La mort d’Anicet Ekane en prison a provoqué un choc profond parmi les Camerounais, même si ce choc semble déjà s’estomper, comme tant d’autres avant lui. Selon plusieurs témoignages et analyses, Ekane a été tué par le régime de Paul Biya. Son tort ? Avoir soutenu Issa Tchiroma, considéré par de nombreux citoyens comme le véritable vainqueur de la dernière élection présidentielle. Dans un pays où le pouvoir se méfie de toute voix dissonante et où la contestation est perçue comme une menace, ce soutien ne pouvait être toléré par le régime. Cette mort tragique, loin d’être un accident, symbolise une mécanique politique bien rodée: faire taire ceux qui osent penser autrement.
Lorsque la nouvelle s’est répandue, l’indignation a été immédiate. Les réseaux sociaux se sont enflammés, les conversations se sont multipliées, les analyses ont fleuri. Mais, passé ce premier réflexe émotionnel, un constat s’impose: il ne se passera rien. Rien, comme après tant d’autres assassinats. Car, au Cameroun, l’indignation ne dure que le temps d’un souffle, puis le silence retombe, lourd, pesant, coupable.
L'opposant camerounais #AnicetEkane est mort à 74 ans lundi, alors qu'il était en détention à #Yaounde, a indiqué à l'AFP Valentin Dongmo, vice-président du #Manidem, le parti qu'il dirigeait.
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— Le Journal de l'Afrique – France 24 (@JTAfrique) December 2, 2025
Ce cycle répétitif interroge. Pourquoi, malgré la gravité des faits, malgré la liste interminable des victimes, malgré la colère affichée, rien ne change-t-il ? Pourquoi, dans ce pays, tant de citoyens continuent-ils de croire que ces drames n’arrivent qu’aux autres, jusqu’au jour où leur propre famille est touchée ? La mort d’Anicet Ekane, comme celle de bien d’autres, n’est pas seulement un événement tragique. Elle est le miroir d’une société où l’habitude de l’inacceptable a remplacé la lutte pour la justice.
Paul Biya n’a, de toute évidence, rien à craindre. Ses compatriotes l’observent vieillir en espérant sa disparition biologique plutôt que sa défaite politique. Ils commentent chaque soubresaut politique au Mali, au Burkina Faso ou au Niger, où les populations ont chassé leurs dirigeants jugés autoritaires, mais restent incapables de projeter sur leur propre pays la moindre action collective comparable. Cette admiration à distance n’est qu’un spectacle. Elle ne se traduit ni en stratégie, ni en résistance, ni en révolte.
Les Camerounais semblent prisonniers d’une résignation profonde, résumée par trois mots tristement célèbres: « On va faire comment ? » Cette phrase, qui revient dans toutes les discussions, est devenue la signature de l’impuissance nationale. Elle justifie l’inaction, excuse la peur et nourrit un fatalisme qui étouffe toute velléité de changement.
Les précédents sont nombreux et accablants. Après l’assassinat brutal du journaliste Martinez Zogo, l’émotion était immense. On croyait que, cette fois, une ligne rouge avait été franchie. Mais, une fois de plus, le soufflet est retombé. Avant Zogo, il y avait eu Mgr Jean-MariebBenoît Bala, retrouvé mort dans des circonstances obscures, dans une affaire où la vérité officielle n’a jamais convaincu. Et, bien avant lui, le Père Engelbert Mveng, figure majeure de l’intelligentsia africaine, assassiné sans que la lumière soit faite. Ou encore Mgr Yves Plumey, dont la mort est restée enterrée dans les tiroirs d’une justice volontairement amnésique.
À chaque fois, le même scénario: indignation, spéculation, émotion, puis oubli. Les familles enterrent leurs morts, l’opinion publique passe à autre chose et le régime se renforce dans sa certitude que rien ne l’ébranlera.
Dans ce paysage politique déjà assombri, le rôle d’une partie de l’épiscopat catholique surprend et attriste. Beaucoup d’évêques, loin de jouer leur rôle prophétique de défenseurs des opprimés, se retrouvent à soutenir Paul Biya. Les raisons sont connues: appartenance ethnique commune avec le chef de l’État, liens familiaux, fidélités régionales, mais aussi et surtout les fameuses enveloppes, régulièrement distribuées pour acheter silence, soutien ou complaisance. Ainsi, ceux qui devraient être la voix des sans-voix deviennent parfois les auxiliaires d’un système qui brise des vies. Le contraste est saisissant entre, d’un côté, des prêtres et des religieux qui s’exposent, dénoncent et parfois en paient le prix ultime, et de l’autre, des autorités ecclésiastiques qui se contentent de bénir l’ordre établi.
Face à cette réalité, la mort d’Anicet Ekane ne peut pas être réduite à un simple fait divers politique. Elle est un avertissement, un rappel brutal de la dérive autoritaire du régime et du prix que payent ceux qui osent défier le pouvoir. Elle est aussi une accusation contre le silence collectif, cette passivité presque culturelle qui rend possibles toutes les dérives.
Tant que les Camerounais continueront de croire que « ça n’arrive qu’aux autres », tant qu’ils se contenteront de commenter les révoltes étrangères sans jamais envisager leur propre émancipation, tant qu’ils resteront prisonniers de ce fatalisme, d’autres Ekane tomberont. Et le pays continuera à s’enfoncer, lentement, dans une normalisation de la violence politique.
La véritable question n’est pas de savoir « pourquoi Biya fait cela ? », mais pourquoi les Camerounais laissent-ils cela arriver ?
Car, dans ce pays où les victimes se succèdent et où les bourreaux prospèrent, la mort d’Anicet Ekane ne sera peut-être pas la dernière. À moins que, enfin, le peuple décide que trop, c’est trop.
Jean-Claude Djéréké






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