Par Venance Konan
Mon cher Pablo. En t’écrivant cette lettre ouverte, je nous revois ensemble, à Nice, où nous avions terminé nos études de droit. Tu y étais avant moi, et tu as terminé avant moi. Tu étais le grand frère cool, sympa, qui rendait service à tous ses petits frères que nous étions, le plus branché des étudiants ivoiriens sur la Côte d’Azur. Tu te souviens des cours de rock que tu nous donnais ? Tu étais aussi le plus doué en droit de ta génération. Je me souviens parfaitement de ta soutenance de thèse. Elle fut brillante. Oh, tu ne nous cachais pas ton aversion pour le régime d’Houphouët-Boigny, et nous étions tous dans le même état d’esprit. C’était dans l’air du temps. Tu étais l’un des premiers militants du FPI encore dans la clandestinité. Tu l’es resté lorsqu’il a été légalisé. Tu es rentré au pays avant nous, pour enseigner à l’université. Et je ne fus pas du tout surpris de la suite de ta carrière universitaire. Lorsque je suis rentré, j’ai choisi d’être journaliste. Mais nous avions gardé les meilleures relations. Je nous revois encore à cette fête que j’avais organisée dans mon appartement de Williamsville, où tous les « anciens Niçois » que nous étions s’étaient retrouvés. Elle fut belle. Et lorsque, beaucoup plus tard, tu fus nommé à la tête du Conseil Constitutionnel, je dis à tous mes interlocuteurs que sur le plan de la compétence, et de la rigueur intellectuelle, tu étais inattaquable.
Le vendredi 3 décembre 2010, l’histoire t’a mis face à tes responsabilités. Des amis et moi avions fait le pari qu’en ce moment crucial pour notre pays, l’intellectuel, le scientifique, prévaudrait sur le militant. Nous avons perdu. Quelle tragédie pour nous tes amis, Pablo ! Ce n’est pas l’ancien apprenti juriste que je suis resté qui te dira, à toi, le maître, notre droit positif, dont tu as la garde. Ce droit dit que si les résultats sont contestés dans une région et qu’ils sont de nature à entacher l’ensemble du scrutin, on annule l’élection et on le reprend dans 45 jours. Tu as contesté les résultats de sept régions, ce qui a abouti selon toi, à inverser le résultat final. Selon donc le droit dont tu as la garde, tu aurais dû dire que l’on reprenait l’élection dans 45 jours. Mais, Pablo, sur quoi t’es-tu basé pour procéder à ces annulations ? D’abord, en te précipitant sur le plateau de la télévision dès la proclamation des résultats par le président de la CEI, ne t’es-tu pas comporté plus en militant qu’en président du Conseil des sages ? Mais après, si tant est que ces résultats devaient être annulés, pourquoi n’as-tu pas appliqué le droit qui te demandait de prononcer l’annulation pure et simple de l’élection et leur reprise dans 45 jours ? Mais surtout, Pablo, sur quoi t’es-tu basé pour prononcer ces annulations, lorsque les préfets de ces régions, représentants de l’Etat, les observateurs de la communauté internationale, l’ONU, dont nous avons tous accepté au préalable le rôle de certificateur, ont tous produit des rapports attestant que s’il y a eu des incidents, ceux-ci n’étaient pas de nature à entacher le résultat des votes ? Tu avais une semaine, selon la loi dont tu es le gardien, pour examiner sereinement tous les 22.000 PV. Tu veux nous faire croire, Pablo, que tu as fait tout cela en une journée ? Pablo, Pablo ! Le plus grave, c’est que, même en retirant les votes que tu as invalidés, Ouattara restait le gagnant avec un peu plus de 50%. Nous avons tous sorti nos calculettes et c’est clair. Et c’est bien ce que M. Choi avait dit. Où as-tu acheté ta machine à calculer, Pablo ? Méfie-toi des produits chintok. Tous les lecteurs de cet article peuvent à leur tour sortir leurs machines à calculer.
Pablo ! Tu avais le rôle historique de faire entrer notre pays dans une nouvelle ère, celle de la paix et de la réconciliation retrouvée. Tu as choisi de défendre le clan contre tout le reste de la Côte d’ivoire, contre le monde entier. Quelle tristesse ! Aujourd’hui, notre pays est au bord du chaos, par ta faute, Pablo. Aucun argument juridique que tu avanceras ne résiste à l’analyse. Notre droit ne t’autorisait pas à tordre son cou. La constitution te donnait le dernier mot. Mais tu sembles avoir oublié que c’est nous, Ivoiriens, Laurent Gbagbo en tête, qui avons accepté, justement parce que nous n’avions pas confiance en nos propres institutions, que l’ONU certifie en fin de parcours les résultats de notre élection. Tu sais bien, toi le grand juriste, que les accords particuliers prévalent sur le droit général. C’est bien pour cette raison que le Conseil constitutionnel que tu présides ne s’est pas prononcé sur les candidatures de Bédié et de Ouattara qui ne respectaient pas la constitution au sens strict. Nous avons accepté que M. Choi certifie les résultats du premier tour. Pourquoi ne pourrait-il plus certifier ceux du second tour ? Alors, que nous chantes-tu là, Pablo ?
Tu as déclaré Gbagbo vainqueur de l’élection, en dépit du vote exprimé par les Ivoiriens, en dépit du bon sens, et en dépit de la paix sociale. Je te le répète, Pablo, notre pays est au bord du chaos, par ta faute. En ce moment, nous nous battons pour ne pas y tomber. Mais si nous y tombons malgré tout, qu’y aurais-tu gagné, Pablo ? Qu’y aurais-tu gagné ? Et qu’y aurait gagné ton ami Gbagbo, pour qui tu as été jusqu’à hypothéquer ta carrière universitaire et ta conscience d’intellectuel ? Te souviens-tu de ce que ton gourou avait dit à Abengourou, en 1999, lors de la « fête de la liberté ». Il disait ceci, à propos de Slobodan Milosevic : « lorsque tu es dans un village et que tout le monde dit que ce pagne est blanc, si toi, tu le vois en noir, il faut te poser des questions. Milosevic a le monde entier contre lui. Où croit-il pouvoir aller ? » Oui, Pablo, où crois-tu que vous pourrez aller, toi, Gbagbo, et toute votre bande, avec la CEDEAO, l’Union Africaine, l’ONU, les pays les plus importants de notre région, du monde entier contre vous ? Où est-ce que les militaires et miliciens qui soutiennent encore votre régime et qui lui permettent de plastronner dans notre télévision nordcoréisée croient-ils qu’ils pourront aller ? Qu’espèrent-ils gagner en hypothéquant leurs carrières et celles de leurs enfants en soutenant un régime moribond ? Déclencher des tueries ? La Cour Pénale Internationale les a déjà prévenus. Elle surveille tout ce qui se passe ici en ce moment. Passer le reste de sa vie dans une prison en Hollande n’est pas quelque chose à souhaiter à quelqu’un, ni à désirer pour soi-même. Que tous nos militaires et miliciens méditent cela. Jean-Pierre Bemba était le tout-puissant et richissime chef de guerre et vice-président de la RDC. On sait où il est en ce moment. Charles Taylor était le non moins puissant chef du Liberia. Il sait que sa vie finira dans une prison. Est-ce ce que le brillant juriste que tu es ignore ? Les jérémiades de vos suiveurs instrumentalisés sur notre souveraineté bafouée n’y changeront rien, tu le sais. Dis-le leur. Prends ton courage à deux mains et dis-leur que cette « résistance » est vaine. Nous ne pouvons pas nous battre contre le monde entier. Et comme Laurent Gbagbo l’a dit en 1999, si vous êtes les seuls à voir en noir un pagne que tout le monde voit blanc, c’est que vous avez un problème. Plus de 54% des Ivoiriens voient en Ouattara leur président. Le monde entier voit en lui le président élu des ivoiriens. Ceux qui veulent voire autre chose ont de sérieux problèmes.
Pablo, je termine en te disant que je t’ai écrit cette lettre avec beaucoup d’amertume. Tu pouvais mieux finir ta carrière universitaire. Tu dois savoir maintenant que tu ne pourras plus aller nulle part, quoiqu’il advienne. Tu sais que tu es déjà persona non grata un peu partout dans le monde. Comme tous les autres membres de ton Conseil Constitutionnel. Que c’est triste ! Et tu sais aussi que plus vous vous accrocherez au rêve chimérique d’une conservation du pouvoir malgré et envers tout, plus vous entrainerez de gens dans votre funeste destin. Au revoir mon ami, mon grand frère Pablo. Prions pour que malgré tout, notre pays reste debout.
Post scriptum : Au moment où Georges Armand Ouégnin assistait au conseil des ministres de l’usurpateur, son frère Georges, celui qui fut l’ombre d’Houphouët-Boigny toute sa vie, celui que tous les Ivoiriens connaissent, allait brûler un cierge à sa mémoire dans l’église parisienne que notre illustre défunt avait l’habitude de fréquenter. Nous étions le 7 décembre. Georges Ouégnin tient à faire savoir qu’il ne saurait en aucune manière être associé à cette mascarade. Il est, et demeure à jamais houphouétiste. Mais je me pose, moi, cette question ; qu’est-ce que Georges Armand est donc allé chercher dans cette galère ?
Venance Konan email : venancekonan@yahoo.fr
Site web : www.venancekonan.com
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