Le 25 Août, 06 humanitaires ivoiriens étaient arrêtés par des supplétifs de l’armée burkinabè à la frontière, les volontaires pour la défense de la patrie (vdp), et conduits à Ouagadougou le jour suivant. Depuis le gouvernement burkinabè n’avait pas communiqué sur les faits. Dans une interview à la télé burkinabé le 28 Septembre dernier pour marquer les trois années de sa prise du pouvoir, le capitaine Ibrahim Traoré a bien confirmé la détention des 06 humanitaires ivoiriens. » Chaque fois que quelqu’un franchit la frontière, c’est de l’espionnage. C’est donc logique qu’on les arrête et qu’on les questionne » a-t-il expliqué pour justifier leur détention.
Poursuivant, il a selon lui rappelé que » huit gendarmes ivoiriens avaient été arrêtés pour avoir franchi la frontière. Un jour le ministre de la défense m’a dit que son homologue ivoirien l’avait contacté pour demander leur libération. Ils ont été libérés le même jour et nous espérions de même pour les civils burkinabés détenus en Côte d’Ivoire. Malheureusement deux ou trois jours après, nous avons appris le décès de notre compatriote Christophe Alain Traoré en Côte d’ivoire, dans un lieu de détention non conventionnel. Les autres, qui sont des civils, des commerçants, sont toujours détenus en Côte d’ivoire ». Et de conclure » Ce n’est pas de la bonne collaboration. Donc pour les 06 éléments on attend. On n’a rien reçu d’abord comme approche. On attend ».
Les choses sont claires. Les humanitaires ne seront pas libérés sans contrepartie. Le capitaine Traoré dit n’avoir pas encore été contacté par la Côte d’ivoire sur cette affaire, alors que dans son point de presse quotidien, le ministre de la communication Amadou coulibaly avait assuré le 24 Septembre dernier, que le gouvernement ivoirien était en « discussions pour la libérations des humanitaires, privilégiant la piste du dialogue ». Le message du capitaine Traoré se veut sans équivoque. La Côte d’Ivoire devra libérer ceux qu’il appelle » les civils burkinabés détenus en Côte d’ivoire », si elle espère un jour reprendre ses citoyens.
Il faut rappeler que le décès en détention de l’activiste burkinabé Traoré Alain Christophe en Côte d’ivoire au mois de Juillet dernier, a créé une forte émotion au Burkina. Ainsi l’opinion qui était déjà remontée contre la Côte d’ivoire, s’est encore davantage radicalisée. Ce décès a fait monter d’un cran la tension entre les deux gouvernements. Si la Côte d’ivoire récupérait ses ressortissants sans rien donner en retour, cela passerait très mal aux yeux de l’opinion.
De l’autre côté, si la Côte d’Ivoire cède, si elle consent à libérer les burkinabés en détention dans le pays, ce serait un précédent. Ce qui veut dire qu’il n’est pas exclu que des ivoiriens soient de nouveau arrêtés au Burkina, pour exiger telle ou telle mesure du gouvernement ivoirien. La majorité des opposants à la junte burkinabé sont en Côte d’Ivoire, proximité géographique oblige. Tout ce monde ne se sentirait plus en sécurité, sachant qu’il peut faire à tout moment l’objet d’un « échange ». Tout porte ainsi à croire que la crise est partie pour durer, car il n’est pas sûr que la Côte d’ivoire se plie aux demandes de la junte.
Il faut aussi signaler un évènement qui s’est produit dans l’intervalle, le rapt au Ghana le 13 Septembre de la burkinabé Adja Zoungrana, une ancienne députée résidant en Côte d’ivoire. Elle animait des groupes whats’app très critiques sur la junte, ce qui lui valait d’être sur la liste des personnalités dont l’extradition était réclamée. Elle a commis l’imprudence de se rendre au Nord du Ghana dans la ville frontalière de Hamile, pour assister à un mariage coutumier. Elle fut arrêtée par des hommes armés en provenance du Burkina ( visiblement avec la connivence des autorités frontalières ghanéennes ). Depuis on reste sans nouvelle d’elle. Abidjan n’a pas formellement protesté, certainement pour ne pas rendre le retour des humanitaires encore plus difficile. Néanmoins tout cela s’ajoute à la longue liste de contentieux entre les deux pays.
Un mot sur la présence burkinabé en Côte d’Ivoire. Selon les chiffres du recensement de 2021, ils seraient 2.2 millions en Côte d’ivoire. Mais le Consulat Général du Burkina en Côte d’ivoire, évalue cette présence en 2024 à 6.2 millions d’individus. Cette différence peut s’expliquer par le fait que les étrangers ( africains ) passent généralement sous le radar lors des recensements, qu’ils voient comme le prélude à une éventuelle expulsion. Tandis que vis-à-vis de leur consulat, ils sont prêts à fournir toutes les informations qu’on leur demande, ce qui rend les données consulaires plus réalistes que celles obtenues lors des recensements. Cette communauté, la première en Côte d’ivoire, a un impact certain sur la Côte d’ivoire ( notamment dans l’agriculture ), mais aussi sur le Burkina, à travers les transferts de fonds. Les entreprises burkinabé sont très présentes dans le secteur du BTP en Côte d’ivoire, où des marchés d’Etat leur sont octroyés, chose assez rare dans la sous région. En seulement onze ans d’existence, la Banque burkinabé Cauris Bank est devenue la septième banque opérant en Côte d’ivoire en termes de bilan, et de portefeuille client. Elle cible essentiellement la diaspora.
Dans son interview, le capitaine Traoré a dit s’inquiéter pour la stabilité de la Côte d’ivoire dans la perspective des présidentielles à venir. Il dit craindre pour les millions de ses compatriotes qui vivent dans le pays. Pourtant depuis sa prise de pouvoir, il affiche une volonté « d’en découdre » avec la Côte d’ivoire, sans vraiment donner l’impression de s’inquiéter de l’impact de sa politique pour ses compatriotes établis dans le pays. Certainement du fait de sa jeunesse, il semble ne pas avoir conscience que les incidents fréquents peuvent un jour dégénérer en un conflit ouvert, qui sera certes bref, mais avec des conséquences qu’on ne pourra pas prévoir pour ses compatriotes sur place. D’autre part, les 06 ivoiriens arrêtés sont des humanitaires, des personnes partis portés assistance à des réfugiés. Cela aurait dû amener les autorités burkinabé à les relâcher rapidement si vraiment le sort de leurs compatriotes les interpellaient au plus haut niveau.
Enfin concernant la multiplicité des incidents à la frontière, le capitaine Traoré dit douter de la capacité de l’armée ivoirienne à assurer le contrôle de celle-ci. L’armée ivoirienne doit se sentir interpellée par cette déclaration. Aujourd’hui le problème de fond reste l’incursion quasi quotidienne des vdp, ces supplétifs de l’armée burkinabé, en territoire ivoirien. Il faut durcir le ton, ou plutôt la réponse devant ces incursions. Aujourd’hui les drones permettent de surveiller de vastes zones, et transmettre en temps réel les coordonnées des points critiques. En 2024 et 2025, l’armée ivoirienne a exhibé ses drones lors des défilés de l’indépendance. Il y a visiblement quelque chose à ajuster dans l’utilisation de ces équipements. C’est inadmissible que ce soit toujours les soldats ou civils ivoiriens qui se fassent prendre. L’armée ivoirienne est beaucoup mieux équipée. Elle sait aussi se battre semble-t-il. Les humiliations des arrestations de soldats et gendarmes à la frontière doivent donc prendre fin.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
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