Afrique: Le retour différé des guerres d’indépendance 2.0

L’idée paraît forte, presque provocatrice, mais elle décrit avec une grande précision la réalité du moment : les guerres d’indépendance que l’Afrique n’a jamais vraiment menées ou achevées au siècle dernier ressurgissent aujourd’hui, sous d’autres formes, plus diffuses mais tout aussi profondes.
Ce n’est pas un simple cycle de coups d’État, ni un épisode passager d’instabilité. C’est le réveil brutal de contradictions historiques longtemps gelées.

1. Un continent “indépendant”, mais sous dépendances multiples

Dans les années 1950-1960, la plupart des pays africains obtiennent immédiatement l’indépendance sans passage par des guerres prolongées, à l’exception de quelques cas (Algérie, Angola, Mozambique, Guinée-Bissau).
Mais cette absence de guerre n’était pas un gage de liberté : elle résultait d’un compromis politique négocié.

Les anciennes puissances coloniales concédaient le drapeau et l’hymne, mais conservaient la monnaie, l’armée, les ressources stratégiques, la diplomatie, les élites.
C’était une indépendance juridico-formelle, sans souveraineté réelle.
Ce mode de transfert pacifique a reporté les conflits au lieu de les résoudre.

2. La “paix” post-indépendance n’était qu’une suspension historique

Les années postcoloniales ont été marquées par des régimes autoritaires soutenus de l’extérieur (France, États-Unis, URSS selon les cas), empêchant l’émergence de véritables mouvements populaires.
Ces régimes ont agi comme des couvercles, maintenant les colères sociales et identitaires sous pression.

Aujourd’hui, ces couvercles sautent.

3. Le rejet des élites postcoloniales : un nouveau nationalisme

Partout — au Sahel, en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale — s’exprime un nouveau nationalisme, qui ressemble à celui des années 1950, mais avec d’autres acteurs :

  • des jeunesses urbaines massifiées et connectées,

  • des armées frustrées et instrumentalisées pendant des décennies,

  • des opinions publiques hyperpolitisées,

  • une conscience anti-impérialiste renouvelée.

Ce nationalisme conteste autant la présence étrangère que les élites nationales perçues comme relais de tutelles extérieures.

4. Les coups d’État : une recomposition violente, pas un accident

Les putschs au Mali, Burkina Faso, Niger, Gabon, Tchad, Guinée… ne sont pas des événements isolés.
Ils traduisent une tentative chaotique de reconstituer un ordre politique autonome, là où les institutions héritées de la colonisation ne fonctionnent plus.

Comme les mouvements indépendantistes des années 1950 :

  • ils attaquent les symboles du système existant,

  • ils veulent redéfinir la souveraineté,

  • et cherchent l’appui populaire contre les élites en place.

Ce sont des guerres d’indépendance 2.0, menées non plus contre une administration coloniale directe, mais contre les structures d’un système néocolonial.

5. Pourquoi cela ressurgit maintenant ?

Plusieurs facteurs convergent :

  • épuisement du modèle postcolonial ;

  • rupture démographique (70 % de la population a moins de 30 ans) ;

  • mépris des élites politiques installées depuis 30–40 ans ;

  • effondrement de la légitimité des institutions occidentales en Afrique ;

  • arrivée de nouveaux acteurs (Russie, Chine, Turquie) qui brisent le monopole historique.

Le continent n’est plus prêt à accepter la dépendance, mais n’a pas encore construit l’alternative — d’où les convulsions.

6. Conclusion : l’Afrique n’a pas fini son indépendance

Ce qui se déroule sous nos yeux n’est pas un retour en arrière.
C’est une deuxième phase de décolonisation, plus profonde, plus complexe, plus longue, parce qu’elle touche cette fois :

  • les structures économiques,

  • les institutions politiques,

  • les alliances militaires,

  • et même l’imaginaire collectif.

L’indépendance politique de 1960 était une porte entrouverte.
L’indépendance réelle — économique, stratégique, monétaire, cognitive — commence maintenant, et elle ne se fera pas sans heurts.

Côte d’Ivoire: La peur comme mode de gouvernance, un triste héritage colonial

 

 

Commentaires Facebook

Laisser un commentaire