerre des forces républicaines de Côte d’Ivoire contre le régime du Président sortant Laurent Gbagbo est-elle une guerre juste ? Cette question présuppose à notre sens les deux suivantes : quelles sont les formes et justifications de guerre connues dans l’historicité ivoirienne ? A quel type de guerre peut-on référer l’offensive actuellement engagée par les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire contre le régime mauvais perdant de Laurent Gbagbo et quelles en sont les justifications ?
I
Des guerres ivoiriennes et d’ailleurs
L’histoire de la jeune nation ivoirienne nous semble avoir donné lieu, à partir du 19ème siècle aux différents sortes de guerre que voici : la guerre tribale, la guerre de conquête religieuse, la guerre de conquête coloniale, la guerre de résistance anticoloniale et d’indépendance, la guerre de résistance sécessionniste, la guerre de reconnaissance citoyenne, la guerre de restauration républicaine. Nous proposons volontiers ces catégorisations en n’oubliant pas qu’il en existe d’autres à travers le monde, et que les spécialistes du phénomène de la guerre la saisissent en général dans des concepts plus larges et englobants, au risque de ne pouvoir précisément bien restituer les spécificités historiques de chaque peuple. Mais il peut exister des ponts pertinents entre ces catégories générales et l’expérience ivoirienne, comme nous chacun le verra dans la suite de la présente analyse.
Lutte armée et homicide présentant une certaine amplitude et se déroulant dans une certaine durée de temps, entre des collectivités organisées ayant une autonomie politique au moins relative, la guerre suppose l’avènement d’un conflit entre deux forces plus ou moins égales. Lorsque ces forces sont inégales, les terminologues de la guerre parlent de pacification ou d’opération de police (fort contre faible), de rébellion ou révolution (faible contre fort). On peut en outre classifier les guerres selon des critères politiques (conflit supra ou super-étatiques, phénomènes interétatiques ou conflits classiques, conflits intra-étatiques), selon des critères liés aux enjeux (territorial, ethnique, religieux), selon des critères techniques (guerre primaire, guerre classique, guerre technologique, la guerre atomique), selon la localisation, selon la finalité, ou enfin selon les causes, etc.
Le concept de guerre est du reste en extension permanente, car les formes modernes de guerre n’ont de cesse de s’enrichir, suivant la nature et la dimension des groupes concernés, suivant les rapports politiques et suivant les techniques mises en œuvre. On compte ainsi parmi les formes modernes de guerre : la guerre économique, la guerre commerciale, la guerre linguistique, la guerre culturelle, les guerres mondiales ou guerres totales, les guerres régionales, la guerre électronique, la guerre étrangère, la guerre psychologique, la guerre aristocratique, la guerre totale ou guerre de masse, la guérilla. Enfin, on reconnaît en général aux guerres plusieurs fonctions et plusieurs causes. Parmi les fonctions, on cite de façon récurrente le rééquilibrage démographico-économique, la redistribution économique, la prise des commandes du politique, la conquête psychologique et sociologique d’un groupe de la population sur les autres, la domination culturelle, l’expérimentation de nouvelles techniques coercitives, mais aussi la fonction biologique d’exutoire à l’agressivité foncière de l’homme. Les causes des guerres sont quant à elle en général cernées dans la volonté de multiplier des entités politiques, les conflits liés à l’hétérogénéité du système international, les institutions abusives de frontières interétatiques, le développement incontrôlés de certaines passions collectives.
Ce large tour d’horizon nous permet donc d’en revenir aux guerres ivoiriennes et à leurs justifications. Nous les séparerons à trois ensembles, correspondants aux périodes précoloniale, coloniale et postcoloniale.
II Des guerres précoloniales, anticoloniales et postcoloniales ivoiriennes.
Dans le premier ensemble précolonial, nous mettons volontiers les guerres tribales et les guerres de conquête religieuse. On sait globalement que le territoire actuel de Côte d’Ivoire a été configuré, dans la période précoloniale, par l’immigration des Akans fuyant les conflits ethniques fratricides du Royaume Ashanti jusqu’au cœur de la région des Grands Lacs et des Savanes. D’autre part, on sait que la poussée islamique, en plus de la résistance armée contre l’invasion coloniale, explique pour une part la configuration sociologique du Nord et du Nord-Est de la Côte d’Ivoire, avec un point d’orgue sur les guerres de Samory Touré et les héritages des précédents empires du Mali, tout comme celui de Kong. On ne saurait au passage négliger les guerres tribales nombreuses en pays Krou, Wè et Dan, malgré les nombreux jeux d’alliances opérant dans cette Côte d’Ivoire précoloniale. Tribales ou religieuses, les guerres précoloniales ivoiriennes se référaient à l’ordre de la coutume et de la foi, et opéraient dans un environnement où la question citoyenne née du projet d’Etat-national ne s’était pas encore posée en tant que telle. Elles ne dépassèrent pas du reste, d’un point de vue technique, le cadre des guerres classiques précoloniales occidentales.
Le second ensemble des guerres ivoiriennes est issu de l’agression coloniale et comporte aussi l’épisode sécessionniste du Guébié. Comme l’a si bien décrit Simone Weil, il est éclairant de décrire l’expansion coloniale en termes de force. Elle appartient à l’horizon de la guerre moderne, qui est la prolongation de la concurrence économique sous des formes militaires. Elle dévaste les infrastructures matérielles et psychiques du colonisé pour instaurer, dans la brutalité froide de la raison instrumentale, l’ordre criminel de la colonialité. Et Simone Weil d’écrire :
« La colonisation commence presque toujours par l’exercice de la force sous sa forme pure, c’est-à-dire par la conquête. Un peuple, soumis par les armes, subit soudain le commandement d’étrangers d’une autre couleur, d’une autre langue, d’une tout autre culture, et convaincus de leur supériorité. Par la suite, comme il faut vivre, et vivre ensemble, une certaine stabilité s’établit, fondée sur un compromis entre la contrainte et la collaboration. »
La lutte de résistance anticoloniale ivoirienne prit la forme, avec Samory, d’une guerre classique qui prit fin avec la défaite et la capture de l’Almamy de Kong. Elle fut par ailleurs relayée, sans concertation nécessaire, par des révoltes anticoloniales de mode tribal, telle la fameuse révolte des Abbey au début du 20ème siècle. Il n’en demeure pas moins clair que la Côte d’Ivoire, fait décisif, se démarqua de la logique de guerre anticoloniale ou d’indépendance sous la férule de Houphouët-Boigny, médecin africain, grand planteur, catholique, chef traditionnel des Akoués de Yamoussoukro. Tout en créant le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) pour faire pièce à l’oppression coloniale, Houphouët se démarqua de la voie militaire indochinoise de Hô-Chi-Minh en négociant une indépendance contrôlée de la Côte d’Ivoire auprès de la puissance tutélaire française. Dans la même lancée, la guerre sécessionniste de Kragbé Gnagbé dans le Guébié autour des années 70 ne semble plus avoir posé le problème anticolonial en tant que tel, mais celui du partage des pouvoirs dans l’état postcolonial ivoirien. Nous n’insisterons pas davantage, pour cette raison, sur l’épisode du Guébié.
Nous estimons dès lors que la guerre anticoloniale d’indépendance de la Côte d’Ivoire n’eut pas lieu, contrairement à celle des nationalistes révolutionnaires de l’UPC (Union des Populations du Cameroun, membre du RDA comme le PDCI) , parce que Houphouët crut ou préféra – pour des raisons sans doute liées à son propre statut de bourgeois catholique issu de la féodalité et du fait de son tempérament pacifiste – une évolution plus lente de son pays vers l’indépendance par l’intégration socio-économique au grand marché des richesses internationales. L’acte de guerre le plus farouche d’Houphouet-Boigny fut donc finalement l’obtention du vote par le Parlement Français de la Loi contre les Travaux Forcés, qui porte le nom du premier Président de la Côte d’Ivoire. Peut-on estimer que cette guerre d’indépendance ainsi évitée le fut pour de bon ? Faut-il plutôt croire aujourd’hui Laurent Gbagbo et ses « patriotes », lançant l’Opération Dignité en 2004, pour entre autres libérer la Côte d’Ivoire du joug sempiternel de la puissance coloniale française ? Nous pensons que la question de l’indépendance nationale ivoirienne, par rapport à l’ex-puissance coloniale française, ne pourra sérieusement se poser que pour une nation ivoirienne sérieusement écartée du péril identitaire de l’ivoirité, dont l’influence décisive dans les guerres postcoloniales de Côte d’Ivoire mérite d’être méditée dans toutes ses conséquences.
III
Les guerres ivoiriennes de 2002 et de 2011 sont-elles justifiables ?
Qu’il soit d’emblée clair ici que nous ne voulons faire l’apologie d’aucune guerre, mais constater qu’elles n’ont pas toute l’absurdité immorale des guerres d’agression délibérée. En un mot, nous ne pouvons trancher sur la justifiabilité d’une guerre que si nous établissons au préalable la hiérarchie des responsabilités et la proportionnalité des moyens. Fidèle à notre principe méthodologique de lucidité, par-delà émotion et piété mal venues ici, nous voulons comprendre les racines incontestables de la belligérance actuelle et interroger la légitimité de la reprise du sentier de guerre par les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire fidèles au Président Alassane Ouattara. Nous pensons en vérité, instruits par l’histoire longue, qu’il y a , hélas, des guerres nécessaires et justes. Il s’agit donc de comprendre le sens des guerres postcoloniales ivoiriennes, ce troisième ensemble de guerre dans lequel nous mettons les guerres civiles de 2002 à 2004, puis l’épisode actuel qui a pris pied à partir de la marche manquée des ivoiriens pro-Ouattara le 16 décembre 2010 à Abidjan, suite au refus délibéré et mal motivé par Laurent Gbagbo de reconnaître son incontestable défaite électorale à l’élection présidentielle du 28 novembre 2010. Nous ne reviendrons ici pas sur la large validation (CEI, CEDEAO, UA, UE, ONU, nombreuses ONG internationales) dont la victoire d’Alassane Dramane Ouattara a été entourée. Nous voulons en réalité nous interroger sur la justification possible des deux guerres de la postcolonie ivoirienne, qui se suivent en l’espace de moins d’une décennie. Pourquoi les ivoiriens en sont-ils plus fréquemment que par le passé, venus aux armes pour résoudre leurs différends politiques ?
Nous éliminons d’emblée deux thèses fausses sur la guerre de 2002. La première consiste à dire qu’elle n’est qu’une guerre de recolonisation de la France contre la Côte d’Ivoire. Cette analyse est fausse car autrement, on ne comprendrait pas que la France n’ait pas volé au secours du Président Henri Konan Bédié, renversé en 1999 par des mutins sous l’égide du Général Robert Guéi, alors même que le PDCI de Konan Bédié constituait la garantie ancienne des intérêts français dans le pays. Cette analyse est fausse parce que Laurent Gbagbo, en 10 ans de pouvoir, qu’il doit en partie à l’interposition des forces françaises, n’a déplacé aucun des fondamentaux de l’inféodation stratégique de la Côte d’Ivoire à la France : monnaie, sécurité, parts de marchés publics, références symboliques, etc. Cette analyse est par ailleurs fausse parce que la guerre de 2002 fut en bonne partie menée par des cadets sociaux issus de l’armée et de la population ivoiriennes, qui s’estimaient exclus de la citoyenneté ivoirienne plénière par les manipulations politiques et administratives, le harcèlement économique, les abus policiers et criminels légitimés par la doctrine de l’ivoirité qu’élaborèrent des intellectuels inconséquents du CURDIPHE. La guerre de 2002, déclenchée par une partie de l’armée ivoirienne à majorité nordiste, était d’abord une guerre de reconnaissance citoyenne plénière, qui rencontra au passage la conjonction relativement favorable de certains intérêts français que le discours politique du FPI , au pouvoir depuis Octobre 2000 après une élection sanglante et calamiteuse, voulait timidement remettre partiellement en cause.
La seconde thèse manifestement fausse sur le déclenchement de la guerre de 2002, c’est qu’elle serait l’œuvre directe d’Alassane Ouattara. On comprend mal qu’il ait lui-même failli être tué dans cette guerre, car aux premières heures du conflit, il fut surpris avec sa famille et ne dut la vie sauve qu’à la solidarité agissante de l’Ambassadeur de France. Etrange commanditaire d’un coup d’Etat qui serait le dernier à en connaître les heures et lieux de déclenchement ! De fait, Alassane Ouattara a dû faire avec le rapport de forces né de ce déclenchement de conflit, et peser de tout son poids stratégique et symbolique dans la politisation des FN (Forces Nouvelles), qui lui font ouvertement allégeance aujourd’hui, dans le cadre des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire, aux côtés d’éléments ralliés des FDS (Forces de Défense et de Sécurité). Et l’armée républicaine de Côte d’Ivoire est entièrement à bâtir.
Des citoyens spoliés de leur nationalité, de leur patrie, de leur représentativité politique, livrés à toutes sortes de vexations et de dénégations, clivés dans un délit de patronyme et dans le mépris banalisé de leurs origines peuvent-ils légitimement exprimer leur désir de vie par des actes de guerre ? Nous répondons par l’affirmative, avec des réserves : la guerre de reconnaissance citoyenne menée par les hommes de Guillaume Soro en 2002 était légitime car elle répondait à une ambiance et à des actes de barbarie subis par une partie des citoyens ivoiriens depuis l’accession de Laurent Gbagbo au pouvoir, sans que la justice n’ait joué le moindre rôle de relais et d’apaisement par la sanction des coupables. Quand un régime politique se donne la latitude de gouverner par l’assassinat et l’impunité, les citoyens ont le droit imprescriptible de se rebeller. Les ivoiriens assassinés et jetés en pâture à Yopougon en Octobre 2000, les victimes de lynchages militaires dans les rues du pays lors des manifestations de l’opposition en 2001 et 2002, ont compté parmi les premiers morts de la guerre reconnaissance citoyenne de 2002. Par contre, bien que les faits liés à cette guerre aient été inscrits dans les lois d’amnistie après 2004, il importe de dire qu’autant du fait des Forces Nouvelles que du fait des Forces de Défense et de Sécurité , de nombreuses personnes ont été arbitrairement assassinées lors de cette guerre. Il appartiendra à une Commission de Justice, Vérité et Réconciliation de faire honneur à ces âmes déchues de leur dignité par la mort abjecte. La réparation du corps symbolique de la nation ivoirienne doit passer par une vraie réconciliation des mémoires de souffrances.
Venons-en à la guerre en cours depuis pratiquement le 16 décembre 2010. Nous savons qu’elle a pris toutes les configurations d’une guerre classique et d’une guerre technologique, empruntant par ailleurs aux registres de la guerre psychologique, et risquant à tout moment de déraper en guerre ethnique. Quelles en sont les causes ?
Le refus délibéré, arbitraire et méprisant du Camp Gbagbo de se soumettre au verdict des urnes en est la première. Ce refus est du reste connecté à la problématique de la précédente guerre postcoloniale ivoirienne de 2002, puisque c’est en annulant contre la règle de droit le vote favorable à Ouattara dans les sept régions du Nord, que Laurent Gbagbo a été déclaré soi-disant vainqueur par le Conseil Constitutionnel dirigé par son camarade Paul Yao N’dré. Par cet acte, Yao N’dré rouvert la plaie purulente de la doctrine de l’ivoirité que cette élection – qui a vu une alliance politique transethnique (le RHDP) surplomber l’alliance transethnique moins diversifiée de la LMP – devait commencer à guérir résolument. Gbagbo a donc remis la guerre de reconnaissance citoyenne de 2002 au goût du jour en cette année 2011. Exclure 500 mille ivoiriens de l’élection présidentielle, c’est leur dénier leur citoyenneté. C’est leur déclarer la guerre en les privant de la reconnaissance d’humanité la plus prisée au monde : l’appartenance à une communauté de droits et devoirs, par-delà le principe de consanguinité. L’appartenance à la sphère de moralité objective de l’Etat de droit.
Nous trouvons une deuxième cause de cette nouvelle guerre postcoloniale, dans la politique agressive et criminelle délibérément adoptée par le régime Gbagbo contre les populations civiles ivoiriennes, comme pour les punir de n’avoir pas obéi à la maxime saugrenue du « On gagne ou on gagne ! » Depuis le mois de décembre, Laurent Gbagbo a instauré un état d’urgence autorisant tous les abus de ses sbires sur les populations. Il a fait procéder à de nombreuses exécutions sommaires dans les quartiers honnis pour avoir plébiscité son adversaire. Il a fait impunément tirer sur des foules de femmes manifestant les mains nues. Il a instrumentalisé l’eau et l’électricité du pays, pour isoler et fragiliser davantage encore ses compatriotes du Nord. Il a fait piller de nombreuses résidences des ministres du RHDP dans la Ville d’Abidjan. Il a lancé la milicisation outrancière du prolétariat abidjanais auquel en 10 ans de pouvoir, la Refondation n’a donné ni métier, ni emploi qui vaille. Laurent Gbagbo a ouvert l’Ouest de son pays aux hordes de miliciens libériens qui pillent, violent, tuent sans vergogne, avec l’approbation de certains miliciens de l’ouest-ivoirien. Un million de déplacés de guerre errent dans Abidjan. Laurent Gbagbo a ainsi révélé qu’il était de facto, non pas un leader nationaliste révolutionnaire africain, mais bel et bien ce que le Docteur Alexis Dieth appelle à juste titre un ethnocolonialiste africain de l’intérieur.
Enfin, Laurent Gbagbo et son régime, d’atermoiements en roublardises, de mensonges en manipulations creuses, ont réussi à se mettre toute la communauté internationale à dos, y compris leurs propres alliés allégués, l’Angola et l’Afrique du Sud, qui viennent de se ranger à la position de l’Union Africaine, reconnaissant la validité et la légitimité du Président Alassane Ouattara, comme Président effectivement élu de la République de Côte d’Ivoire. On a enfin compris que Gbagbo n’a rien à voir avec Um Nyobé, Sank ara, Nkrumah, Mandela ou Lumumba. C’est un opportuniste roublard qui entonne les refrains de l’anticolonialisme dogmatique pour se perpétuer illégitimement au pouvoir et surtout pas par amour de son pays. On ne peut aimer son peuple et vouloir s’imposer comme son guide malgré lui. Les hordes manipulées d’Abidjan ne changent rien au verdict impartial des urnes.
Dans ces conditions, la guerre de 2010-2011 pour bouter le régime illégitime de Laurent Gbagbo hors du pouvoir à Abidjan, est incontestablement une guerre juste, que nous désignons par la catégorie de guerre de restauration républicaine. Juste, au sens de conforme au droit et à la morale. Juste, au sens d’incarnation du droit par la force maîtrisée. Et en voici les raisons. D’abord, elle est juste parce qu’elle est menée par l’autorité légitime et légale de la Côte d’Ivoire, le chef suprême des armées ivoiriennes, Alassane Ouattara, qui a constitué à juste titre des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire. Ensuite, cette guerre est juste parce qu’elle est menée pour défendre les populations civiles de Côte d’Ivoire, livrées à la violence aveugle d’un despote mal inspiré par son entourage affolé et prisonnier des fastes morbides de la jouissance. Enfin, cette guerre est juste parce que la force doit être rendue à la justice en Côte d’Ivoire, afin que commence enfin, sur des bases fermes et inébranlables, la vraie mission de cette terre d’espérance, pays de l’hospitalité, qui a vocation à être l’un des phares de la construction afropolitaine en cours. Nous en avions, dans une tribune précédente, dessiné les épures dans l’analyse du rôle d’Abobo, Koumassi et Treichville, communes de résistance et couveuses afropolitaines de Côte d’Ivoire.
Cette guerre juste doit être menée dans l’esprit de faire à chaque fois, le bon choix et le moindre mal pour la Nation Ivoirienne, afin qu’elle ré-épouse son idéal cosmopolitique sur des bases saines. Elle doit être menée dans le respect du Droit des gens, des Conventions et Pactes qui tissent l’humanité profonde. Elle doit être menée avec la détermination, la lucidité et le courage de ceux qui savent qu’ils sont du bon côté de l’Histoire, celui qui ne tolère de sacrifice que pour faire surabonder les forces de la vie, de la vérité, de la justice et de la charité. On peut méditer ici, le mot de Von Clausewitz dans son célèbre ouvrage Vom Kriege : « En aucun cas, la guerre n’est un but par elle-même. On ne se bat jamais, paradoxalement, que pour engendrer la paix, une certaine forme de paix ». Puissent les ivoiriens choisir – et se battre comme tous les africains pour – celle qui leur garantit la liberté, la justice et le bien-être. Et non la paix dans la peur, la honte, la désolation et la malemort. Paix des colombes de la sagesse, et non paix des monstres lubriques. Et demain, se lèvera une aurore sûre dans le ciel d’Abidjan, quand la démocratie fondera une vraie république de fraternité et de progrès collectif. Malheur aux vainqueurs amnésiques !
Pr. Franklin NYAMSI
Agrégé-Docteur en Philosophie
Berlin, Allemagne, le 21 mars 2011.
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