Par Fleur Kouadio

La coopération entre la Chine et la Côte d’Ivoire est souvent présentée comme exemplaire. Des barrages de Soubré et Gribo-Popoli à la construction du stade de San Pédro, en passant par la modernisation du port d’Abidjan ou les programmes de formation technique, Pékin s’impose comme un partenaire incontournable du développement ivoirien. Mais derrière cette relation apparemment harmonieuse, certains observateurs notent des zones d’ombre : déséquilibres, incompréhensions et un sentiment diffus que le respect mutuel vanté dans les discours ne se traduit pas toujours dans les faits.
Des plaintes d’Ivoiriens en Chine
En avril 2025, une publication de Linfodrome rapportait le malaise de plusieurs ressortissants ivoiriens installés en Chine. Ils y dénonçaient des discriminations dans le logement, un traitement inégal et un sentiment d’exclusion. Face à ces accusations, l’ambassadeur de Chine à Abidjan, Wan Li, avait dû réagir publiquement, évoquant de simples “malentendus culturels”. Mais pour beaucoup, l’affaire révèle un malaise plus profond : celui d’une coopération qui met en avant les routes et les infrastructures, mais néglige parfois la dignité et la considération des personnes.
La question de la dette et de la souveraineté
L’un des points de vigilance les plus sensibles concerne la dette contractée auprès des bailleurs chinois. Selon un sondage Afrobarometer de 2020, une partie de la population ivoirienne redoute que cette dépendance financière ne réduise la marge de manœuvre du pays sur certains projets stratégiques.
Les prêts accordés par Pékin comportent souvent des conditions de remboursement lourdes, et la maintenance des infrastructures reste fréquemment confiée à des prestataires chinois. Il en résulte peu de retombées techniques locales et un risque de dépendance à long terme.
Entre communication diplomatique et vécu quotidien
Officiellement, les relations entre Abidjan et Pékin “n’ont jamais été aussi solides”. L’ambassade de Chine insiste sur la “confiance mutuelle” et “l’amitié sincère” entre les deux nations. Mais dans les faits, le ressenti est plus nuancé. Des étudiants ivoiriens en Chine évoquent des conditions de vie difficiles, des soutiens administratifs limités et un encadrement insuffisant. Sur les chantiers en Côte d’Ivoire, certains ouvriers dénoncent des contrats opaques ou des traitements inéquitables. Ces réalités du terrain contrastent fortement avec les discours officiels.
Les limites d’une coopération sans transparence
Plusieurs facteurs entretiennent ce déséquilibre :
- Le manque de visibilité citoyenne, car les populations directement concernées ( étudiants, employés, riverains) ont rarement voix au chapitre.
- L’opacité des contrats : peu d’informations filtrent sur les conditions de financement ou les obligations des entreprises chinoises.
- Les inégalités d’accès aux opportunités : les bénéficiaires des bourses ou des partenariats sont souvent issus de milieux privilégiés.
- La faible prise en compte des plaintes : les cas de discrimination ou de conflit sont souvent minimisés pour préserver la relation diplomatique.
Pour une coopération plus équilibrée
De nombreux experts plaident aujourd’hui pour une relation sino-ivoirienne fondée sur la transparence et le respect mutuel. Cela passe par la publication des contrats de prêts, l’obligation pour les entreprises chinoises de sous-traiter avec des partenaires ivoiriens, le renforcement du contrôle des ONG et des universités locales sur les projets, mais aussi la mise en place de mécanismes de protection pour les Ivoiriens vivant en Chine. Enfin, il s’agit de donner plus de place aux voix citoyennes, aux journalistes et aux associations capables de faire remonter les réalités du terrain.
Le respect comme condition du partenariat
La Chine restera sans doute un partenaire clé du développement ivoirien. Mais pour que cette coopération soit réellement bénéfique, elle doit s’appuyer sur la réciprocité et la transparence.
Les routes et les stades ne suffisent pas à bâtir une amitié durable : encore faut-il que la dignité et les droits de chaque citoyen soient respectés, des deux côtés.
Le respect ne se signe pas dans les contrats, il se prouve dans les actes.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info
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