En CÔTE D’IVOIRE: L’intervention militaire comme instrument de paix

L’idée d’une intervention militaire pour déloger M. Laurent Gbagbo du pouvoir divise. Qu’elle devienne effective ou non, et quel qu’en soit le bilan final, elle restera longtemps encore une question très controversée. Pour ma part, j’ai déjà exprimé mon soutien à une action énergique pour mettre un terme à l’aventure de M. Gbagbo et permettre à l’histoire de suivre son cours. Il a échoué à la tête de la Côte d’Ivoire, gaspillé une décennie de la vie du pays.

A la façon d’un gourou, il a réussi la prouesse de conditionner politiquement une proportion considérable d’Ivoiriens. Certes, Gbagbo a hérité d’un pays qui, déjà, se délitait. En tant que président, c’était son devoir de ressouder son peuple, de bâtir une nation. Un président sous le règne de qui un pays se fissure, se déchire ne peut donner une meilleure preuve de son échec à exercer cette charge. Depuis, il tient en otage la marche de l’histoire dans son pays. En cas d’intervention militaire en Côte d’Ivoire, des populations civiles ivoiriennes et résidentes, des soldats ivoiriens, de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou de l’ONU pourraient payer un lourd tribut.

J’ai une conscience profonde de ce que peut alors représenter une telle intervention, en termes de victimes humaines. Je mesure tout autant la nécessité, voire l’exigence morale qu’il y a à intervenir militairement dans ce pays. Le 29 décembre 2010, des intellectuels africains et européens ont signé un appel contre une intervention militaire en Côte d’Ivoire. Il commençait par ceci : « Profondément convaincus qu’une intervention militaire en Côte d’Ivoire serait de nature à aggraver une situation qui est suffisamment tragique, et plongera à coup sûr le pays et la sous- région dans la tourmente, les signataires de la présente lettre ouverte en appellent aux opinions publiques de toutes les nations et aux gouvernements de tous les pays épris de démocratie, de paix et de liberté, afin d’enrayer la menace de guerre qui plane sur ce pays. »

Revoir le discours de Obama

J’ai beaucoup de respect pour les différentes voix qui se sont ainsi exprimées. Leur appel recèle des arguments qui ne peuvent pas laisser indifférent. Mais cette démarche et le refus à tout prix de l’action militaire au profit d’une voix non-violente ne peuvent seuls mettre fin au blocage et aux meurtres en Côte d’Ivoire. En particulier, lorsqu’on a le sens de l’Etat, on ne peut y souscrire entièrement. J’invite tous ceux qui sont dans le refus systématique de l’action militaire légitime à voir ou à revoir le discours du président Obama le 10 décembre 2009 devant le Comité norvégien du Prix Nobel. Obama rappelle que les déclarations et les traités n’ont pas suffi à apporter la paix dans le monde.

La force des armes et le sacrifice des soldats ont été déterminants dans la recherche d’un monde stable et prospère. C’est une triste vérité du monde tel qu’il est aujourd’hui. C’est cette réalité qui a conduit cet autre lauréat du Prix Nobel de la Paix, Nelson Mandela, à la tête d’Umkhonto we Siswe, la branche militaire de l’ANC. C’est la force des armes qui a arrêté la situation de guerre ouverte en Côte d’Ivoire en 2002, lorsque des troupes françaises se sont interposées entre les belligérants, ouvrant parfois mortellement le feu sur des rebelles. Au passage, sauvant sans doute le pouvoir de Gbagbo. Lorsque de telles interventions ont lieu pour des raisons humanitaires ou en soutien aux institutions démocratiques, elles ne visent pas la gloire, ni à imposer une quelconque volonté extérieure.

Elles sont commandées par l’exigence de responsabilité. Ces interventions doivent veiller à respecter scrupuleusement les standards internationaux qui encadrent l’usage de la force armée. Dans le cas présent, cela s’impose d’autant plus que ceux qui s’opposent au recours à la force citent en exemple les exactions commises par les forces militaires de la CEDEAO au Libéria dans les années 1990.

Un langage de vérité

C’est vrai, avant d’arriver à l’emploi de la force pour faire partir Gbagbo, il convient de s’assurer que toute possibilité de solution pacifique est épuisée. Après près d’une décennie de négociations longues, tumultueuses et harassantes, M. Gbagbo a achevé de convaincre de son manque de crédibilité et de son cynisme. Il a lassé tout le monde. Parce qu’il faut donner toutes les chances à une issue pacifique, les initiatives dans ce sens se sont malgré tout multipliées de nouveau depuis le blocage postélectoral de début décembre 2010. Gbagbo a été ménagé afin de lui laisser une porte de sortie. Mais rien n’y fait.

En vérité, tous ceux qui le connaissent bien ou qui suivent ce dossier de près depuis toujours, savent qu’il jouera indéfiniment de ruse et de cynisme pour gagner du temps, tant qu’il tiendra le palais de la présidence. Quelque extrême que puisse être la pression, elle ne réussirait qu’à faire de Gbagbo un « martyr » reclus dans son palais. Il faudra, tôt ou tard, passer à l’action militaire. Entre-temps, la liste macabre des victimes civiles se serait tristement allongée. Peut-être, le point le plus crucial d’une intervention militaire en Côte d’Ivoire est-il sa légitimité ?

Nous qui appelons des forces internationales à intervenir dans ce pays le faisons parce que nous sommes épris de démocratie, de paix et de développement en Afrique. Mais la justesse d’une intervention militaire en Côte d’Ivoire contre Gbagbo ne serait pleinement et définitivement perçue que si nous avons les mêmes exigences à l’endroit de tous les autres pays du continent, en particulier ceux de la CEDEAO qui travaillent activement à cela. Alors, il faut que les chefs d’État de la CEDEAO et les puissances occidentales qui les soutiennent se tiennent, yeux dans les yeux, un langage de vérité : « Si on intervient militairement en Côte d’Ivoire, et on doit le faire, chacun est désormais tenu de ne pas tripatouiller sa Constitution, de ne pas briguer plus de deux mandats présidentiels, de permettre une démocratie exemplaire dans son pays. »

Et j’espère de Alassane Ouattara et de Guillaume Soro qu’ils soient en première ligne pour plaider cela devant les présidents ouest-africains qui les soutiennent. Si nous manquons à cette exigence, nous ferons partir Gbagbo, mais nous mettrons longtemps à panser les blessures dans notre sous-région. Nous rendrons plus difficiles nos prises de position et nos interventions futures. Au nom de la démocratie et de la paix, débarquons Gbagbo, mais ne tombons pas dans l’arbitraire !

Par Yacouba Gnègnè Economiste, enseignant-chercheur, membre de l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC). Les opinions émises sont ceux de l’auteur et n’engagent pas l’UPC. ygnegne@gmail.com

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