Les coups d’État institutionnels face aux putschs militaires : une reconfiguration du pouvoir politique

Le coup d’État est traditionnellement associé à la prise de pouvoir brutale par l’armée, en dehors de tout cadre constitutionnel. Pourtant, depuis les années 2000, et plus nettement encore dans les années 2010-2020, une autre forme de renversement du jeu démocratique s’est imposée : le coup d’État institutionnel. Moins spectaculaire que le putsch militaire, il n’en est pas moins efficace. Il repose sur l’usage stratégique des institutions, du droit et des procédures légales pour concentrer le pouvoir et neutraliser l’opposition. L’opposition entre ces deux formes révèle une mutation profonde des modes d’accès et de conservation du pouvoir.


I. Le putsch militaire : une rupture frontale avec l’ordre constitutionnel

Le putsch militaire se caractérise par :

  • l’intervention directe des forces armées,

  • la suspension ou l’abrogation de la Constitution,

  • la prise de contrôle des centres névralgiques de l’État (médias, institutions, forces de sécurité).

Historiquement fréquent en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient au XXᵉ siècle, le putsch militaire s’appuie sur une légitimation sécuritaire : lutte contre la corruption, restauration de l’ordre, incapacité des civils à gouverner.
Cependant, il entraîne presque systématiquement :

  • des sanctions internationales,

  • une rupture avec les partenaires extérieurs,

  • une instabilité politique durable.

Dans le contexte contemporain, le putsch militaire est devenu coûteux sur le plan diplomatique, ce qui explique à la fois sa persistance dans des États fragiles et la multiplication des réactions régionales (Cedeao, Union africaine).


II. Le coup d’État institutionnel : gouverner par le droit pour contourner la démocratie

À l’inverse, le coup d’État institutionnel se déroule sans chars ni uniformes. Il s’appuie sur :

  • des révisions constitutionnelles,

  • des réformes électorales ciblées,

  • la captation du pouvoir judiciaire,

  • l’affaiblissement progressif des contre-pouvoirs.

Ce type de coup d’État permet au pouvoir en place de conserver une apparence de légalité et de continuité institutionnelle. Il est souvent justifié au nom de la stabilité, de la modernisation ou de l’efficacité de l’État.
Contrairement au putsch militaire, il est plus difficile à dénoncer internationalement, car il respecte formellement les règles juridiques.

Exemples fréquents :

  • limitation ou exclusion de candidats par des critères juridiques,

  • modification des règles électorales en cours de mandat,

  • contrôle des cours constitutionnelles.


III. Une opposition trompeuse : deux stratégies concurrentes de prise de pouvoir

Putsch militaire et coup d’État institutionnel ne s’opposent pas toujours : ils peuvent se succéder ou se renforcer mutuellement.
Dans certains contextes :

  • les dérives institutionnelles alimentent la frustration populaire et militaire,

  • les coups d’État militaires se présentent comme des réactions à un autoritarisme « légal ».

Ainsi, le putsch militaire apparaît parfois comme une réponse brutale à la confiscation institutionnelle du pouvoir, tandis que le coup d’État institutionnel se présente comme une alternative « propre » au recours à la force.


IV. Implications politiques et internationales

Les organisations régionales et internationales se trouvent confrontées à un dilemme :

  • sanctionner sévèrement les coups d’État militaires,

  • mais rester souvent silencieuses face aux coups d’État institutionnels.

Cette asymétrie fragilise la crédibilité des normes démocratiques et peut favoriser un sentiment d’injustice politique. Elle contribue aussi à légitimer, aux yeux de certaines populations, l’intervention militaire comme dernier recours.


Conclusion

Le passage du putsch militaire au coup d’État institutionnel traduit une adaptation autoritaire aux contraintes internationales contemporaines. Si les coups d’État institutionnels sont moins visibles et moins condamnés, ils n’en sont pas moins destructeurs pour la démocratie.
L’enjeu central pour les sociétés politiques modernes n’est donc plus seulement d’empêcher les chars d’entrer dans les palais présidentiels, mais d’empêcher le droit et les institutions d’être détournés contre l’esprit démocratique qu’ils sont censés protéger

Commentaires Facebook

Laisser un commentaire