Les pays utilisant le CFA s’endettent sur deux marchés régionaux, l’un pour la zone UEMOA à Abidjan en Côte d’ivoire qui regroupe 08 pays d’Afrique de l’Ouest, et le second pour la zone CEMAC à Douala au Cameroun, qui regroupe 06 pays d’Afrique centrale. Le marché de l’ UEMOA est le plus dynamique ( il y a plus de pays, donc une plus grande fréquence de levée de fonds), et le plus profond ( Abidjan lève des montants plus importants que Douala ).
La première obligation souveraine a été émise sur le marché régional de l’UEMOA en 1999, à l’initiative de la Côte d’Ivoire, et c’était sous le président Bédié. Par la suite durant la décennie 2000 – 2010, sous le président Gbagbo, le pays s’est financé sur ce marché de manière agressive, les principaux bailleurs de fonds ayant coupé leurs concours du fait du contexte politique troublé. Cela a contribué à approfondir le marché, à le structurer, à le consolider. Après 2011, la situation s’est stabilisée, et la Côte d’Ivoire a émis son premier eurobond en 2014 (500 millions de dollars ) sous le président Ouattara. Depuis, elle émet régulièrement des eurobonds, mais demeure aussi très active sur le marché régional.
En novembre dernier, l’agence de notation Standard and Poor’s a révélé que les banques ivoiriennes détenaient 42% de la dette sénégalaise levée sur le marché des capitaux de l’UEMOA. L’information a fait le tour de la presse ouest africaine, et des réseaux sociaux. Toutefois, plusieurs médias ont omis de préciser qu’il s’agit de la dette levée sur le marché de l’UEMOA, et non de la dette globale du Sénégal. La nuance est de taille. La dette globale de l’Etat sénégalais au premier semestre 2025, s’élevait à 23 500 milliards FCFA, dont 4 300 milliards levés sur le marché de l’UEMOA. Les banques ivoiriennes détiennent 42% de ce montant, soit 1 800 milliards de FCFA. Voilà qui est clair.
Cela s’explique. Poids lourd de la zone, la CI représente plus de 40% du volume des transactions. D’où une forte implication de ses banques dans les achats de dettes de ses partenaires. En 2024, 98% de la dette ivoirienne était détenue par des résidents ( c’est-à-dire les banques locales ). En Guinée Bissau, c’est 93% de la dette qui était détenue par des non-résidents, majoritairement des banques ivoiriennes. Au Togo et au Niger, cette proportion était de 67%, toujours avec une forte participation des banques ivoiriennes. Cet aspect transnational des transactions est l’une des forces du marché régional. Il permet aux économies d’être des vases communicants en matière de financement de leurs déficits publics.
Selon les données fournies par l’agence ecofin, en 2024, 8127 milliards FCFA (12,97 milliards $) ont été mobilisés sur le marché de l’UEMOA, en progression de 13% par rapport à l’année précédente. Ce qui est intéressant à noter, c’est que ce montant dépassait de 972 milliards FCFA le déficit budgétaire prévisionnel des Etats membres. Ainsi les Etats de l’ UEMOA avaient théoriquement la possibilité de financer entièrement leurs déficits budgétaires sur le marché régional. Les chiffres de l’année 2025 ne sont pas encore disponibles, mais les projections tablent sur 10 700 milliards de FCFA mobilisés. Ainsi la question qu’on peut se poser est de savoir si les Etats peuvent aujourd’hui s’affranchir du marché international ( du moins ceux qui y ont accès, CI, Sénégal, Bénin ) ?
Le marché régional monte en puissance d’année en année. De 2014 à 2024, ce sont 58 000 milliards de FCFA qui ont été levés par les 08 pays de l’UEMOA selon des statistiques disponibles en ligne. En Décembre 2024 le stock de la dette de ces pays envers ce marché était de 33 000 milliards de FCFA. Ces chiffres témoignent de la profondeur du marché, de sa capacité à soutenir les besoins en financement des budgets des pays, et de leurs projets de développement. En 2024 la Côte d’Ivoire a levé 2,6 milliards de dollars, et le Bénin 750 millions de dollars sur le marché international. Et en 2025, la Côte d’Ivoire a levé 1,75 milliard de dollars (1050 milliard de dollars). Pourtant en 2022, et 2023, aucun des pays de l’UEMOA n’a émis d’eurobonds. C’est dire que ceux-ci ne sont pas une fatalité. Le marché de l’UEMOA peut être un parfait substitut.
Bien sûr, ce marché présente des faiblesses structurelles en dépit des montants levés chaque année plus importants. Après 25 ans d’existence, la maturité reste à acquérir. Car ce sont majoritairement des emprunts à maturité courte ( 1 à 3 ans ) qui sont mobilisés, ils ne permettent pas le financement des infrastructures, lesquels ont besoin de capitaux immobilisés sur de longues périodes.
Ensuite au niveau des acteurs, ce sont principalement les banques qui interviennent. La participation des compagnies d’assurance, des caisses de retraite, des entreprises de capital-risque, des investisseurs institutionnels ou individuels, est certes en forte hausse, mais demeure encore faible au regard du volume des transactions. On note aussi que les entreprises dans la zone UEMOA, n’ont pas suffisamment recours au marché pour lever des fonds, préférant la voie classique des emprunts bancaires.

Autre limite, la faiblesse du marché secondaire de la dette, c’est-à-dire la possibilité pour un acteur de revendre ses titres de dettes avant leur échéance. Cela reste pour l’instant assez compliqué. Il faut travailler à donner de la visibilité à ce sous-marché. Il faut aussi harmoniser la fiscalité sur les revenus issus des transactions sur ce segment. Si certains pays les taxent plus que d’autres, leurs titres auront du mal à s’échanger sur le marché secondaire.
Oui le marché régional des capitaux de l’UEMOA se révèle être un puissant instrument de financement des économies de la zone. Il faut s’en féliciter. Bien que tous les Etats n’aient pas accès au marché international, ils mobilisent sur ce marché des montants non négligeables, constamment en hausse, ce qui leur assure une certaine viabilité, notamment les pays du Sahel. Evidemment tout cela reste possible grâce à la parité fixe du CFA, et sa convertibilité illimitée en euros. Le CFA est une quasi-devise en Afrique, une monnaie crédible dont la valeur reste stable. C’est cela qui confère sa puissance aux deux marchés régionaux, et surtout celui de l’UEMOA.
Si l’eco était adopté, ce marché dans sa forme actuelle disparaîtrait très certainement. Par contre si le CFA reste en place, à moyen terme, on peut prédire qu’il sera possible aux Etats comme la Côte d’ivoire, de lever en une seule émission un milliard d’euros ( 655 milliards de FCFA) voire plus, sur ce marché et sur des maturités assez longues ( 20 ans ), sans le déstabiliser. Oui on peut le dire, les pays de l’UEMOA sont en passe de s’affranchir du marché international.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales






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