Côte d’Ivoire: 30 ans de fractures, quinze ans d’aveuglement

Par Dr Ghazali

L’élection présidentielle du 25 octobre 2025 devait être une fête de la démocratie.
Elle aura surtout révélé la profondeur d’un mal ancien : celui d’une nation qui ne se parle plus, où la méfiance et la rancune ont remplacé la confiance.

Le contraste du scrutin est saisissant : faible participation au Sud, forte mobilisation au Nord. Et pourtant, c’est au Sud que vit plus de 70 % de la population.

Quand la majorité silencieuse s’abstient, c’est la légitimité du pouvoir qui vacille.

Depuis trente ans, la Côte d’Ivoire revit le même scénario : 1995, 2000, 2010, 2025.
Quatre élections, quatre blessures, un même drame : l’exclusion politique et la fracture sociale.

De la promesse d’unité d’Houphouët-Boigny, nous sommes passés à la méfiance généralisée, où chaque camp voit dans l’autre une menace plutôt qu’un frère.

Le régime issu du RDR, devenu RHDP, a sans doute transformé le pays : routes, ponts, infrastructures, écoles.
Mais ces ponts de béton n’ont pas relié les cœurs.
On a voulu chasser les démons du passé par le développement, sans guérir les blessures du cœur.

Sous les succès économiques, la colère a continué de couver, alimentée par l’orgueil des vainqueurs et l’amertume des vaincus.

Aujourd’hui, deux Côte d’Ivoire se font face :
– celle des exclus, des frustrés, de ceux qui ne croient plus au jeu démocratique ;
– et celle du pouvoir, solide, sûre d’elle, mais pétrifiée à l’idée de céder la place.

Entre les deux, la République s’effrite, et le langage de la haine s’installe — « moutons » contre « chiens » — signes d’une déshumanisation politique inquiétante.

Avec la disparition d’Henri Konan Bédié et la retraite annoncée de Laurent Gbagbo, une génération tire sa révérence, pendant qu’Alassane Ouattara s’engage dans un quatrième mandat controversé.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces héritiers immédiats du père fondateur laissent à la Côte d’Ivoire un héritage explosif : un pays brisé, des institutions fragiles, un vivre-ensemble à reconstruire.

Le temps des illusions est passé.
Aucun développement ne vaudra la paix.

Il faut absolument un dialogue politique sincère, courageux et inclusif, pour désamorcer les rancunes et restaurer la confiance nationale.

Il faut certes maintenir le cap du développement et poursuivre la modernisation du pays dans la justice et la transparence.
Mais le plus grand chantier de la Côte d’Ivoire ne se trouve plus dans le béton : il se trouve dans les cœurs.
C’est là, et seulement là, que se joue désormais l’avenir de la nation.

À nous de construire les ponts entre les Ivoiriens — ou d’assumer de les voir s’effondrer à jamais.

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