Présidentielle 2025: le pacte tacite de Gbagbo, une opposition désemparée, et la victoire par défaut d’Alassane Ouattara

Le scrutin présidentiel du 25 octobre 2025 en Côte d’Ivoire aura confirmé ce que beaucoup pressentaient : l’opposition ivoirienne, fragmentée, hésitante et désarmée, n’a pas su transformer la lassitude populaire en dynamique politique. Face à un pouvoir discipliné, structuré et décidé à conserver le contrôle du jeu, les forces d’alternance ont offert le spectacle d’une dispersion tragique. Et, dans ce contexte, Alassane Ouattara n’a eu qu’à dérouler sa mécanique pour s’imposer sans véritable combat. Mais derrière cette victoire annoncée se cache un constat plus profond : celui d’une opposition prisonnière de ses contradictions, de ses égos et, surtout, de ses ambiguïtés incarnées par le comportement déroutant de Laurent Gbagbo.

Une élection à haut risque, mais assumée

Dès le départ, le contexte du scrutin laissait peu de place à la surprise. Commission électorale contestée, fichier électoral opaque, déséquilibre médiatique, climat de suspicion généralisé : tout indiquait une élection verrouillée. Pourtant, plusieurs figures de l’opposition ont choisi d’y participer, préférant l’épreuve des urnes à la stratégie du boycott. Ce choix courageux, mais risqué, exigeait de la cohérence et de la stratégie. Car, en politique, on ne peut pas à la fois entrer dans le jeu et refuser d’en assumer les règles. Une fois la décision prise d’aller aux urnes, il fallait se donner les moyens de peser : unir les forces, mutualiser les ressources, concentrer les énergies derrière un candidat unique et solide.

Or, c’est exactement ce que l’opposition n’a pas su faire.

Le piège des égos et la dispersion des forces

Laurent Gbagbo, Thiam, Assalé, Billon, Mello, Simone, et d’autres leaders se sont tous présentés comme porteurs d’un projet national. Mais au lieu de construire un front commun, ils ont mené des campagnes parallèles, s’ignorant souvent, se neutralisant parfois. Résultat : un électorat fragmenté, une base militante démobilisée, et un discours d’alternance brouillé par la rivalité des ambitions. Pourtant, les conditions d’un sursaut existaient : la colère sociale, la montée du chômage, la corruption endémique, la fatigue du modèle RHDP. Mais faute d’une direction politique unifiée, cette colère n’a pas trouvé de débouché électoral.
L’opposition a fait le choix des slogans au détriment de la stratégie, et des symboles au détriment de la cohésion.

Le mystère Gbagbo : entre pacte tacite et abdication politique

Dans ce paysage confus, la posture de Laurent Gbagbo a été la plus énigmatique. Depuis son retour d’exil en juin 2021, l’ancien président semblait animé d’une volonté de réconciliation, mais sans véritable projet de reconquête. Certains observateurs vont plus loin : le retour de Gbagbo aurait été conditionné par un accord tacite avec le pouvoir, un compromis discret garantissant sa liberté contre sa neutralisation politique. Qu’il y ait ou non eu pacte, les faits parlent d’eux-mêmes : Gbagbo n’a jamais retrouvé la verve mobilisatrice ni la posture de chef d’opposition qui firent sa légende. Son discours s’est fait hésitant, parfois incohérent, et son leadership affaibli par les divisions internes de son propre camp.

L’interview accordée à Alain Foka, trois jours avant le scrutin, a fini d’achever les espoirs de ses partisans. Là où le peuple attendait une parole claire, un mot d’ordre fort, il n’a entendu qu’une succession d’ambiguïtés, de demi-vérités et de contradictions.
Résultat : une démobilisation massive dans ses bastions traditionnels. Beaucoup ont perçu ce flou comme une abdication politique, sinon comme une trahison.

Le refus d’un front unifié contre Ouattara

L’autre erreur majeure de Laurent Gbagbo aura été son refus d’adouber une candidature unique contre Alassane Ouattara.
Malgré les appels pressants d’une partie de la société civile et de ses alliés potentiels, il s’est enfermé dans un silence stratégique qui a fini par profiter au pouvoir. Certains y voient la marque d’un calcul personnel : ne pas heurter le régime pour préserver les acquis de son retour au pays. D’autres y lisent simplement une perte de repères et de combativité.

Quoi qu’il en soit, ce refus de construire un front républicain a eu des conséquences directes : la division de l’opposition a ouvert un boulevard au candidat du RHDP. Là où l’histoire aurait pu s’écrire autrement, elle s’est répétée.

Une opposition désarmée, un pouvoir consolidé

Pendant que l’opposition se cherchait un cap, le RHDP, lui, a déroulé sa stratégie avec rigueur et méthode. Le parti présidentiel a bénéficié de son organisation territoriale, de la loyauté de ses élus locaux et de la puissance logistique de l’appareil d’État. Dans une élection à forte abstention, la discipline des partisans du pouvoir a suffi pour garantir une victoire dès le premier tour.

Ce scénario n’est pas nouveau. Depuis 1995, les crises successives ont souvent pris racine dans la faiblesse structurelle de l’opposition : manque de coordination, rivalités internes, absence de vision commune. En 2025, le schéma s’est répété à l’identique.

Assumer les choix, dépasser les rancunes

Il est temps, pour les acteurs politiques ivoiriens, de sortir du réflexe victimaire. Participer à une élection, c’est aussi en accepter les règles du jeu, même imparfaites. On ne peut réclamer la victoire sans avoir préparé la bataille, ni dénoncer les fraudes quand on a soi-même saboté sa propre cohésion.

L’opposition doit désormais faire son examen de conscience : comprendre que la conquête du pouvoir ne repose pas sur des incantations, mais sur une stratégie claire, une discipline collective et une vision partagée. Tant que chaque leader se considérera comme le centre du monde, la Côte d’Ivoire restera bloquée dans le cycle de la personnalisation du pouvoir et du désenchantement démocratique.

La fin d’un cycle, le début d’un autre

Cette élection pourrait bien marquer la fin d’un cycle historique : celui de la génération — Bédié, Gbagbo, Ouattara — qui, depuis trois décennies, ont structuré la vie politique ivoirienne. Mais les dynamiques à l’œuvre laissent entrevoir un autre horizon : l’émergence d’une génération nouvelle, décomplexée, pragmatique, ouverte sur les enjeux économiques, écologiques et continentaux.

Car le véritable défi de l’opposition n’est pas seulement de battre le RHDP, mais de réinventer un projet ivoirien crédible, capable de parler à la jeunesse, aux travailleurs, aux femmes, aux paysans. Il ne s’agit plus de ressasser le passé, mais de construire un avenir commun, au-delà des rancunes et des accords d’arrière-cour.

Conclusion : une victoire par défaut, un sursaut nécessaire

La victoire d’Alassane Ouattara en 2025 n’est pas une victoire d’adhésion. C’est une victoire par défaut, rendue possible par l’échec collectif de ceux qui prétendaient incarner l’alternative. Mais cette défaite peut aussi servir d’électrochoc. Si l’opposition tire les leçons de cette débâcle, si elle apprend à unir plutôt qu’à diviser, à construire plutôt qu’à réagir, alors la Côte d’Ivoire pourra espérer, enfin, tourner la page d’un quart de siècle d’impasses politiques.

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