La démocratie du sac de riz et du fusil

CONTRIBUTION par Adjo Saabie, écrivain

La crise actuelle en Côte d’Ivoire montre à quel point le chemin vers la démocratie est long et difficile. La démocratie est loin d’être parfaite, mais l’homme, qui est un loup pour l’homme, n’a encore rien trouvé de mieux que la démocratie pour arriver à refléter la volonté du plus grand groupe. Car nous partons bien du principe que l’Afrique ne peut retourner aux chefferies traditionnelles et potentats qui avaient droit de vie et de mort sur leurs sujets. Alors, que faire lorsqu’un autocrate refuse de partir?

La communauté internationale finance des élections, meilleur moyen pour le peuple d’exprimer sa volonté réelle. Cela a été le cas au Congo (République Démocratique) en 2006, et en Côte d’Ivoire en 2010. Dans l’ensemble des pays africains, les élections sont financées au moins au tiers par nos amis, les « bailleurs de fonds ».

Des orfèvres de la réelection

Or, nos dirigeants, qui maitrisent tous les rouages de ces échéances électorales, sont régulièrement réélus, à l’exception notable de l’ami Laurent qui refuse d’accepter sa défaite. Des nourisssons vieillissants succèdent à leur cher papa, comme le togolais Faure Gnassingbé ou le gabonais Ali Bongo. Certains, qui avaient juré ne faire « que » deux mandats, changent la constitution et prolongent indéfiniment leur séjour sauf le malheureux Mamadou Tandja du Niger. Les perdants sont vraiment des « Bouki », si l’on veut raisonner par l’absurde.

Le problème est que, lassé par des élections qui ne servent à rien, dégouté, le pauvre peuple se détourne des urnes comme en témoigne la baisse du taux de participation dans un certain nombre de pays africains. Avec le risque que d’autres alternatives aux élections soient cherchées… et trouvées. Sur ces entrefaites peut arriver un troisième larron qui s’empare de la proie et puis la mange.

Le sac de riz, de sucre ou la boite de lait suffisent-ils?

Le peuple, même dans les pays où grâce à Internet et des taux d’alphabétisation respectables, les esprits sont avertis, le peuple est souvent peu conscient des enjeux des élections. Les institutions sont faibles, la culture politique aussi. Les candidats savent que sacs de riz ou boites de lait, préférés aux bics et t-shirts, sont beaucoup plus efficaces que des grands programmes qui de toutes façons, se ressemblent tous. Et ils arrosent les campagnes. Les élections sont, en fin de compte, le moyen de redistribution de la richesse dans nos pays où les ressources sont captées par une minorité. Les paysans ont enfin la possibilité de toucher les inaccessibles « en haut-de-en-haut ». Ces candidats donc savent que les braves paysans auront en fin de compte la fâcheuse tendance de faire un « vote de proximité », pour ne pas dire pour leur frère. Mais le ressortissant d’une région ne pourra pas non plus être élu simplement parce qu’il est du coin. En plus de son origine du terroir, il devra obligatoirement avoir des ressources considérables, c’est tout de même plus rassurant qu’un pauvre rêveur qui vient parler de justice sociale et qui n’a pas un rond. Et sa force de persuasion devra bénéficier d’appuis conséquents dans la société civile et du sponsoring dans la société armée. Car même s’il est élu à la magistrature suprême, il ne pourra diriger le pays sans les militaires.

L’armée et le « sable dans l’attiéké »

Le vernis de la démocratie est mince, et le véritable détenteur du pouvoir est l’armée. Ce fut longtemps le cas en Algérie. En Angola, pays ami de la Côte d’Ivoire de Gbagbo, certains généraux sont de grands hommes d’affaire et gare à celui qui va jouer les trouble-fêtes. Que dire de la Guinée, pays dirigé par des militaires pendant des décennies, et qui ne sont pas bien loin malgré les récentes élections? Et c’est ainsi que ceux qui tiennent les fusils s’arrogent le droit de décider qui représente le mieux les intérêts du peuple, c’est à dire celui qui est le moins susceptible de mettre son nez dans leurs petites affaires. En effet, en général, le général et ses petits copains ne voient pas d’un bon oeil l’arrivée d’un nouveau qui va « mettre du sable dans leur attiéke ». Cet attiéké comprend des grades, l’impunité, la main-mise sur l’import-export, et, dans les cas les plus inquiétants, la conviction presque mystique qu’ils sont les véritables gardiens du temple contre un ennemi extérieur. Ces cas revèlent bien entendu de la psychiatrie mais difficile de leur passer la camisole de force quand ils ont des chars. Heureusement que des cas à la « Dadis » en Guinée, le dernier illuminé en date, habité par on ne sait quel esprit malfaisan et agité, sont là pour leur rafraichir la mémoire.

La question, lancinante, est: « Que faire quand un dictateur refuse de quitter le pouvoir? »

Pour en revenir à la Côte d’Ivoire, après avoir essayé les voies divines – et brûlé au passage des centaines de cierges à l’Eglise, imolé je ne sais combien de poulets aux ancêtres en priant pour le départ de Laurent Gbagbo – force est de constater que d’autres moyens, plus terrestres, sont nécessaires pour déloger celui qui refuse l’alternance par le vote.

Le premier est l’argent, et il est fort à parier que la stratégie d’assèchement des finances paiera en Côte d’Ivoire, mais à terme, tant l’économie parallèle est développée. Le deuxième est la lassitude, prévisible, du peuple ivoirien devant la prolongation inutile de ses souffrances. La pénurie de gaz à Abidjan mettra un peu plus d’eau dans le gaz. Et ce n’est qu’un début…

Faut-il donc chasser du pouvoir quelqu’un qui est rejeté par le monde entier, au risque d’en faire un martyr, et surtout, des victimes autour de lui, des pauvres supporters convaincus qu’il est leur sauveur? Faut-il lui souhaiter le sort de Sani Abacha, en 2008, endormi pour l’éternité dans les bras deux call girls indiennes?

Le débat reste ouvert et je souhaite inviter mes frères et soeurs de Côte d’Ivoire et d’Afrique à y réfléchir.

Pour ma part, j’ai eu connaissance d’un mail du centre de communication de la présidence ivorienne (équipe Gbagbo) concernant l’utilisation frauduleuse de sa messagerie pour diffuser certains de mes articles et de l’ouverture d’une enquête. Je reaffirme ici n’avoir jamais eu besoin d’une autre messagerie que adjosaabie@yahoo.fr pour m’exprimer, et que je continuerai à le faire.

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