Par Fleur Kouadio
À l’approche du scrutin présidentiel du 25 octobre, la Côte d’Ivoire est la cible d’une vague de désinformation d’ampleur inédite. Rumeurs de coup d’État, fausses annonces de décès du président Alassane Ouattara, images détournées de manifestations correspondent à une série de campagnes, largement diffusées sur les réseaux sociaux. L’objectif est de fragiliser la stabilité du pays. Plusieurs de ces opérations ont été attribuées à des réseaux de communication liés aux juntes militaires du Sahel.
De fausses alertes pour alimenter la peur
Le samedi 11 octobre, des publications circulant sur Facebook faisaient état d’un « soulèvement populaire » dans un quartier d’Abidjan. Des images de pneus en feu et de véhicules incendiés accompagnaient ces messages, laissant croire à un climat insurrectionnel. Les vérifications ont montré qu’il s’agissait de photos anciennes, prises à Haïti ou en Guinée.
Deux mois plus tôt, une autre rumeur avait annoncé des coups de feu et plusieurs morts dans la capitale économique ivoirienne. Ce 9 août, pourtant, la marche organisée par l’opposition s’était tenue dans le calme, sans incidents majeurs.
Ces manipulations, régulièrement relayées par des comptes très suivis au Burkina Faso et au Mali, s’inscrivent dans une stratégie d’intoxication bien coordonnée. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) à Abidjan a confirmé que « plusieurs comptes ont tenté de dépeindre une situation insurrectionnelle dans le but d’inciter au désordre ».
Des relais numériques venus du Burkina Faso
Les enquêtes menées par les autorités ivoiriennes et des analystes indépendants pointent vers le Burkina Faso comme centre névralgique de ces campagnes. Le pays abrite une structure appelée Bataillon d’intervention rapide de la communication (BIR-C), un réseau de cyberactivistes chargé de relayer les messages du régime militaire de Ouagadougou.
Le mouvement est animé par Ibrahima Maïga, un influenceur basé aux États-Unis suivi par plus d’un million de personnes. Selon plusieurs sources sécuritaires, les frères Kassoum et Inoussa Traoré, proches du capitaine Ibrahim Traoré, participeraient également à la coordination de ces activités numériques.
Ces réseaux se distinguent par leur capacité à exploiter une actualité, la détourner et la propager en quelques heures via des centaines de comptes interconnectés. Leur objectif : affaiblir l’image des régimes démocratiques de la sous-région, en particulier celle de la Côte d’Ivoire, considérée comme un pôle de stabilité politique et économique en Afrique de l’Ouest.
Des méthodes inspirées des campagnes russes
Si aucune preuve ne démontre une implication directe de la Russie, plusieurs experts soulignent que ces opérations s’inscrivent dans la logique d’influence observée au Mali, au Niger et en Centrafrique. Moscou, allié des régimes sahéliens, apporte un soutien idéologique et méthodologique à ces campagnes numériques qui reposent sur la manipulation émotionnelle et la diffusion massive de contenus falsifiés.
Selon Beverly Ochieng, analyste à la société Control Risks, « la déstabilisation du processus électoral ivoirien permet de détourner l’attention des transitions prolongées au Sahel et de justifier le maintien au pouvoir des régimes militaires en discréditant les alternatives démocratiques voisines ».
En d’autres termes, affaiblir la Côte d’Ivoire sur le plan de l’image revient à renforcer la narration souverainiste et anti-occidentale portée par les juntes et amplifiée par certains relais russes.
Abidjan contre-attaque sur le terrain numérique
Les autorités ivoiriennes affirment avoir mis en place un plan de riposte numérique visant à identifier les menaces et à y répondre en temps réel. Ce dispositif, activé avant le scrutin et maintenu après, associe surveillance technologique et coopération régionale.
Des procédures judiciaires ont été engagées contre certains auteurs de fausses nouvelles. En parallèle, une vaste campagne de sensibilisation intitulée « L’infox divise, l’information rassemble » a été lancée pour encourager la population à vérifier les sources et à ne pas céder aux manipulations.
Un enjeu de souveraineté informationnelle
La désinformation n’est plus seulement une question de communication : elle touche à la souveraineté nationale. Dans un contexte régional marqué par la propagation d’idéologies populistes et anti-démocratiques, la Côte d’Ivoire apparaît comme une cible privilégiée en raison de sa stabilité et de ses alliances diplomatiques, notamment avec la France.
Préserver la confiance du public dans les institutions et dans les médias est devenu un impératif stratégique. La bataille contre les infox s’étend désormais bien au-delà du champ politique. Elle engage la société civile, les journalistes, les plateformes numériques et les autorités publiques.
C’est de cette vigilance collective que dépendra, en grande partie, la sérénité du scrutin présidentiel à venir.
F. Kouadio
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