Côte d’Ivoire: NOUS REMETTRE EN QUESTION

yaondre

Dans le flot de nouvelles et de prises de positions passionnées qui s’enchaînent depuis près de deux mois à un rythme effréné à propos de la Côte d’Ivoire, il est difficile d’observer un temps d’arrêt pour jeter un regard lucide au-delà des lagunes d’Abidjan, de surmonter la psychose de la guerre civile qui guette et attise les passions dans un pays, jadis qualifié de « miracle » aujourd’hui au bord du gouffre.

Pourtant pour un continent qui doit connaître en cette année 2011 près d’une vingtaine de scrutins, la vigilance voudrait qu’on puisse, par delà la Côte d’ivoire, réfléchir sérieusement sur cette crise née d’un énième contentieux électoral afin de trouver des solutions qui la transcendent.

Nous incombe alors de nous surpasser pour réfléchir sereinement sur les contours et implications de la farouche bataille que se livrent Alassane Ouattara, président « élu » et reconnu par la Communauté internationale, et Laurent Gbagbo, président « sortant », hier adulé par les foules, devenu en quelques jours une quasi-paria sur la scène internationale.

En réalité, ce qui se joue en Côte d’Ivoire aujourd’hui n’est qu’un autre épisode de la tragédie « africaine » qui dépasse le seul pays « concerné » où il est le fruit d’un contentieux électoral et d’une bataille de pouvoir – ni plus, ni moins – comme on en a souvent vu ces dernières années sur le continent. Hier c’était le Kenya et ses lendemains d’élections meurtrières, puis le Zimbabwe et bien d’autres cas encore.

Encore une fois, il ne s`agit ici ni de religion, ni d’identité. Le mal africain, ce n’est point cela. Car sinon comment expliquer que des communautés qui ont paisiblement cohabité pendant des décennies, voire des siècles, se retrouvent soudainement ennemies au point de vouloir s’exterminer les unes les autres. Il n`est pas question ici de nier les spécificités culturelles de groupes de populations précises, mais de rejeter fermement les thèses coloniales répétées à souhait par des pseudo-experts qui veulent faire de nous des barbares-nés.

La tragédie de l’Afrique contemporaine, ce n’est point sa diversité culturelle ou « ethnique », c’est plutôt sa carence en leaders éclairés, intègres, défendant des valeurs et des principes. Notre grande malchance c’est l’absence de « chefs » désintéressés, mus pas l’intérêt général et seuls capables justement de fédérer nos différences, de se placer au dessus de la mêlée et d’arbitrer en toute impartialité nos petites querelles somme toute humaines. Jugé à l’aune de cette variable, Laurent Gbagbo n’est pas aussi « isolé » qu’il l’est aujourd’hui sur le champ politique ou sur le terrain diplomatique. Loin s’en faut.

Le mal africain, c’est cet égoïsme abject de quelques hommes, parfois mal choisis par nous-mêmes et, par d’autres fois, que le hasard (?) ou les accidents de l’histoire ont placés à la tête de nos nations et de nos destinées. Sous ce prisme là, la crise ivoirienne n’a rien d’étonnant pour ceux qui suivent attentivement l’évolution politique de l’Afrique contemporaine.

Donc, au-delà de l’actualité brûlante de la Côte d’Ivoire et du contentieux Gbagbo-Ouattara, notre réflexion, en tant qu’Africains, doit porter plus loin afin de disséquer et de contribuer à guérir le mal africain du moment, qui affecte la grande majorité de nos pays et rongent nos sociétés.

Mais avant de revenir sur la Côte d’Ivoire et la bombe qui y couve, sur les implications et les enseignements à tirer pour l’Afrique et les Africains de la tragédie postélectorale qui s’y joue, une petite digression s`impose pour évoquer le Brésil et son président sortant, Luis Inacio Lula da Silva.

Alors que la bataille pour la présidence faisait rage à Abidjan entre deux personnes, tout juste capables chacun de rassembler un peu plus que la moitié des suffrages (ou moins), le président Lula quittait la tête de son pays avec plus de 87 % de taux de popularité. A son départ de la présidence, il avait des résultats tangibles à son actif sur le plan social et économique que personne, y compris ses opposants les plus farouches, ne lui conteste. Il a quitté le pouvoir après avoir réalisé en grande partie son objectif d’améliorer le sort des populations brésiliennes et après avoir sorti plus de 20 millions de Brésiliens de la pauvreté !

Après avoir porté le Brésil sur l’estrade des nations aux économies performantes (aujourd’hui 8ème puissance économique mondiale), Lula a donc accepté de s’effacer sans bruit, haut la main. Il est parti après ses deux mandats qui lui étaient légalement impartis, sans que ne lui effleure cette idée saugrenue de s’éterniser au pouvoir, ni cette autre forfaiture consistant à modifier la constitution pour «prolonger » des mandats mal acquis au nom de « grands chantiers à finir » ou d’une supposée « volonté » populaire, très souvent bafouée du reste, mais toujours invoquée pour la circonstance. Du Burkina Faso au Cameroun en passant par le Niger, les exemples abondent.

Par son départ, en tout cas vu d’Afrique, le président Lula rend son bilan encore plus symbolique et son geste plus beau. Son sens du leadership et de l’intérêt général incontestable. Vu d’Afrique, Lula est ce chef dont nous rêvons tous pour apaiser nos nuits angoissées et que nous n’arrivons presque plus à trouver depuis que Nelson Mandela, cet autre leader-modèle, a dit « je me contenterai d’un mandat » et s’en est strictement tenu à ça. Depuis, nous rêvons…

Par son bilan et par ses actes à la tête de l’Etat brésilien, il a démontré que le pouvoir était un sacerdoce, que lui l`enfant pauvre, issu des Favelas qui aurait pu se laisser facilement grisé par les lambris dorés des palais, était venu accomplir une mission, et s’en aller.

Ses réalisations concrètes sont à opposer à celles de ces autres leaders aux discours pompeux surnommés dirigeants « Bling-Bling » qui, depuis quelques années (et pour une fois pas seulement en Afrique) peuplent désormais les couloirs des palais présidentiels et s’en prennent à cœur joie, de Paris à Dakar, en passant par Rome.

Non, Lula n’a absolument rien à voir avec ces autocrates qui, dans leurs pays, au mépris de toute morale et de toute décence se prennent pour des démiurges qui osent penser que sans eux, « c’est le néant !». Il n’a décidément rien à voir avec ces autres « leaders » qui en deux décennies, voire plus pour certains, n’ont fait qu’enfoncer davantage leurs pays dans la misère, et suprême insulte, osent toujours demander de rester au pouvoir. Mais bon Dieu, pour y faire quoi ? Sur ce point, Camerounais, Gambiens, Burkinabé, Nigériens, et aujourd’hui Ivoiriens, sans être les seuls , doivent comprendre mieux que quiconque de quoi nous parlons.

Cette longue parenthèse sur Lula et le Brésil juste pour démontrer que le pouvoir ne doit jamais être une fin en soi et répéter en direction de Laurent Gbagbo et de ces supporters zélés, ce que tout le monde a déjà dit : il est grand temps de… partir, M. le président. Ni politiquement, ni moralement, vous ne pouvez rester, fussiez-vous le vainqueur que vous prétendez être « légalement » ! Le pragmatisme et l’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire vous dictent de partir, au risque de brûler cette belle terre de Côte d’Ivoire que nous aimons tous.

Soit dit en passant, l’auteur de ces lignes ne parle ici ni en supporter d’Alassane Ouattara, ni en adversaire de Laurent Gbagbo. Il ne connaît ni l’un, ni l’autre. Nous ne soutenons que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens qui méritent la paix et le bien être, pour eux aussi contribuer au développement de l’Afrique. Car, assurément, le peuple ivoirien mérite mieux que le spectacle que lui offrent ces deux leaders.

La clarification faite, réaffirmons de manière catégorique que Laurent Gbabgo « doit partir », en souhaitant qu’il partira en paix. Pas tant pour répéter les « vœux » et « injonctions » de la nébuleuse « communauté internationale » dont on a souvent dénoncé et continue de dénoncer le « double jeu et le double langage», mais c’est parce que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens, les Africains plus généralement ont objectivement besoin de ce départ.

La première raison objective est d’abord à trouver sur le bilan du président sortant, au plan social et économique. Si en dix ans de pouvoir, Laurent Gbagbo n’a pas pu faire ce que Lula, dont nous évoquions l’exemple plus haut, a fait en seulement huit ans, ce n’est pas en cinq ans qu’il pourra le faire. Et certainement pas durant les cinq prochaines années – et encore faudrait-il qu’il résistât et restât jusque là – étant réduit au statut de président-paria, sans aucun pouvoir réel, si ce n’est sur une armée qui risque de virer vers une force de répression, des médias d’Etats que l’on accuse déjà de dérives partisanes pour dire le moins, et des institutions largement discréditées depuis l’épisode honteux du 3 décembre 2010.

Deuxième raison objective : au plan politique, si en dix ans de pouvoir, Laurent Gbagbo n’a pas pu réconcilier les Ivoiriens avec leur histoire et avec eux–mêmes et poser les bases d’une nation unie et forte aux institutions crédibles et respectées, ce n’est pas en restant au pouvoir pour un mandat controversé, mal acquis, qu’une bonne moitié de la population ivoirienne lui conteste, un mandat encore plus « calamiteux » que le premier – ce n’est pas avec un tel mandat biscornu qu’il le réussira. Qui plus est dans un pays toujours divisé et déjà de facto bicéphale. Donc, si c’est le seul avenir de la Côte d’Ivoire et le seul intérêt des Ivoiriens qui vous intéresse, M. Le président, il vous est alors impérieux de partir.

Troisième raison objective : l’isolement diplomatique à travers le continent et la sous-région où jusqu’à la très molle et apolitique Union économique et monétaire ouest africaine, on a pour une fois osé élevé la voix contre un « président ». Faut-il encore ajouter que jamais un chef d’Etat africain n’a été aussi isolé et aussi contesté, non seulement par la « communauté internationale », mais surtout cette fois-ci, par la communauté africaine dans son ensemble.

Jamais les huit pays qui se partagent le franc CFA en Afrique de l’Ouest n’ont demandé à la Bceao (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest) de ne pas reconnaître une signature d’un « chef d’Etat ». Du côté d’Abidjan, on y voit certes la main de la France, mais le fait est là, Gbagbo aura été le premier à recevoir une telle gifle. Que la décision ait été, sur la forme, souverainement adoptée par les pays membres de l’Uemoa ou qu’elle ait été inspirée de Paris, ne change en réalité que très peu à son fond et à ses implications. Gbagbo doit en tirer les conséquences et partir.

Faut-il rappeler que l’ex-président Mamadou Tandja du Niger, au pire de ses dérives « monarchistes », en dépit des nombreuses sanctions édictées contre lui, détenait encore la « signature » de son pays à la Bceao? Faut-il rappeler, pour convaincre les conseillers zélés de Laurent Gbagbo qui refusent de voir la réalité en face, que jamais aucun chef d’Etat africain n’a été l’objet d’un tel rejet (quasi unanime) de la part de ses pairs africains ? Quels que soient par ailleurs les raisons de cette répulsion, elles devraient donner à réfléchir et rappeler le camp Gbagbo à la raison. Leur faudrait-il encore plus de cadavres pour enfin ouvrir les yeux ?

Il est bon ici de souligner à l’intention du président Laurent Gbagbo et de ses partisans intéressés qui seraient tentés par des comparaisons, que si Robert Mugabe, au plus fort de son « isolement » diplomatique, a pu tenir, en dépit des sanctions imposées contre lui par les puissances occidentales, c’est parce que les nations africaines, l’Union africaine et une grande partie de l’opinion publique africaine, dans leur ensemble ont fait contrepoids, et l’ont vigoureusement et publiquement soutenu.

Le soudanais Omar El-Bachir, tout accusé qu’il est par l’occident et la Cour pénale internationale (CPI), reste soutenu par la majorité des chefs d’Etats africains, l’Union africaine et la Ligue des Etats arabes, d’où sa survie et ses défis répétés à la communauté internationale et ses pieds de nez à Luis Moreno Ocampo, le ci-fameux procureur de la CPI.

On ne voudrait pas comparer le président Gbabgo aux tenants de l’apartheid en Afrique du Sud, mais est-il nécessaire de rappeler à l’historien Gbagbo, que même ce régime barbare, dans les pires moments de sa politique ségrégationniste, qui révolta tous les Noirs et tous les humanistes épris de paix et justice de par le monde, ce régime là, si méprisable et si-honni fût-il, comptait encore quelques soutiens et partenaires qui refusaient de lui imposer des sanctions ou qui, en douce l’aidaient à contourner celles-ci.(Ironie de l’histoire, la Côte d’Ivoire de feu Houphouët Boigny que combattait l’opposant Gbagbo était supposée faire partie de ceux là !)

Mais qui soutient Laurent Gbagbo aujourd’hui ? L’Angola, dit-on. Très objectivement, c’est peu. En dépit de ses richesses pétrolières et de son passé récent caractérisé par une victoire sur une rébellion armée, l’Angola ne peut à elle seule retourner le cours de l’histoire devant la quasi-unanimité de toutes ces autres nations qui s’opposent aujourd’hui fermement à Laurent Gbagbo et à son maintien au pouvoir. Les raisons peuvent être mesquines et incohérentes, intéressées ou sans fondement, mais, répétons-le, M. le président, il est encore temps pour vous de partir. Vous le devez à l’Afrique, vous le devez à la Côte d’Ivoire. Peut-être que demain, il sera trop tard.

L’idée de ce départ se défend d’abord et avant tout pour éviter la déchirure fatale et le désastre final à la Côte d’Ivoire, éviter que ce beau pays déjà martyr et si important pour toute notre sous-région ouest africaine, ne tombe dans le chaos et se « somalise ».

Ensuite d’un point de vue symbolique, un tel départ serait un message fort et clair à destination de tous les autres leaders africains. Les organisations régionales africaines, l’Union africaine et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, en tête, n’auraient plus de « raison » de soutenir de facto les « présidents sortants » lorsque survient un contentieux électoral. Ce qui a presque toujours été le cas jusqu’ici.

En acceptant de quitter le pouvoir, Laurent Gbagbo contribuerait – contrairement à une certaine thèse sournoisement véhiculée sur le continent – à renforcer l’idée qu’on organise aussi des élections pour… les perdre. Le cas ivoirien pourrait servir de jurisprudence et marquer l’avènement de cette nouvelle ère apaisée à laquelle les citoyens africains aspirent tous. On mettrait ainsi un terme à ces élections réglées d’avance ainsi qu’à l’épisode de ces gouvernements dits « d’union », à l’efficacité douteuse.

Enfin, cela est d’un ordre plus subjectif et reste discutable, mais garde son importance : Gbagbo et l’ensemble de nos chefs d’Etats africains, doivent enfin se mettre dans la tête que dix ou douze ans au pouvoir, c’est largement suffisant pour laisser son empreinte dans un pays et sortir par la grande porte. Au-delà on est en plein dans les excès que rien, absolument rien, ne peut justifier.

Nous rappelons que c’est en huit ans que Lula a fait les réalisations qui lui valent le taux de popularité évoqué plus haut. Le valeureux Thomas Sankara, malgré ses quelques erreurs dues à la fougue de la jeunesse, est resté un modèle dans son pays et pour la jeunesse africaine pour avoir positivement et très profondément transformé la société et la nation burkinabè. Pourtant son passage à la tête de l’Etat fut bref et a duré moins de cinq ans. D’où la nécessité d’accepter qu’on peut faire beaucoup même en un mandat et d’admettre la nécessité d’une alternance pacifique dans des délais raisonnables. L’Union africaine, en poussant Gbagbo à la porte devra demain se donner les moyens d’ancrer cette « tradition », voire de la codifier, pour rester constante sur cette position.

Toutefois, aussi importante que soit l’alternance au sommet de l’Etat, il faut avant d’aller plus loin, revenir ici sur une idée fausse qui continue de nous causer beaucoup de torts et qui concerne la plupart des pays africains : l’avènement du multipartisme dans les années 90 a fait croire que la démocratie se résumait aux élections tous les quatre ou cinq ans. On a tellement investi en ressources de toutes sortes (financements, observateurs, études, systèmes) sur les processus électoraux pour n’aboutir qu’à des résultats désastreux que l’intelligence dicte de s’arrêter et de se dire que la démocratie, c’est bien plus qu’un scrutin. Avec la Côte d’Ivoire, cela se vérifie encore une fois, une élection ne fait pas la démocratie.

Une évidence : l’élection suppose des préalables dont celui qui nous paraît le plus fondamental et qu’on a souvent négligé est la présence de citoyens bien formés et bien informés, capables de comprendre les enjeux autour d’une nation et de cerner le sens d’une élection afin de pouvoir en accepter les règles. A côté de ceux-ci, il faut aussi une classe politique intègre qui accepte de jouer le jeu, des arbitres impartiaux, et pour reprendre le président américain Barack Obama, des « institutions fortes ».

A défaut de cela, on aura beau organiser des scrutins, beau plaquer les meilleurs systèmes électoraux du monde, beau envoyer des observateurs électoraux, le résultat risque d’être le même. Si la communauté internationale se voulait franche dans ses relations avec l’Afrique (il ne faut pas rêver, elle ne l’est pas), c’est ici que nous aurions besoin de toute son aide et de tout son appui. Si elle voulait soutenir une démocratisation viable de l’Afrique, elle s’intéresserait aux préalables listés ci-dessus qui passent par des investissements massifs dans le secteur éducatif, seul à même d’aider à la formation et à l’émergence d’une nouvelle classe de citoyens alertes et de dirigeants avisés.

Sans ces préalables, nos populations resteront toujours à la merci des hommes politiques véreux et des premiers arrivistes venus. Ce travail c’est d’abord aux Africains à qui il a été donné la chance de comprendre les enjeux et exigences du monde moderne d’en être les premiers acteurs pour en finir avec les fausses solutions « à la vernis » dont nous sommes inondées et pour espérer ne plus avoir les leaders incapables qui nous gouvernent.

Car c’est bien là, une autre facette du drame africain. Celui de ce leadership pouvoiriste, affairiste et défaillant, très souvent en déphasage avec la réalité. C’est celui d’une classe politique plus mercantiliste que dirigeante, plus prompte à se servir qu’à servir. Les avancées notoires et fort louables marquées par le Ghana, le Bénin, le Cap Vert, le Mali en terme d’alternance et de transfert pacifique du pouvoir – pour ne citer que quelques exemples en Afrique de l’ouest – ne doivent pas masquer la réalité, qui est celle d’une Afrique qui, en grande partie, a « mal à sa démocratie » et qui souffre d’un déficit de leadership, de citoyenneté et justice sociale.

Est-il besoin d’insister encore à l’endroit de ceux qui nous dirigent et à ceux qui aspirent à nous diriger que les velléités monarchistes et les aspirations dynastiques sont d’une autre époque et ne peuvent qu’engendrer des tragédies ? Ce rappel vaut pour Gbagbo certes, il vaut aussi pour plusieurs de ses « pairs » africains qui ne réclament la démocratie et l’alternance que lorsqu’ils sont dans l’opposition. Une fois installés au sommet de l’Etat, ils deviennent incapables de discernement et de lucidité. Or, à notre avis, c’est ce manque de leadership responsable et éclairé, ce manque de retenue et de pudeur face au pouvoir, qui est à l’origine de nos maux actuels.

Tout ceci pour dire qu’en réalité, aussi isolé qu’il soit aujourd’hui, Laurent Gbagbo est loin d’être le seul à vouloir « usurper » le pouvoir et à s’y éterniser, en usant d’artifices juridiques. Il est fort probable que cet épisode ne soit pas le dernier à interpeller les peuples africains sur la question du pouvoir et du leadership, sur la durée et la limitation des mandats présidentiels, sur l’exercice de la citoyenneté bref, sur la « gouvernance démocratique » pour utiliser une expression en vogue.

C’est bien là que le mal africain trouve sa racine : dans ces politiciens aveuglés par leur intérêts égoïstes et pris dans le piège de petits lobbies qui gravitent autour d’eux pour s’enrichir et gérer des privilèges, ces leaders qui refusent de comprendre que le 21ème siècle n’est plus celui des présidents à vie, qui oublient qu’il y a plus de 20 ans que le mur de Berlin est tombé, qu’il est bien révolu le temps de la rivalité Est-Ouest qui permettait tous les excès, tous les abus, toutes les bavures et toutes les dérives. Le fuyard Zine El Abidine Ben Ali ne démentira pas.

Le Niger de Mamadou Tandja, dans une moindre mesure le Sénégal du président Abdoulaye Wade, sont là pour démontrer à la face du monde que les « acquis démocratiques » ne se résument pas à un scrutin. Ils vont au delà d’une élection à succès et d’un président « démocratiquement élu ». De la fragile Guinée Bissau au « géant » nigérian (aujourd’hui à la pointe du combat contre Gbagbo) les exemples ne manquent pas qui méritent réflexion ainsi que des prises de position et des mesures courageuses, énergiques mais surtout inventives, si l’on veut traiter le problème dans son ensemble une bonne fois pour toutes, en tirant les leçons des crises actuelles ou passées.

L’une des premières leçons, il faut le répéter, c’est d’accepter qu’une élection est loin, très loin de suffire pour ancrer un pays dans la démocratie. Il faut beaucoup plus, et cela, nous insistons, va au delà de la Côte d’Ivoire et du cas problématique du « président » Gbabgo et de son rival Alassane Ouattara.

Alassane Ouattara, qui se prévaut du soutien de la communauté internationale, devra avec ses partisans retenir cette leçon et travailler à ancrer la démocratie dans son pays. Mais on l’a vu, c’est souvent des vœux pieux d’opposant, très vite oubliés une fois franchies les marches du palais présidentiel. Et c’est là justement qu’on pourra juger du leadership du « président » Ouattara, de son sens de l’Etat et de l’intérêt général. Car ce n’est pas chose aisée que d’hériter d’un pays aussi déchiré que la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui et d’en refaire une nation forte, unie et prospère.

Si ces leçons ne sont pas retenues et ces paramètres pris en compte, inutile de se battre pour qu’Alassane Ouattara s’installe au pouvoir à la place de Laurent Gbagbo. Inutile de remplacer le bouc par la chèvre au milieu des plantes. Car, il ne faut pas se leurrer, Ouattara, par sa longue présence « conflictogène » dans l’arène politique, fait aussi partie du mal ivoirien et son entêtement à se retrouver à la tête de la Côte d’Ivoire laisse dubitatif quant à ses réelles ambitions et motivations. Vu son passé politique controversé, il lui faudra plus que des discours pour convaincre ceux qui n’ont pas voté pour lui (près de la moitié des électeurs). L’intérêt supérieur de la Côte d’ivoire aurait dicté d’ailleurs que depuis longtemps, avant même ce scrutin, il se retirât de la scène politique pour aider à pacifier son pays.

Ce sont ce genre de décisions certes pas faciles, mais justement des décisions audacieuses que l’on attend d’un homme d’Etat. Eviter coûte que coûte la déchirure et les malheurs à son pays. On n’y perd un poste présidentiel peut-être, mais jamais la face. L’ex-candidat démocrate à la présidentielle américaine de 2000, Al Gore, n’a jamais digéré sa défaite devant George W. Bush. Mais une fois le verdict final rendu, il a choisi la voie de la sagesse au lieu d’entraîner son pays dans des contentieux coûteux et inutiles.

En Afrique, le coût de ces contentieux se compte malheureusement en vies humaines que Ouattara aurait pu aider à épargner. A ce titre, le geste magnifique de Cellou Dalein Diallo, en Guinée aurait bien pu inspirer Ouattara. En ne l’ayant pas fait, il s’agrippe au pouvoir et se retrouve dans la même posture pouvoiriste que celle de Gbagbo qu’il combat si farouchement.

D’ailleurs, une des erreurs de la communauté internationale et des nombreux médiateurs dans la crise ivoirienne, c‘est de n’avoir pas réussi à exclure du jeu électoral tous ces vieux routiers qui depuis la mort d’Houphouët Boigny s’entredéchirent et martyrisent leur pays et leurs compatriotes pour des querelles presque crypto-personnelles.

En tout cas, il faudra à Ouattara d’immenses efforts pour faire mentir la réputation qui le précède au palais présidentiel si jamais il y accède, et répondre à l’impératif de réconcilier les Ivoiriens, un terrain où la Côte d’Ivoire et toute l’Afrique l’attendent.

Mieux encore il lui faudra expier cet autre péché qui lui colle à la peau et prouver qu’il est là pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens d’abord, et non pour défendre des intérêts étrangers, qu’ils soient africains ou occidentaux, comme on lui en prête l’intention. Les Ivoiriens ont trop souffert durant la décennie écoulée pour se retrouver dans quelques années encore à mener d’autres batailles meurtrières, contre qui que ce soit.

S’ il es très facile d’accuser la classe politique, il est vrai première responsable de nos malheurs, l’élite intellectuelle de ce continent n’est pas exempte de reproches non plus. Elle donne tout l’air d’une élite parasite, plus prompte à s’acoquiner avec des chefs d’Etat pour s’enrichir et jouir de privilèges, que de jouer son rôle d’avant-garde dans la défense de l’intérêt général et la promotion d’une citoyenneté exemplaire.

Les réalités de l’Afrique d’aujourd’hui, ses meurtrissures et ses convulsions profondes exigent pourtant que cette élite soit plus alerte, plus critique et réfléchisse à des solutions qui préservent la paix et la stabilité de nos pays. Or que voit-on partout ? Des intellectuels « respectables » servir d’idéologues à des régimes vomis.

L’autre problème africain que rappelle la crise ivoirienne, c’est ce manque de vigilance et d’engagement de ces mêmes élites et leur manque d’anticipation. Cela vaut surtout pour ceux installés dans nos organisations sous régionales où les fonctionnaires sont plus occupés à gérer leurs carrières et leurs salaires, qu’à réfléchir sérieusement sur le devenir du continent, plus intéressés par les postes à prendre qu’à suggérer des solutions audacieuses pouvant aider à la prise de décisions salvatrices.

Pourtant, face à des gouvernants toujours prêts à des forfaitures, ces organisations sous régionales, fortes de leur mandat supranational, pourraient contribuer au sauvetage du continent. Mais faudrait-il encore que ceux et celles qui y travaillent et les dirigent aient la ferme conviction de pouvoir être utiles, veuillent le changement, aient la volonté de servir, croient en l’action publique et osent miser sur l’Afrique et les Africains.

Pour pousser ces organisations à jouer leur rôle et à recentrer le sens des priorités, l’intelligentsia et la société civile africaine sont interpellées et doivent faire preuve d’indépendance, au lieu de jouer aux perroquets de service et d’épouser aveuglément des causes venues du dehors et de répéter à souhait des slogans de circonstance, en parfait déphasage avec nos défis propres qui se posent à l’ensemble du continent, et pas seulement à la Côte d’ivoire.

Sur ce chapitre, l’exigence de réconciliation, au sein et entre des communautés que des « entrepreneurs » politiques égoïstes ont dressé les unes contre les autres demeurent une priorité parmi les priorités. Ces solutions ne viendront ni des fonctionnaires de l’Onu, ni des petits juges de la CPI. Sans être adepte du « copier-coller », on peut citer le cas de l’Afrique du Sud, pays au passé hautement plus douloureux, qui a montré la voix. Les solutions à nos maux, pour être durables, doivent en premier lieu, être inspirés de l’intérieur et portés par nous mêmes. Les soutiens extérieurs ne devant venir qu’en appoint. Penser que c’est impossible relève purement de la démission et reviendrait à conduire le continent tout entier à l’échafaud.

Enfin, la dernière facette du mal africain qu’il importe de guérir, c’est vous et moi. Oui, chacun de nous, citoyens ordinaires pris individuellement et qui dans notre vie de tous les jours refusons de nous surpasser et de nous remettre en question. Nous qui exigeons toujours des politiques et de tous les autres une rigueur que nous refusons d’appliquer à nous mêmes. Cela va du fonctionnaire qui attend une faveur indue de son supérieur mais si prompt à critiquer son collègue « absentéiste », au fidèle ministre qui une fois limogé se trouve soudainement des vertus d’opposant radical et de chantre de la bonne gouvernance. Que dire de tous ces hommes d’affaires qui, tant qu’ils raflent les marchés publics laissent passer tous les abus et tous les scandales, mais une fois en disgrâce se positionnent en défenseurs des faibles pour réclamer justice et égalité ?

Assurément, on ne peut bâtir une nation sur cette honteuse agrégation « d’intérêts particuliers », pour reprendre les termes d’un ex-ministre sénégalais.

En définitive le mal africain, c’est chacun de nous, lorsque nous piétinons les principes qui doivent servir de repères à des sociétés justes et solides. C’est chacun de nous à chaque fois que nous cédons à des pratiques que nous dénonçons par ailleurs lorsqu’elles sont l’œuvre des autres.

Sur ce plan, les citoyens fautifs que nous sommes n’avons rien à reprocher ni à Gbagbo ni à Ouattara, ni à quelque politicien que ce soit. Du moins, jusqu’au jour où nous accepterons de nous remettre en question et de devenir ce que nous aurions jamais dû cesser d’être : des citoyens exemplaires pour mériter des leaders modèles, seuls capables de bâtir une Afrique prospère.

Par Hamadou Tidiane SY*
*L’auteur, Hamadou Tidiane SY, est un Journaliste sénégalais.
Fondateur d’Ouestaf News, Fulbright New century Scholar (2003) et élu en 2008 “News and Knowledge” Fellow par les Fondations Ashoka e t Knight.

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