Côte-d’Ivoire: Ainsi sonne le glas !

(Libre Opinion) — Ces derniers jours, la Côte d´Ivoire nous offre un show inédit à travers des contestations et des remises en question des légitimités des urnes sur fond des menaces de la communauté internationale. Et pourtant l´on a voulu nous faire croire que l´élection présidentielle ivoirienne serait à la base de règlement de conflits des légitimités institutionnelles qui minent ce pays depuis belle lurette.

En effet, présentée comme une panacée qui devrait arrêter la descente aux enfers d´un État rongé par la guerre entre le « pouvoir » sudiste et la rébellion nordiste ; l´élection « démocratique » ivoirienne n´a pas été au grand rendez-vous de l´histoire. Elle a été un grand fiasco sinon une comédie de mauvais goût ; car, à l´absence d´un minimum de confiance réciproque, entre les acteurs politiques ivoiriens, pour vaincre les démons des clientélismes et ceux des identités tribalo-ethniques fonctionnant comme des machines meurtrières en Côte d´ivoire, il n’est pas possible d’instaurer un ordre démocratique qui oblige chaque acteur politique ivoirien à respecter le verdict électoral et à en faire le point de départ d’une reconnaissance clairement exprimée des intérêts nationaux à défendre et à promouvoir. Faute de comprendre que la Côte d´Ivoire s´est déjà effondrée depuis longtemps et qu´il fallait instaurer la confiance mutuelle entre les acteurs politiques pour pouvoir garantir l’organisation d’une élection vraiment démocratique. Au lieu de cela, la communauté « internationale » a cru bon d´offrir aux Ivoiriens des élections minées par le germe des conflits de guerre ethno-tribale et l’on s’étonne que dans cette nouvelle guerre ivoirienne, comme dans celle qui l’a précédée, personne n’a vraiment intérêt à s’avouer vaincu. Cela est tellement vrai que chaque camp sait que la victoire du camp adverse est le premier pas vers l’enfer de règlement des comptes, de marginalisation des adversaires vaincus considérés comme des ennemis irréductibles.

1. Vers un requiem de la démocratie ivoirienne ?

Même si l´on peut recourir à des solutions de partage du pouvoir comme cela fut au Kenya ou au Zimbabwe ; la méfiance, la volonté de dominer l´autre et la haine ethno-tribale sont telles que le partage du pouvoir relève plus d´un effet du placebo démocratique que d´une réelle volonté commune de gouverner ensemble. Mwai Kibaki et son premier ministre Raila Odinga – imposé par la volonté de la « communauté internationale » (médiation de Kofi Annan du 28 février 2008) – au Kenya ne forment pas un duo crédible ni fiable pour gérer démocratiquement le pays, pas plus que le couple Robert Mugabe-Morgan Tsvangirai qui bat de l´aile. Ces deux gouvernements issus de « médiation internationale » ne sont pas huilés par des principes démocratiques dans lesquels tout le monde y croit. Sans la surveillance accrue de la « communauté internationale » – dont chaque camp est condamné à faire semblant de respecter les « exigences » – on assisterait à un combat des gladiateurs où chaque camp n´hésiterait pas à enfoncer les longs couteaux dans le dos de son adversaire politique afin d´en finir une fois pour toutes avec son « ennemi » politique.

Dans la plupart des pays africains, on assiste à une démocratie imposée par la communauté internationale (étranger). Et ici, le pouvoir et son opposition sont en guerre permanente dans un pays où les acteurs politiques n´hésitent pas, à la première occasion, à s’emparer de leurs haches de guerre pour s´affronter, en ordre de bataille, sans tenir compte des souffrances profondes de leurs peuples ni des aspirations de ceux-ci. Du Congo-Brazzaville au Rwanda en passant par la Guinée Conakry et le Gabon, le processus électoral – imposé par la communauté « internationale » – a fini par instaurer le règne d´un « vainqueur » et à faire accepter au « vaincu » sa défaite. Malheureusement, cette recette de la communauté « internationale » – celle d´imposer la victoire d´un camp sur d´autres camps – même avec une dose de la bonne volonté affichée notamment celle de mettre tout le monde d´accord autour d´un gouvernement d´union nationale n´a pas encore apporté les fruits escomptés ; car en Afrique, l´accession à la mangeoire du pouvoir est l´occasion en or pour les « vainqueurs » des élections théâtrales de s´emparer de toutes les richesses du pays et d´en jouir seuls au détriment des intérêts vitaux de tous les citoyens. La paix des cimetières imposée par les armes des « vainqueurs » n´a rien à voir avec la paix des cœurs et des esprits, condition sine qua non d´un vouloir être collectif, c´est-à-dire d´une nation réussie. Elle n´est qu´un vent qui précède la tempête qui finira tôt ou tard par chambarder les institutions « démocratiques » issues du fiasco électoral.

2. Conseil constitutionnel ivoirien a mis le pied dans la sauce !

Le 29 novembre 2010 en Côte d´Ivoire, la Commission chargée des élections a donné vainqueur M. Alassane Dramane Ouattara avec 54,1% des suffrages mais le Conseil constitutionnel, dirigé par M. Paul Yao Ndre, proche du « ressuscité » Gbagbo, a ensuite proclamé réélu le président sortant avec 51,45% des votes en invalidant plusieurs résultats du nord du pays. La communauté internationale, toute tendance confondue, exerce depuis une forte pression sur M. Gbagbo pour qu´il cède le fauteuil à son rival Alassane Ouattara, vainqueur de joutes électorales ivoiriennes. Conséquence dramatique, la Côte d’ivoire s´enfonce de plus en plus dans une crise institutionnelle dont l’issue est incertaine vu la divergence d’intérêts des acteurs nationaux et internationaux qui tirent les ficelles dans l’ombre.

Il y a lieu de préciser, en effet, qu´en droit ivoirien, la décision du Conseil constitutionnel notamment en matière de résultats définitifs de l’élection du président de la République ne sont susceptibles d´aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale (article 98 de la Constitution ivoirienne). Celle-ci (loi électorale ivoirienne) donne le pouvoir à la Commission chargée des élections de proclamer les résultats provisoires (article 32 in fine) et de les transmettre au Conseil constitutionnel qui a seul le pouvoir de proclamer les résultats définitifs (article 94). Cette procédure a été respectée au premier tour de cette présidentielle ; car la Commission chargée des élections dans son entièreté a proclamé les résultats provisoires et les ont envoyés au Conseil constitutionnel. Malheureusement, au deuxième tour du 29 novembre 2010, la Commission chargée des élections a été butée à une difficulté, celle de consolider les résultats de quelques régions du Nord. En d´autres termes, il y avait, pour les résultats de toutes les régions, un consensus sur l’ensemble. Cependant, il semble qu´il subsistait des désaccords entre les membres de la Commission chargée des élections en Côte d´Ivoire sur les résultats de la région du Nord favorable au candidat Ouattara.

Il faut noter qu´avant ce désaccord, le sortant Gbagbo a dénoncé des irrégularités commises lors du deuxième tour de la présidentielle dans la région du Nord. Il a, à cet effet, demandé (en tant que qui ?) une solution avant la publication des résultats y relatifs. Pomme de discorde : Alassane Ouattara a exigé la publication immédiate de ces résultats. Or, les résultats contestés du nord étaient déterminants pour la victoire de chaque candidat à cette élection. C’est dans ce climat des méfiances réciproques que le 30 novembre 2010, la Commission chargée des élections s’est trouvée devant une difficulté, annonçant qu’elle était incapable de publier ces résultats et qu’elle avait besoin de quelques jours supplémentaires afin de remédier à la situation. Dommage, celle-ci (Commission chargée des élections) n´a pas pris la précaution de demander officiellement au Conseil constitutionnel de prendre une décision l’autorisant de proclamer les résultats au-delà du délai imparti, et ce, conformément aux prescrits de l´article 38 de la Constitution ivoirienne. Assurément, constatant ce manquement, le Conseil constitutionnel a « écrit », le 1er décembre 2010, à la Commission chargée des élections pour lui signifier qu’elle n’a pas proclamé les résultats dans le délai, par conséquent, le Conseil s’est saisi du dossier. La commission chargée des élections, à son tour, a refusé à se plier à la décision du Conseil constitutionnel et a proclamé (1er décembre 2010 à 15heures) les résultats définitifs au quartier général du candidat Alassane Ouattara. Une heure après, le Conseil constitutionnel ivoirien a déclaré que ces résultats étaient nuls et sans effets parce que premièrement ils étaient proclamés au-delà du délai légal, ensuite parce que le Conseil constitutionnel s’était déjà saisi du dossier. C’est dans ce contexte que le Conseil constitutionnel – se saisissant du dossier et examinant, entre-temps, les recours introduits par le candidat Laurent Gbagbo contre la publication des résultats par la Commission chargée des élections – a annulé les résultats de la région du nord étant donné que le consensus ne s’était pas dégagé entre les membres de ladite Commission chargée des élections en Côte d´Ivoire. Le Conseil constitutionnel a mis le pied dans le plat en proclamant Laurent Gbagbo président de la Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo a été investi le même jour président de la Côte d’Ivoire, dans un climat de violences qui a fait au moins 20 morts depuis le second tour de la présidentielle. La suite de l´aventure est connue !

3. Boulanger Gbagbo, boulangé par plus fort que lui ?

Connu pour sa faculté de rouler les autres dans la farine, Gbagbo a été roulé à son tour par plus fort que lui. Dès l´abord, il se pose la question de savoir entre Alassane Dramane Ouattara et Laurent Gbagbo qui a la légitimité du pouvoir sur le plan strictement juridique en Côte d´Ivoire (Constitution ivoirienne en la matière) ? Juridiquement parlant, Laurent Gbagbo semble avoir la légitimité pour avoir été proclamé président de la République de la Côte d´Ivoire par le Conseil constitutionnel, seul organe habilité à proclamer les résultats définitifs (article 94 de la Constitution ivoirienne). Conséquence des conséquences, les résultats provisoires donnés par la Commission électorale indépendante ne confèrent pas la légitimité au candidat Alassane Dramane Ouattara dès lors qu’ils n’ont pas été entérinés par le Conseil constitutionnel ivoirien (article 94 précité). Quant au rôle que jouent les accords de paix de Ouagadougou (Opération des nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) en matière de certification des résultats électoraux). Force est de préciser que ce rôle ne saurait être celui de proclamer les résultats ni de les entériner mais c’est de dire que le scrutin s’est bien déroulé et que les résultats publiés reflètent le constat de l´Onuci. Autrement dit, ce rôle ne confère aucun droit d´ingérence au nouvel ordre mondial de foutre son nez dans les bizarreries ivoiriennes.

En ce qui concerne la reconnaissance internationale de la légitimité du pouvoir. Il faut avoir présent en esprit qu´en Relations internationales, la reconnaissance internationale est un acte discrétionnaire qui dépend des intérêts de chaque pays et, par conséquent, cet acte n’est pas déterminant pour la légitimité d’un régime. S´agissant de la prestation de serment par les deux prétendants à la magistrature suprême en Côte d´Ivoire, il y a lieu de souligner que la Constitution ivoirienne ne prévoit pas un serment par écrit ; car il se fait devant le Conseil constitutionnel ivoirien (article 39 de la Constitution précitée). Pour dire les choses autrement, sur le plan strictement juridique, en Côte d´Ivoire, c’est la prestation du serment devant le Conseil constitutionnel qui permet à la personne dont l’élection a été proclamée par le Conseil susmentionné d’entrer effectivement en fonction. Et c’est en ce moment que la personne concernée acquiert la qualité de président de la République de la Côte d´ivoire et peut nommer le Premier ministre ainsi que les autres membres du gouvernement ivoirien. Et la suite : dans la planète de Gbagborerie, le boulanger a été boulangé par plus fort que lui !

Par Dr. & Habil., Prosper Nobirabo Musafiri

Lecturer and senior researcher at University

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