Laurent Gbagbo saisit à nouveau la CPI pour faire éclater la vérité sur la guerre en Côte d’Ivoire

Abidjan, 8 décembre 2025 – L’ancien président de la République de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, annonce la réouverture de son dossier devant la Cour pénale internationale (CPI) afin d’exiger justice et vérité sur les événements qui ont marqué la crise ivoirienne de 2002 à 2011.

Dans un message adressé à ses concitoyens, Gbagbo rappelle les grandes étapes de la crise : la découverte d’un charnier à Yopougon en 2000, les premières attaques rebelles venues du Nord, la partition du pays après la rébellion de 2002, ainsi que les multiples tentatives de médiation diplomatique, notamment l’accord de Ouagadougou en 2007 et la Flamme de la paix à Bouaké.

L’ancien chef de l’État revient également sur l’élection présidentielle de 2010, marquée par un conflit sur les résultats, l’intervention de l’ONU et de la France, le bombardement de sa résidence présidentielle et son arrestation le 11 avril 2011. Transféré à la CPI, il est acquitté en janvier 2019, mais reste sous contrôle strict à Bruxelles jusqu’en mars 2021.

Pour Laurent Gbagbo, tant qu’un fait n’est pas jugé complètement, il constitue une injustice. Il dénonce le fait que les autres acteurs de la crise, qu’il accuse d’avoir conçu et financé la rébellion et d’être responsables des massacres, n’aient jamais été jugés.

« Il faut que la vérité éclate. Il faut rendre justice aux victimes et aux survivants qui attendent depuis des années », insiste Gbagbo, soulignant que la vérité est une condition indispensable à la paix. Il a confié à son avocat, Maître Emmanuel Altit, la mission de saisir à nouveau la CPI pour enquêter sur la guerre en Côte d’Ivoire et établir les responsabilités.

Son courrier

Tant qu’un fait n’est pas jugé totalement, il
devient une injustice
Abidjan, le 8 décembre 2025
Ivoiriennes, Ivoiriens, chers amis de la Côte d’Ivoire,
En 2000, l’élection présidentielle a eu lieu le 22 octobre.
Proclamé vainqueur par la Cour Suprême, j’ai prêté serment le 26 octobre et, le 27 octobre,
je présidais mon premier Conseil des ministres.
C’est au cours de ce Conseil qu’on m’a annoncé la découverte d’un charnier à Yopougon.
Immédiatement, j’ai dépêché sur les lieux le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Défense
et le ministre de la Justice.
Beaucoup accusaient un certain nombre de gendarmes.
J’ai ouvert un procès contre eux et le tribunal les a relaxés, ce qui m’a réconforté.
Deux mois plus tard, les 4 et 5 janvier, le pays subissait sa première attaque avec un
commando venu du Nord.
Ce commando a été vaincu et les survivants ont replié à la frontière burkinabè.
Deux années plus tard, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, un commando d’une plus
grande envergure franchissait les frontières du Burkina Faso, pénétrait en Côte d’Ivoire et
semait deuil et désolation sur son passage.
Là encore, nos militaires, nos gendarmes et nos policiers se sont mobilisés et ont fait échec à
la descente de ce commando. Mais nous avons observé que certains d’entre eux étaient déjà
à Abidjan.
Des batailles de rue ont eu lieu et nous avons pu les repousser.
J’étais en visite officielle en Italie.
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J’ai dû écourter mon séjour italien pour rentrer au pays et être près des miens.
Mais là, les rebelles ont installé un kyste à Bouaké, provoquant ainsi la partition du pays en
deux :
La partie sud sous l’autorité du gouvernement légal et légitime, et la partie nord, à partir de
Bouaké, sous l’autorité de la rébellion.
À partir de ce moment, on a vu se mettre en place un ballet diplomatique avec la conférence
de la CEDEAO à Accra, qui a désigné le général Gnassingbé Eyadema comme médiateur dans
la crise ivoirienne, ainsi que d’autres conférences comme Marcoussis, Kléber, Pretoria, etc.
Mais le pays était divisé géographiquement.
Les rebelles étaient des Ivoiriens connus : le sergent-chef IB, Chérif Ousmane, Issiaka Ouattara
dit Wattao, Tuo Fozié, Morou Ouattara, Koné Zakaria, Losseni Fofana, Soro Guillaume, etc.
D’un autre côté, Tapé Koulou et ses amis Blé Goudé, Serge Kassy, Eugène Djué, etc.
organisaient de grandes mobilisations populaires contre la guerre et contre la rébellion.
Voyant que tous les ballets diplomatiques ne donnaient pas de résultats probants, j’ai pris sur
moi, avec l’aide de Thabo Mbeki, président sud-africain, de décider de deux choses
essentielles :
1. Permettre à Alassane Ouattara de se présenter comme candidat à la prochaine
élection présidentielle ;
2. Engager un dialogue direct avec le chef de la rébellion, Soro Guillaume, pour mettre
fin à la guerre.
L’accord de Ouagadougou fut signé le 4 mars 2007.
Après cet accord, nous avons organisé la Flamme de la paix à Bouaké les 30 et 31 juillet 2007,
pour brûler symboliquement les fusils et les armes qui avaient servi à faire la guerre.
Après quoi, j’ai entrepris de faire des tournées dans le nord du pays où je n’avais pas mis les
pieds depuis le début du conflit.
Il ne restait plus qu’à procéder au désarmement, puis aux élections.
J’ai passé mon temps à réclamer le désarmement, tandis que l’ONU, l’Occident et certains
partis politiques ivoiriens parlaient uniquement de l’organisation des élections.
En 2010, alors que le désarmement n’était pas encore fait, mais pressé de toutes parts, j’ai
consenti à organiser l’élection présidentielle.
Au 1er tour de l’élection présidentielle, je suis en tête avec 38 %, 32 % pour Alassane Ouattara
et 25 % pour Henri Konan Bédié.
Au 2ème tour, c’est la pagaille.
Chacun des deux candidats, Alassane Ouattara et moi-même, se proclamait vainqueur.
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Mais moi, je suis proclamé vainqueur par le Conseil constitutionnel.
Le débat semblait clos quand Alassane Ouattara, son ami Nicolas Sarkozy, président français,
et le représentant de l’ONU mirent en cause les résultats proclamés par le Conseil
constitutionnel et décidèrent qu’Alassane Ouattara était le vrai vainqueur.
De là partit une polémique vive, qui se transforma en rixe puis en combats.
C’est au cours de ces combats que la résidence présidentielle que j’occupais fut bombardée
par l’armée française et les troupes de l’ONU.
Le 11 avril 2011, je fus arrêté, conduit d’abord au Golf Hôtel pour deux jours, puis à Korhogo
pour sept mois, et enfin à la CPI en Hollande.
Le reste est connu.
Quelques années plus tard, exactement le 23 mars 2014, Charles Blé Goudé est amené en
prison et la CPI joint les deux dossiers.
Le 15 janvier 2019, Charles Blé Goudé et moi sommes acquittés.
Le 5 février 2019, je suis conduit à Bruxelles chez mon épouse Nady.
À Bruxelles, j’étais à la maison certes, mais il m’était interdit de sortir de la commune de
Bruxelles.
Et tous les jeudis matin, des policiers venaient vérifier si j’étais là, et tous les jeudis aussi, la
CPI m’appelait pour vérifier ma présence.
Ce petit jeu dura jusqu’au 31 mars 2021, date à laquelle je fus définitivement acquitté.
Ivoiriennes, Ivoiriens, chers amis de la Côte d’Ivoire,
J’ai rappelé tous ces faits pour dire que tant qu’un fait n’est pas jugé totalement, il devient
une injustice.
Un conflit a éclaté en Côte d’Ivoire à cause d’une rébellion qui a occupé le pays et rendu la
tenue de l’élection présidentielle compliquée.
Il s’en est suivi une dispute sur les résultats de cette élection-là.
J’ai été arrêté alors que je ne suis pas le mentor de la rébellion.
J’étais le Président légal et légitime, mais c’est moi qui ai été arrêté.
Mais quid de tous les autres acteurs de la crise ?
Des questions restent en suspens.
Pourquoi aucun des autres acteurs n’a-t-il été arrêté, ni jugé par la CPI ?
Dès l’instant où j’ai été acquitté, il fallait immédiatement se mettre à rechercher les vrais
coupables.
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§ Qui a conçu et financé la rébellion ?
§ Qui a organisé le génocide Wê ?
§ Pourquoi l’ONU et l’Occident ont-ils poussé à aller à l’élection alors que le
désarmement n’était pas fait ?
Pour toutes ces questions, j’ai demandé à mon avocat, Maître Emmanuel Altit, de ressaisir la
CPI et de remettre sur la table le problème de la guerre en Côte d’Ivoire.
Il faut que la vérité éclate.
Il faut rendre justice aux victimes et aux survivants qui attendent, depuis des années, que la
vérité soit établie.
J’ai fait ma part. J’espère que tous les autres feront leur part.
La vérité est une condition de la paix.
Laurent Gbagbo
Ancien Président de la République de Côte D’ivoire
Ancien prisonnier de la CPI

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