Une fois encore, l’ombre d’une crise majeure plane sur la filière cacao ivoirienne, pilier historique de l’économie nationale. Après le retournement brutal de la conjoncture des cours mondiaux, l’« œil du cyclone » semble désormais se rapprocher dangereusement de la cabosse de cacao, avec à la clé une équation financière redoutable : 900 milliards de FCFA, soit environ 1,37 milliard d’euros, à mobiliser en urgence.
Au cœur de cette zone de turbulence se trouve le Conseil du café-cacao (CCC), régulateur d’un secteur stratégique mais structurellement fragile. Son directeur général, Yves Brahima Koné, a récemment autorisé la filiale industrielle Transcao à procéder à des achats supplémentaires de fèves, afin de limiter les dégâts provoqués par les défaillances de certains négociants, incapables d’honorer leurs engagements.
Des capacités de stockage… sans les moyens financiers
Sur le papier, Transcao dispose d’un atout majeur : une capacité de stockage estimée à plus de 200 000 tonnes. Un volume suffisant pour absorber une partie significative des fèves invendues et éviter un effondrement du marché intérieur. Mais la réalité financière est autrement plus implacable.
Car si les silos existent, les ressources financières, elles, font défaut. Selon des sources proches du dossier, le régulateur aurait besoin de 900 milliards de FCFA pour racheter l’ensemble des fèves détenues par des négociants en difficulté. Un montant colossal, difficilement mobilisable dans un contexte de tensions budgétaires, de contraintes macroéconomiques et de dépendance aux financements extérieurs.
Le retour d’un scénario déjà connu
Ce nouvel épisode n’est pas sans rappeler des crises antérieures qui ont secoué la filière cacao ivoirienne, marquées par des défauts de paiement, des faillites de négociants, des interventions tardives de l’État et, in fine, une facture souvent reportée sur les producteurs ou sur les finances publiques.
Comme le souligne le philosophe camerounais Fabien Eboussi Boulaga, « une société qui se ment n’apprend rien ». Cette maxime résonne avec une acuité particulière dans le cas du cacao ivoirien, où les réformes annoncées peinent à corriger les déséquilibres structurels : dépendance excessive aux marchés internationaux, faible transformation locale, financiarisation accrue de la filière et exposition chronique aux chocs de prix.
Le CCC face à un dilemme stratégique
L’intervention du Conseil café-cacao, bien que compréhensible dans l’urgence, pose une question de fond : jusqu’où l’État et ses démembrements peuvent-ils continuer à jouer le rôle de pompier financier d’un système qui reproduit, cycle après cycle, les mêmes vulnérabilités ?
Aider les acteurs en difficulté aujourd’hui permet d’éviter une crise sociale immédiate et de protéger les producteurs. Mais sans réforme profonde de la gouvernance, du financement et de la structuration de la filière, ces interventions risquent de n’être que des pansements coûteux sur une plaie récurrente.
Une alerte pour l’économie nationale
Au-delà du cacao, c’est toute l’économie ivoirienne qui se trouve interpellée. Premier producteur mondial, la Côte d’Ivoire reste paradoxalement faiblement maîtresse de la chaîne de valeur, exposée aux humeurs des marchés et contrainte de mobiliser des ressources publiques massives pour stabiliser un secteur privé fragilisé.
Si l’histoire se répète, c’est peut-être parce que les leçons n’ont jamais été pleinement tirées. À défaut d’une transformation structurelle courageuse, l’« œil du cyclone » continuera de revenir, saison après saison, chercher sa part dans la cabosse ivoirienne.






Commentaires Facebook