La BCEAO va officiellement lancer le mardi 30 septembre 2025 une plateforme interopérable de système de paiement instantané (PI-SPI). Cette initiative connectera toutes les institutions financières agréées de l’UEMOA, notamment les banques, les fintechs, les institutions de microfinance et les opérateurs de monnaie électronique, à une infrastructure unique. Ainsi, avec ce système, que le compte soit détenu auprès d’une banque, d’un émetteur de monnaie électronique, d’une institution de microfinance ou d’un établissement de paiement connecté au système interopérable, les usagers pourront désormais effectuer des transferts et des paiements vers le compte de leurs bénéficiaires, même si l’institution financière du bénéficiaire est différente de celle de l’expéditeur.
Le professeur PRAO Yao Séraphin a accordé une interview ce mercredi 24 septembre 2025, à trois quotidiens ivoiriens : LE BÉLIER INTRÉPIDE, DERNIÈRE HEURE ET GÉNÉRATIONS NOUVELLES, NORD-SUD.
Question 1 : Pouvez-vous nous définir l’interopérabilité des services financiers?
Réponse :
L’interopérabilité dans le secteur financier se réfère à la capacité des systèmes de paiement à fonctionner ensemble de manière transparente. Pour les utilisateurs, cela signifie qu’ils peuvent effectuer des transactions entre différents systèmes (par exemple, entre un compte bancaire et un portefeuille mobile money) sans complications majeures. Ce système permet une plus grande flexibilité, un gain de temps du fait l’instantanéité, réduit les coûts de transaction pour les utilisateurs finaux, et stimule l’utilisation des services financiers numériques. L’opérabilité de la BCEAO, dans le contexte des services financiers numériques de l’UEMOA, fait référence à la capacité des différents systèmes de paiement (banques, institutions de microfinance, opérateurs de monnaie électronique, etc.) à communiquer et à échanger des informations de manière transparente pour faciliter les transactions financières entre eux. En d’autres termes, il s’agit de rendre possible les transferts d’argent et les paiements entre différentes plateformes, quel que soit le type de compte ou l’opérateur utilisé par le client.
Question 2 : Quelle est l’origine de l’interopérabilité en zone UEMOA?
Réponse :
Notons que la BCEAO a bien pensé le projet. En 2019, une etude a été menée sur l’évaluation de la maturité du marché de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) pour l’interopérabilité des services financiers numériques. L’objectif principal était de faire l’état des lieux était d’évaluer la situation actuelle de l’écosystème des services financiers numériques (SFN) dans l’UEMOA dans la perspective de l’interopérabilité.
C’est ainsi que le processus a été lancé dès janvier 2024 avec la publication par la BCEAO de l’instruction 001-01-2024 sur les services de paiement dans l’UEMOA. Cette directive oblige tous les prestataires à offrir des services de paiement instantané, quel que soit le type de compte utilisé. Bientôt nous aurons la plateforme interopérable du système de paiement instantané.
Question 3 : Quel est l’objectif de l’interopérabilité en zone UEMOA?
Réponse :
L’objectif principal est d’accélérer et élargir les possibilités d’échanges. Le projet d’interopérabilité des services financiers de la BCEAO a pour objectif de permettre des transactions fluides entre différents prestataires de services de paiement, y compris les banques, les services de mobile money, et les institutions de microfinance. Elle représente une avancée significative pour l’inclusion financière dans la région. L’idée derrière le projet est de favoriser l’inclusion financière en permettant à tous les citoyens d’accéder plus facilement aux services financiers numériques et de réaliser des transactions de manière fluide et sécurisée.
Pour rappel, la PI-SPI repose sur un mécanisme de switch centralisé permettant d’interconnecter les institutions financières, afin qu’elles puissent échanger entre elles sans avoir à recourir à des passerelles spécifiques pour contourner les obstacles d’incompatibilité. Grâce à cette plateforme, plusieurs opérations seront désormais possibles. Parmi elles, les transferts instantanés entre comptes bancaires et portefeuilles mobiles, les paiements entre différents réseaux mobiles, les paiements marchands automatisés, les paiements de salaires ou aides sociales en temps réel. Jusqu’ici, les transferts interbancaires dans la région pouvaient mettre entre 48 et 72 heures. Avec le PI-SPI, ces opérations seront exécutées de manière quasi-instantanée.
Question 4 : Quels sont les aspects techniques de l’interopérabilité de la BCEAO ?
Réponse :
Les aspects techniques de l’opérabilité de la BCEAO sont centrés sur l’interconnexion et l’interopérabilité des systèmes de paiement et financiers, notamment via des plateformes comme GIM-UEMOA (système monétique régional) et la PI-SPI (Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané).
La BCEAO met en place des plateformes techniques comme la PI-SPI qui permettent d’interconnecter les institutions financières et les réseaux mobiles, assurant ainsi l’échange d’informations et la réalisation de transactions entre eux. La PI-SPI est conçue pour permettre des transferts d’argent quasi instantanés entre différents portefeuilles mobiles et comptes bancaires au sein de l’UEMOA. D’autres plateformes ou systèmes qui jouent un rôle similaire ou complémentaire dans le traitement des transactions financières incluent STAR-UEMOA (le système de règlement brut) pour les gros montants et SICA-UEMOA (le système interbancaire de compensation automatisée) pour la compensation et le règlement des soldes. Ces plateformes visent à assurer la haute disponibilité, l’intégrité, la confidentialité, l’authenticité et la non-répudiation des transactions, ainsi qu’un plan de continuité des opérations, la sécurité des systèmes d’information, l’interopérabilité avec les systèmes existants, la traçabilité des opérations et l’archivage des données.
Question 5 : Quels sont les avantages de l’interopérabilité en zone UEMOA?
Réponse :
En premier lieu, l’accélération des transactions
Il aura l’accélération des transactions de tous types qui se feront en temps réel, 24h/24 et 7j/7.
En second lieu, l’amélioration de l’efficacité des transactions financières
L’interopérabilité permet d’améliorer l’efficacité des transactions financières en réduisant les délais et les coûts. En effet, il y a la réduction des frais de transaction qui devraient baisser pour les utilisateurs finaux.
Cette étape décisive traduit l’engagement de la BCEAO à mettre en place un système de paiement instantané interopérable, opérationnel en continu, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, capable de traiter les transactions de toute nature, quel que soit le type de compte.
Pour les particuliers, ce nouveau système signifie des transferts d’argent instantanés et sécurisés, une plus grande flexibilité dans la gestion des finances personnelles, et une réduction des coûts associés aux transactions financières. Pour les entreprises, il offre la possibilité de gérer les paiements de manière plus efficace, réduisant ainsi les délais de traitement et améliorant la trésorerie.
En troisième lieu, une accélération de l’inclusion financière
L’opérabilité vise à faciliter l’accès des populations aux services financiers, notamment les plus démunies, en leur offrant des solutions de paiement simples et accessibles. L’inclusion financière pour les populations non bancarisées qui pourront utiliser ces services à partir d’un simple téléphone mobile. Le système s’inscrit dans un contexte où l’inclusion financière progresse. En 2022, le taux de bancarisation classique dans l’UEMOA était de 24,3%. En incluant les institutions de microfinance et les comptes mobiles, ce taux montait à 70,9%. La PI-SPI pourrait renforcer encore cette tendance en facilitant l’accès aux services financiers.
Cette nouvelle infrastructure, conforme aux normes internationales en matière de sécurité des systèmes de paiement, jouera un rôle déterminant dans la promotion de l’inclusion financière dans l’UEMOA.
Rappelons que l’intégration du numérique est marquée en 2024 par plus de 130 millions de comptes mobile money enregistrés dans l’UEMOA, avec 40 % de comptes actifs, confirmant l’avancée des transactions numériques [GSMA – State of the Industry Report 2023]. Les opérateurs télécoms dominent largement les transactions électroniques (plus de 80 %), ce qui place les banques traditionnelles en retrait pour les paiements de masse [BCEAO & GSMA – Tendances UEMOA]. Dès lors, il est question de créer une infrastructure de paiement centralisée et harmonisée, capable de garantir des transactions instantanées et sécurisées entre tous les acteurs, mais aussi réduire les coûts de transfert pour stimuler l’inclusion financière. Il s’agit également de soutenir la dématérialisation des paiements publics et privés.
En quatrième lieu, la stimulation de l’innovation
Elle permettra la stimulation de l’innovation, les banques et fintechs ayant un nouveau cadre pour développer des offres plus adaptées. En effet, la mise en œuvre de cette plateforme permettra de proposer une large gamme de services, visant à simplifier les transactions quotidiennes des usagers et à stimuler l’innovation financière.
Les usagers pourront désormais effectuer des transferts et des paiements vers le compte de leurs bénéficiaires, même si l’institution financière du bénéficiaire est différente de celle de l’expéditeur.
Permet des transactions plus rapides et plus efficaces, réduisant les délais et les coûts.
En cinquième lieu, la stimulation de la concurrence
Elle favorisera la concurrence entre les prestataires de services financiers, ce qui peut conduire à des améliorations de la qualité des services et des prix.
Question 6 : Quelles sont les retombées pour le secteur de la microfinance en zone UEMOA?
Réponse :
Le secteur de la microfinance dans l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) constitue une composante essentielle de l’inclusion financière, desservant 18 millions de clients via 540 institutions de microfinance (IMF) à la fin 2023. Bien que ces institutions aient progressé dans l’élargissement de l’accès aux services financiers, elles continuent de faire face à des défis structurels. Parmi eux figurent la fragmentation des services, les limites des infrastructures technologiques et des difficultés à atteindre les populations rurales de manière efficace.
Les IMF de l’UEMOA ont collecté plus de 2 263 milliards FCFA de dépôts en 2023, avec une augmentation annuelle de 11,9 % de l’épargne. Cependant, leur capacité à maximiser leur impact est freinée par des systèmes déconnectés. Actuellement, l’absence d’interopérabilité complique les transactions entre institutions financières, limitant la fluidité des paiements numériques, un élément crucial pour les populations sous-bancarisées qui composent une grande partie de la clientèle des IMF.
L’utilisation croissante des services financiers numériques, comme le mobile money, a montré un fort potentiel pour répondre à ces besoins. Toutefois, l’efficacité de ces services reste limitée en l’absence d’une infrastructure commune qui permettrait l’interconnexion entre banques, IMF, et opérateurs de mobile money.
Face à ces défis, le projet d’interopérabilité des services financiers numériques dans l’UEMOA, marque une avancée majeure. Cette interopérabilité permettra aux utilisateurs d’effectuer des transactions entre institutions financières sans friction, favorisant ainsi l’efficacité des transferts d’argent, le paiement de factures et l’accès au crédit via des canaux numériques alternatifs. Les IMF, en particulier, pourront se connecter aux écosystèmes numériques existants, y compris les opérateurs de mobile money, pour élargir leur portée et améliorer leur compétitivité.
Les impacts attendus sur les IMF :
- Élargissement de l’accès aux services financiers : Grâce à l’interopérabilité, les IMF pourront atteindre des populations jusqu’ici exclues, notamment dans les zones rurales. Elles pourront collaborer avec des réseaux d’agents mobiles pour élargir leur couverture géographique à moindre coût.
- Réduction des coûts opérationnels : En intégrant des systèmes numériques partagés, les IMF bénéficieront d’une baisse des coûts liés à la gestion manuelle des transactions et à l’entretien des infrastructures physiques.
- Augmentation des dépôts et des crédits : La simplification des transactions numériques encouragera l’épargne, notamment grâce à l’accès à des services plus pratiques et plus sécurisés. De plus, l’intégration avec des outils de scoring numérique permettra d’offrir des crédits adaptés à une clientèle élargie.
- Renforcement de la confiance des clients : En offrant des services plus rapides et transparents, les IMF renforceront la confiance de leur clientèle, un élément crucial pour fidéliser leurs clients et en attirer de nouveaux.
Question 7 : Quels sont les risques liés à l’interopérabilité en zone UEMOA?
Réponse :
Premièrement, la baisse des marges des structures financières
Il apparaît par ailleurs que si l’introduction de l’interopérabilité réduit les frais sur les transactions de mobile money, en particulier pour les paiements de faible montant, dans le même temps, la concurrence accrue qui réduit ces frais entraîne également une réduction des marges bénéficiaires des opérateurs de réseaux mobiles, les obligeant à réduire leurs investissements dans les antennes-relais. Ainsi, l’interopérabilité a des effets négatifs sur la disponibilité du réseau, car les pays qui introduisent l’interopérabilité connaitraient une baisse de leur couverture, particulièrement grave pour les districts ruraux.
Deuxièmement, l’exposition des données sensibles à des risques de cybersécurité inédits.
En effet, dans le contexte de l’interopérabilité, chaque passerelle entre systèmes devient une porte d’entrée potentielle pour des cyberattaques. Ainsi, un système interopérable crée plus de points de vulnérabilité et si un acteur est compromis, toute la chaîne peut être exposée. Avec la centralisation des données clients, un piratage peut compromettre des millions d’identités numériques et dans un contexte africain, où les législations sur la protection des données (inspirées du RGPD) restent jeunes, le risque est accentué.
Troisièmement, les risques opérationnels
Des risques opérationnels liés aux pannes techniques ou aux défaillances de services tiers, existent. En effet, des problèmes techniques, des pannes logicielles ou réseau peuvent empêcher le traitement des transactions en temps réel. En outre, des pannes chez les fournisseurs externes, tels que les processeurs de paiement, peuvent avoir des conséquences directes sur la capacité d’une entreprise à traiter les paiements.
Question 8 : Quelles sont les responsabilités de la BCEAO ?
Réponse :
Il faudra surtout à la BCEAO de gérer la Complexité de la conformité réglementaire, d’autant plus que chaque acteur (banque, assureur, opérateur) devra assurer le chiffrement, la traçabilité et l’authentification en termes données. L’alignement des systèmes nécessite une harmonisation des cadres réglementaires pour garantir la conformité à travers différentes juridictions, comme le RGPD en Europe.
La BCEAO devra définir un modèle tarifaire équitable pour les banques et opérateurs mobiles. Ce n’est pas une mince affaire, tout comme l’adhésion des acteurs privés car, il faudra bien convaincre ces derniers, surtout les plus puissants, de partager leurs réseaux et de jouer collectif sous la supervision de la BCEAO.
Pour une réussite, il faudra assurer une bonne couverture mobile et internet pour la délivrance des Services, faciliter l’accès aux smartphones et rendre plus accessible l’accès à internet par une baisse des prix. On pourra offrir des accès gratuits à certains services essentiels (Sud-Afrique), promouvoir des offres de données à prix réduit pour les utilisateurs à faible revenu (Inde) ou déployer des points d’accès Wi-Fi gratuits dans les zones publiques (Kenya)
Commentaires Facebook