Lette-ouverte aux intellectuels africains panafricanistes et anti-néocolonialistes

1- Laurent Gbagbo, tout sauf un panafricaniste

L’ impasse politique en Côte d’Ivoire entre le président nommé Laurent Gbagbo et le président élu Alassane Ouattara suscite depuis quelques temps l’émoi tant dans la presse Ivoirienne qu’internationale. Des personnalités et des personages de tout bord s’y mêlent ajoutant chacunes son grain de sel et appellant les Ivoiriens à telle ou telle attitude. Dans ce brouhaha qu’a engendré la tournure des événements, plusieurs voix s’élèvent tantôt pour dénoncer la mascarade de Laurent Gbagbo, tantôt pour le légitimer (chose que je trouve absurde). Ainsi, tous les qualificatifs sont utilisés pour charactériser la situation en Côte d’Ivoire. Les mots que nous entendons le plus et lisons dans les écrits d’une certaine élite intellectuelle africaine-tels Calixthe Beyala, Tierno Monemembo, Albert Bourgi, etc- (ou non) sont : SOUVERAINETE, INGERENCE EXTERIEURE, PANAFRICANISME et ANTI-NEOCOLONIALISME.

Pour eux, Laurent Gbagbo serait le nouveau visage de la lutte anti-néocolonialiste et le panafricaniste par excellence. Si les mots “souverainété” et “ ingérence extérieure” sont on ne peut plus clairs pour la majorité des lecteurs, il n’en est pas de même pour panafricanisme et néocolonialisme. En faisant quelques recherches sur ces deux derniers sujets, il apparaît clairement que la tentative de confiscation du pouvoir par Laurent Gbagbo au détriment de Ouattara ne fait absolument pas de lui un panafricaniste ni un opposant au néocolonialisme. J’ argumenterai plus bas pourquoi j’estime que Laurent Gbagbo a activement contribué, consciemment ou inconsciemment, à tuer le panafricanisme et à encourager le néocolonialisme depuis 2000, date de son accession au pouvoir. Le plus ahurissant chez ces intellectuels africains et autres pseudo-éveilleurs de conscience, partisans du panafricanisme, pseudo-patriotes, anti-néocolonialistes, sorbonards, et agoraphiles, est qu’ils voient dans l’obstination aveugle de Laurent Gbagbo à se maintenir au pouvoir, un réflet de sa volonté à préserver la dignité de l’Afrique et à continuer le combat que feu-Kwamé Nkrumah avait commencé à travers le panafricanisme.

Dans cette première partie de ma lettre, je m’attarderai sur le Panafricanisme version Laurent Gbagbo.

Tout d’abord, il est important de préciser que contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, le Panafricanisme n’a pas été inventé par Nkrumah. En effet, selon Kamawrmesha1 (2010), le panafricanisme est né à la fin du XIX ème siècle aux Caraibes et en Amérique du Nord sous l’inspiration de leaders que sont: Edward Wilmot Blyden (1832 – 1912) , Joseph Anténor Firmin (1850 – 1911), Henry Sylvester-Williams (1869 – 1911), Benito Sylvain, W.E.B Du Bois (1868 –1963) , Booker Taliaferro Washington (1856 – 1915 ), Marcus Mosiah Garvey (1887-1940). Le mot panafricanisme fut publiquement utilisé pour la première fois à Londres en 1900 lors d’une conférence organisée par ces même leaders. Toujours selon Kamawrmesha, le mouvement panafricaniste prit deux formes avec l’évolution du temps. Au début, il apparut comme la réponse des esclaves noirs des Amériques à la condition et situation d’infériorité qui leur était faite doublée d’un désir de retour à la mère patrie ainsi que l’expression d’une culture et d’une civilisation africaines authentiques. Une fois le combat pour l’abolition de l’esclavage terminé, le concept évolua. C’est ainsi qu’après la deuxième guerre mondiale, il prit la forme que l’on connait aujourd’hui avec l’entrée en scène de nouveaux leaders comme le Jamaïcain George Padmore, le Ghanéen Kwamé Nkrumah, le Martiniquais Césaire, le Sénégalais Senghor, le Guadeloupéen Patrice Tirolien et le Guyanais Léon-gontran Damas . Si pour les quatre derniers le panafricanisme prenait une forme d’expression culturelle et littéraire à travers la « négritude » qui était une attitude d’autodéfense de la société négro-africaine, Nkrumah lui voyait le panafricanisme autrement. Kamawrmesha revèle que pour Nkrumah « l’Afrique doit s’unir » à travers la création des Etats-Unis d’Afrique. Nkrumah soutenait que l’unité politique, économique et militaire était la condition majeure pour relever le défi que posait la balkanisation de l’Afrique et sa domination par les puissances de la conférence de Berlin.

Selon Isabelle Sciamma2, le panafricanisme tel que défini par Nkrumah lui même était “L’éveil d’une conscience Africaine, la construction d’une unité humaine, politique et économique maîtresse d’un destin qui lui appartient”.

D’autres mouvements panafricanistes plus recemment crées tels que le COJEP3 (congrès des jeunes panafricains) du tristement célèbre Blé Goudé stipule à la lecture de son préambule qu’il faudrait agir maintenant pour soutenir le processus de démocratisation des pays Africains, préserver la souveraineté nationale, mettre fin à la couverture tutélaire entretenue par les pouvoirs à l’endroit de la jeunesse aux fins de l’infantiliser, accéder à un enseignement de qualité et une formation adéquate, gage d’une autonomie future et d’une société Africaine résolument tournée vers le progrès et la prospérité.

Aux vues de tous ses différents courants et formes d’ expression du panafricanisme, en quoi la tentative de brigandage du pouvoir par Laurent Gbagbo au détriment d’Alassane Ouattara et son combat aveugle contre la communauté internationale, l’ Union Africaine (UA) et la CEDEAO constitue t-elle un rapprochement vers le panafricanisme? Je disais plus haut qu’il avait oeuvré contre le panafricanisme et cela pour les raisons que voici.

Premièrement, comment expliquer cette animosité manifeste à l’encontre des étrangers (Maliens, Guinéens, Burkinabés, Nigeriens et autres) dès son arrivée au pouvoir? Les rackets, arrestations arbitraires, intimidations, chantages contre ces populations étaient monnaie courante et absolument injustifiée. Tout en sachant que certaines de ces populations étaient installées en Côte d’Ivoire depuis plusieurs générations, un tel harcèlement était absolument absurde. Et c’est l’accumulation de ces frustrations et maltraitances envers ces populations innocentes qui a servi d’alibi à la rébellion armée de 2002.

Deuxièmement, et comme pour mettre un point d’ honneur à sa haine de l’étranger, les escadrons de la morts furent mis en place. Ces prédateurs professionnels, avides de sang et de chair humaine sillonaient les quartiers populaires d’ ABOBO, ANYAMA, KOUMASSI, WASSAKARA etc pour enlever, torturer puis assassiner des soit-disants rébelles qui n’etaient en réalité que de pauvres habitants sans défense dont le seul tort était d’être étranger ou de porter un patronyme à consonance nordique. Combien de personnes ont été tuées au motif qu’elles s’appelaient Koné, Bamba, Ouattara, Coulibaly, Bakayoko ou que sais-je encore? Chers panafricanistes, est-ce cela le Panafricanisme dont Nkrumah, Cesaire et Garvey parlaient?

Troisièmement, comment justifier l’exclusion de plus de 2 millions de personnes des listes électorales au prétexte qu’elles sont de “nationalité douteuse”? Pour quiconque connait l’ Afrique, le brassage des populations et les migrations inter-états ont toujours existé. De même que les Baoulés étaient venus du Ghana, les Krous du Libéria, les Malinkés sont eux aussi venus du Mali, Burkina Faso et de la Guinée. Pourquoi donc exclure seulement ceux dont les noms sont à consonnance nordique et donc Malinké? Est-ce cela le panafricanisme prôné par George Padmore et WEB DuBois?

Houphouet Boigny4 en son temps avait anticipé ce problème en créant le “Conseil de l’Entente” en Mai 1959- conseil qui regroupait la Côte d’Ivoire, le Niger, la Haute Volta (Burkina Faso), le Dahomey (actuel Benin) et le Togo (qui y adhèra en 1966). Ce conseil avait non seulement pour but d’unir ces pays frères en respectant la souverainété de chacun, mais aussi permettait aux populations de ces pays de s’établir, travailler, voter et payer des impôts dans n’importe quel pays de l’Entente. Dire qu’Houphouet n’était pas panafricaniste serait de la pure mauvaise foi et de la malhonnetété. Qui ne se rappelle pas de ces nombreux Yaovi, Kossi, Tapsoba, Ouedraogo, Aruna, Kofi, N’Diaye etc, professeurs de Mathematiques, de Francais ou de Sciences Naturelles dans nos lycées et collèges dans les années 60-70 et 80?
Finalement je dirai qu’être Panafricaniste, c’est aussi savoir écouter les conseils de ses voisins Africains, regroupés au sein de la CEDEAO et de l’ Union Africaine (UA), qui ne cessent de lui demander de céder le pouvoir.

PANAFRICANISTES, VOICI LES DEFIS QUI NOUS ATTENDENT

Je terminerai mes propos en souligneant que bien que le Panafricanisme en lui même soit un concept qui fasse rêver les Africains, moi inclu, la réalité sur le terrain s’annonce beaucoup plus difficile tant les divergences entre nous sont énormes. A y regarder de près, la seule chose qu’on ait finalement en commun est la couleur de notre peau. Si on s’attarde sur la théorie de Nkrumah qui consiste à créer les Etats Unis d’Afrique-chose tout à fait souhaitable et faisable par ailleurs- plusieurs défis devront être adressés. Tout d’abord, il faudra résoudre le problème de l’uniformité de la langue. Deviendrons nous tous francophones, anglophones luzophones ou arabes? Ensuite, il faudra s’attaquer aux divergences réligieuses. Deviendrons-nous tous musulmans, chrétiens, animistes, raeliens, franc-macons etc? Tolérerons-nous que des femmes se fassent fouetter sur la place publique chez le voisin El-Béchir du Soudan sous pretexte qu’elles auraient porté des pantalons jugés trop moulants? Ou que des filles de 15 ans se fassent exciser en Guinée et au Mali pour les forcer à rester fidèles à des vieillards répugnants de 60 ans et plus, qu’on les aurait forcer à épouser? Allons-nous légaliser la polygamie? Allons-nous être plus tolérants envers les minorités telles que les malades du SIDA, les homosexuels et les femmes infertiles? Accepterons-nous que des personnes en Côte d’Ivoire indiquent aux escadrons de la mort les maisons de leurs voisins au prétexte qu’ils soient musulmans ou qu’ils aient voté pour Ouattara? Accepterons-nous au nom du panafricanisme que sous prétexte d’implication internationale en Côte d’Ivoire, Ouattara se fasse voler sa victoire aux élections présidentielles au simple argument que l’ami Yao du conseil constitutionnel ait dit qu’il devait en être ainsi?

Je vous invite donc chers intellectuels Africains à éviter tout amalgamme car votre panafricanisme, Laurent Gbagbo lui n’en a rien à foutre. Tout ce qui l’intéresse, c’est de s’éterniser au pouvoir peu importe le prix à payer, y compris la destruction de la Côte d’ivoire. “Au pouvoir, j’y suis, j’y reste” disait-il fièrement lors de la campagne présidentielle.

PS: une deuxième partie sera consacrée au Néocolonialisme
http://gilefarese.centerblog.net

1- Kamawrmesha, Auditeur Libre. http://www.lvdpg.org/Histoire-Les-peres-du-Panafricanisme_a3775.html, Juillet 2003
2- Isabelle Sciamma, http://www.afrik.com/article6347.html, Avril 2010
3- COJEP: http://www.cojep.info/index.php?p=statuts, preambule
4- Houphouet Boigny, http://www.rfi.fr/emission/20100906-1-speciale-archives-afrique-felix-houphouet-boigny-16

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