L’Intelligent d’Abidjan
Le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire, Jean louis Billon était l’invité de ONUCI-FM le dimanche 20 février 2011. Il s’est penché sur plusieurs sujets. A l’en croire, une monnaie en Côte d’Ivoire ne saurait prospérer. L’intégralité de son entretien.
Quel est votre regard aujourd’hui sur l’environnement des affaires en Côte d’Ivoire à l’épreuve de la crise postélectorale ?
Malheureusement, cette crise postélectorale pour le monde économique est la pire que le pays ait connu jusque là. On ne pouvait penser tombe si bas. Il y a toujours plus bas où on peut aller et la Côte d’Ivoire est en train de le découvrir. Vous voyez que les derniers classements surtout sur celui du « doing business » qui fait référence, nous fait retomber maintenant à la 172ème place sur 183 pays dans le monde. Ça veut dire que nous sommes vraiment parmi les derniers de ce classement quand on compte le climat des affaires de l’an dernier. Et ça veut dire encore que l’année prochaine, avec ce que nous vivons aujourd’hui, lorsque le classement sortira, nous serons peut-être derniers. J’espère qu’on se reprendra d’ici là.
Ça veut dire quoi concrètement 172ème sur 183 ? Qu’est ce qui ne va pas exactement en Côte d’Ivoire ?
Aujourd’hui, le monde économique est au plus bas. On s’attendait après les élections, à avoir la paix, la prospérité économique. Un pays qui reconnaît son processus de développement. Et nous avons eu tout le contraire. Nous sommes retombés dans les tensions sociopolitiques ; la crise économique frappe la Côte d’Ivoire de plein fouet et nous n’avons plus confiance en notre économie. Et quand il n’y a pas de confiance, il n’y a pas de constance économique, il n’y a pas de création d’emplois. On ne peut pas vivre dans la contrainte sans arrêt. Et on pense pouvoir faire fonctionner l’économie. Ça ne marche pas comme ça et ça ne marchera pas comme ça.
Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ont fermé…
Beaucoup d’entreprises ont fermé, beaucoup vont fermer. A ce rythme là on va retomber dans la nuit des temps dans un monde sans entreprises avec un complément de l’informel total. Ce que la Côte d’Ivoire ne peut pas se permettre.
Il y a eu la réquisition des agences BCEAO en Côte d’Ivoire. Et le lundi dernier, c’était au tour de deux grandes banques internationales implantées en Côte d’Ivoire de fermer leurs agences. Qu’est ce que tout cela vous inspire?
C’est la conséquence de ce que je viens de vous expliquer. Le manque de confiance. Le système bancaire, il faut savoir qu’il repose essentiellement sur la confiance. A partir du moment où il n’y a pas de confiance, un système bancaire ne peut pas fonctionner. On ne peut pas réquisitionner des banquiers ; on ne peut pas les contraindre parce que c’est eux qui empruntent la relance sur les marchés financiers internationaux afin de les mettre à disposition de l’économie d’un pays. S’il n’y a pas de confiance en ce pays, et bien rien dans le système financier, le système bancaire ne peut fonctionner dans ce pays-là. Nous faisons partie de l’Union d’un système monétaire sous régional. A partir du moment où on s’insurge contre ce système, les conséquences n’auront pas tardé. Nous avons deux banques qui ont fermé et d’autres vont suivre. On ne pourra plus les contraindre à rester ouvertes parce que bientôt, elles n’auront plus elles-mêmes de liquidité, elles ne pourront plus emprunter sur les marchés sous-régionaux et internationaux pour se financer. Ce n’est pas possible.
Bientôt donc le chaos économique, financier ?
Le chaos économique est en train d’arriver tout doucement. Pour certains, il est déjà connu puisque leurs entreprises ont fermé. Le chaos va progressivement arriver et pour ceux qui ont perdu leur emploi, ils le disent déjà. Je peux vous dire que beaucoup d’employés sont menacés, beaucoup vont perdre leur emploi. Et ce n’est bon ni pour la paix ni pour la stabilité. Les grands perdants dans toutes ces conséquences postélectorales ce sont les Ivoiriens et la Côte d’Ivoire.
A quelles conditions peut-on remédier au chaos qui se profile à l’horizon ?
Le fait est que le panel des Chefs d’Etats qui travaille aujourd’hui à la sortie de crise, va arriver à trouver une issue diplomatique dans la paix et la concorde. On reste sceptiques puisque nous avons eu tellement de médiations depuis le début de la crise, depuis 2002. Avec la crise ivoirienne, nous avons usé plusieurs Chefs d’Etats. Nous avons eu plusieurs accords de paix. Il y a eu plus de relutions de l’ONU que même pour la Palestine. J’espère que ce panel là va arriver à quelque chose. Mais franchement, par expérience on finit par devenir vraisemblablement sceptique.
La Côte d’Ivoire, donc condamnée à vivre le martyr et s’écrouler ?
Non, la Côte d’Ivoire n’est pas condamnée à vivre le martyr et s’écrouler. Il appartient au bon sens, à la grandeur d’âme de nos politiques qui doivent considérer avant tout les Ivoiriens et la Côte d’Ivoire et savoir faire des sacrifices pour ramener la paix, la prospérité et la stabilité dans ce pays afin de garantir les perspectives d’avenir, un développement pour la jeunesse ivoirienne, les Ivoiriens et la Côte d’Ivoire.
Vous êtes dans l’agroalimentaire. Il y a cette embargo sur les exportations de café et de cacao surtout. Pour vous, c’est grave et très grave ?
C’est grave parce que depuis le début de la crise, l’économie ivoirienne a été prise en otage. On demande au monde économique de travailler convenablement alors que le monde politique ne travaille pas convenablement. Le monde politique demande des réquisitions ou demande qu’on arrête ceci ou bien qu’on continue de travailler normalement, alors que lui-même, il faut le dire ne travaille pas dans les conditions normales. Sa principale mission était de nous obtenir des élections apaisées avec transition démocratique normale comme ça a été dans toutes les nations qui se respectent dans le monde. Au contraire, on nous a emmenés dans une impasse qui est la pire que la Côte d’Ivoire ait connue. Et avec une situation de deux gouvernements, deux présidents. Laquelle est peut-être la plus ridicule que nous ayons pue connaître. Et tout cela, aux yeux du monde entier. Le monde paysan aujourd’hui se voit otages des querelles politiques. Et bien, c’est dommage parce que ce boycott va amener le cacao qui est une denrée périssable à être perdu et c’est vraiment triste.
Dans cette crise de l’exportation du cacao ivoirien, les responsables de la filière ont donné de la voix le mercredi dernier à Abidjan et pris la décision de boycotter l’Europe. Ils brandissent désormais l’épouvantail de la Chine qui doit pouvoir acheter le cacao ivoirien. C’est du domaine du possible ça ?
La Chine va prendre un peu de cacao ivoirien. Même si c’est la nation la plus peuplée du monde, la Chine n’est pas la nation qui consomme le plus de chocolat au monde. L’industrie chocolatière se trouve essentiellement en Europe et en Amérique. Il faut connaître le marché international. La Chine aujourd’hui est un pays qui est en train de tirer le développement. Mais les habitudes alimentaires de la Chine évoluent progressivement. Pour l’instant, même pour le café, la Chine n’en est pas un gros consommateur relativement au chocolat. Alors, on pourra peut-être exporter un peu de cacao sur la chine mais ça ne va pas régler le problème aujourd’hui. On doit comprendre et jouer avec notre environnement économique. C’est ce qui fait la beauté de la compétition économique. Et là, malheureusement nous sommes en train de prendre les mauvaises pistes.
De plus en plus, des voix se font entendre pour demander la création d’une monnaie ivoirienne. Comment réagit l’homme d’affaire, l’opérateur économique que vous êtes ?
Quand ces pays ont créé leur monnaie autour de nous, ils sont revenus au franc CFA. Pourquoi ? Parce qu’ils ont oublié une chose essentielle : une monnaie repose, comme le système bancaire, sur la confiance. Une monnaie ne peut être crédible que dans une économie en expansion dans un pays stable, en paix. Une économie qui peut avoir une monnaie qui rassure. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire n’offre pas ces avantages là. Donc, une monnaie à nous sera automatiquement vouée à l’échec et ce sera catastrophique pour notre économie.
Koné Yacouba
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