La crainte mesurée des Ivoiriens

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En Côte d’Ivoire, dans l’arrière-pays, à Alépé 
ou à Danguiri, 
la sérénité de 
la campagne 
ne dissipe pas 
les appréhensions d’habitants sur 
les lendemains d’élection. Envoyée spéciale.

Le corps tatoué de motifs tracés au kaolin, une argile blanche, des jeunes filles exécutent une danse, sous les yeux des chefs traditionnels, en tenue d’apparat. Le son des tambours se mêle aux chants qui rythment la campagne électorale, encourageant les plus hardis à se détacher du public pour se mêler à la danse. Des nuées de gamins curieux se joignent aux badauds. Sous le toit de feuilles de palme du maquis voisin, autour d’une bière, dans les vapeurs de friture, un seul sujet de discussion : l’élection présidentielle ivoirienne de ce dimanche. À Danguiri, petite commune rurale enclavée au bout d’une piste cahoteuse, la campagne électorale prend des allures de fête et les meetings, des airs d’assemblée de village. Ce jour-là, c’est la députée Simone Gbagbo, épouse du chef de l’État et vice-présidente du Front populaire ivoirien (FPI), qui doit s’exprimer devant les électeurs.

De grandes attentes en matière d’éducation

Estelle, une jeune paysanne de vingt-deux ans, scrute la foule avec un sourire enjoué. « Nous avons été pris en otages trop longtemps, soupire-t-elle. J’avais douze ans quand la guerre a commencé. Nous avons vécu dans la peur. Il faut que les choses changent, que cette élection apporte enfin la paix, et que la vie continue quel que soit le vainqueur. » Lequel devra, selon elle, faire de l’éducation sa priorité. « Trop d’enfants du village ne vont pas à l’école faute de moyens, regrette-t-elle. Moi-même j’ai dû renoncer à poursuivre mes études pour aider ma mère aux champs. »

Goze, cinquante ans, un sympathisant du FPI, confirme que « la situation du pays est catastrophique ». Mais refuse de l’imputer au bilan du président sortant. « Gbagbo n’a jamais eu les mains libres pour appliquer son programme. On lui a imposé une guerre, avec la complicité de la France », tranche-t-il. La sérénité de la campagne électorale ne dissipe pas les craintes de ce père de famille. « Dans les années quatre-vingt-dix, nous avons payé cher pour en finir avec le parti unique et imposer la démocratie. Donc si Gbagbo perd, je me rangerai au choix des électeurs, assure-t-il. Mais beaucoup ne sont pas dans cet état d’esprit. Certains rebelles du Nord ont juré de ne déposer les armes qu’après son départ. Il n’est pas certain que ces élections nous permettent de voir le bout du tunnel. Je sens une crise électorale latente. »

L’espoir d’une assurance maladie universelle

À Alépé, un village voisin, mêmes appréhensions. Christophe Niangouran Mouney, l’infirmier du centre de santé rural, espère qu’il n’y aura « pas de contestation du président élu ». Traits tirés, le jeune homme enchaîne les consultations malgré la fatigue. La veille, l’une de ses patientes a succombé. « Sa famille ne disposait pas de la somme nécessaire pour la faire transférer à l’hôpital », souffle-t-il. L’infirmier jette un regard las sur les murs décrépis de la salle de soins, dotée d’un matériel vétuste. Il se plaint de la saleté des lieux, rêve d’une réhabilitation, déplore la pénurie de médicaments.

« Une société malade est une société qui part à la dérive. Il est urgent de permettre à nos malades de se soigner à moindre coût, sans que la cherté des médicaments soit un obstacle pour eux », expose-t-il, en formulant le vœu que se concrétise la promesse d’une assurance maladie universelle, formulée par le président sortant et reprise par plusieurs candidats.

Rosa Moussaoui

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