Par IRIN avec afrikeco.com
Pendant que les rivaux politiques en Côte d’Ivoire s’échangent des pointes, que les diplomates font des déclarations et que les groupes régionaux émettent des avertissements, de nombreux Ivoiriens mangent moins afin de pouvoir nourrir leurs enfants, en raison de la hausse, et dans certains cas du doublement, des prix des aliments de base, comme l’huile de cuisson, le riz et la farine.
Selon des Ivoiriens à Abidjan, la capitale commerciale, la crise pour l’instant frappe essentiellement les familles pauvres dont le nombre est en train d’augmenter : en 2008 presque la moitié de la population de 20 millions d’habitants de la Côte d’Ivoire vivait en dessous du seuil de pauvreté de 1,25 dollar par jour, comparé à un tiers en 2000, et à 38 pour cent en 2002, selon le Fonds monétaire international (FMI).
« La pauvreté a connu une hausse tendancielle [durant les 20 dernières années], en raison des crises sociopolitiques et militaires successives », a dit le FMI dans son rapport sur le pays pour l’année 2009.
« Nous sommes à bout de souffle », a dit à IRIN Françoise Mahan, sage-femme dans le district d’Abobo à Abidjan, un mois après le second tour des élections présidentielles qui se sont achevées sur une impasse sans précédent avec deux camps politiques réclamant le pouvoir. Déjà, après le premier tour en octobre, les tensions avaient conduit à certaines hausses des prix.
« Je ne peux plus faire le marché avec 2.000 FCFA [4 dollars] pour ma famille de trois personnes. Désormais j’ai besoin de 50 pour cent de plus – mais en ce moment nous ne pouvons pas nous le permettre ».
Le prix des denrées alimentaires monte en flèche à Abidjan et dans d’autres grandes villes. Dans la ville d’Odienné au nord et à Gagnoa dans le centre de la Côte d’Ivoire, un kilo de sucre coûte maintenant 2,40 dollars alors qu’il coûtait avant la crise électorale 1,25 dollar ; et il en est de même pour un litre d’huile de cuisson. Un sac de riz coûte maintenant 35 dollars à Odienné et dans la ville de Korhogo dans le nord ; les familles pouvaient acheter le même sac pour 26 dollars avant la crise.
A Abidjan, un kilo de viande coûtait auparavant 2,80 dollars, les prix s’échelonnent désormais entre 4,40 dollars et 5 dollars.
Alors que le gouvernement du président reconnu par la communauté internationale, Alassane Ouattara, a appelé à une grève nationale commençant le 27 décembre – pour essayer de forcer le président sortant Laurent Gbagbo à se retirer –, de nombreux Ivoiriens essayent simplement de joindre les deux bouts.
« Nous avons entendu parler de l’appel à la grève », a dit un jeune dans la ville de Gagnoa au centre. « Mais c’est la période des vacances et certains voulaient sortir pour essayer de se faire au moins un peu d’argent ».
Karim Koné, pompiste dans une station essence dans le district d’Adjamé à Abidjan, a dit qu’il mangeait moins chaque jour pour faire durer le peu de nourriture qu’avait la famille. « En quelque sorte, je me prive de manger dans la journée. Je préfère prendre mon petit déjeuner et attendre le soir pour partager la nourriture en famille ».
Effet boule de neige
Le manque de pouvoir d’achat des gens frappe les vendeurs et cela a un effet boule de neige. « Avant je pouvais faire un bénéfice de 15.000 FCFA la journée. Mais depuis une semaine, ce n’est plus possible », a dit Ousmane Diallo, vendeur de viande à Adjamé. « Les clients se font rare ».
A Cocody, un quartier plus riche d’Abidjan, Fatim Touré attend attentivement ses clientes. « Beaucoup se détournent lorsque je leur donne les prix », a-t-elle dit à IRIN. « Mais cela n’est pas de notre faute ; à cause de la crise, les transporteurs augmentent les prix pour amener les légumes à Abidjan ».
Elle a ajouté que le sac d’aubergines qui coûtait 20 dollars coûte maintenant 26.
Jusqu’à présent, les prix de l’essence, qui fluctuent périodiquement, n’ont pas considérablement augmenté pendant la crise ; mais des chauffeurs ont dit à IRIN qu’à cause de l’instabilité moins de chauffeurs se risquent à sortir et les prix des transports – à la fois pour les passagers et pour les biens – sont à la hausse.
« Certains de nos collègues ont arrêté de rouler à cause de la grève », a dit à IRIN Drissa Fofana ; un chauffeur de taxi. « Mais pour nous, il nous faut faire vivre nos familles. La situation est tendue alors nous prenons le risque ; nous avons doublé nos tarifs, même si les prix de l’essence sont restés les mêmes ».
Le combustible pour la cuisine revient plus cher aux familles : à Abidjan, une bouteille de gaz de 12 litres qui coûtait avant neuf dollars coûte désormais 13 dollars. Un vendeur au marché de Gagnoa a dit à IRIN que le charbon qui coûtait avant 10 dollars le sac coûte maintenant le double.
« Tout le monde vit des moments difficiles, alors personne ne peut vraiment blâmer les vendeurs », a dit une mère de sept enfants qui vend des jus de fruits et d’autres articles au marché de Gagnoa. La crise a seulement aggravé une situation déjà difficile pour sa famille ; elle a dit que son matri était sans travail et qu’ils ne pouvaient pas se permettre de mettre leurs enfants à l’école.
Des familles avec des revenus plus élevés à Abidjan peuvent stocker des suppléments de nourriture chez eux dans le cas de futurs troubles. Certains disent que l’impact le plus significatif pour l’instant était qu’ils se sentaient confinés dans leur maison.
« Chaque semaine, nous nous approvisionnons au supermarché, juste au cas où », a dit Bertrand Comoé, un cadre bancaire. « Je ne permets pas aux enfants d’être dehors après six heures du soir. Tout le monde est à la maison après cette heure ; c’est comme une prison. C’est stressant, mais nous devons faire ce que nous pouvons pour éviter le pire ».
Une déclaration conjointe du 5 décembre de la Banque africaine de développement et de la Banque Mondiale a exprimé des inquiétudes au sujet de l’impact de la situation politique sur l’Ivoirien moyen. Après s’être réengagé en Côte d’Ivoire en 2008 suite à une suspension des relations en 2004, la Banque Mondiale a fermé son bureau dans le pays et a arrêté de débourser des fonds depuis la crise électorale.
« La crise persistante en Côte d’Ivoire entraînera davantage de nombreux autres Ivoiriens dans la pauvreté et mettra à mal la stabilité et la prospérité économique dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest », selon la déclaration.
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