Quatrième pont d’Abidjan : pourquoi l’Etat ivoirien doit poursuivre la China State Construction Engineering Corporation (CSCEC)

Photo: Le quatrième pont a fière allure vu depuis l’échangeur boribana (photo). Mais a-t-il été bâti
conformément à ce qui avait été décidé? Peut-on vraiment dire qu’il est achevé aujourd’hui ?

Dans la longue liste des infrastructures construites par le président Ouattara, un vague malaise semble flotter autour du quatrième pont d’Abidjan. Ce pont reste un point d’interrogation pour tous ceux qui ont réellement suivi sa construction. Il a été déclaré achevé et ouvert ‘’totalement’’ à la circulation, mais n’a toujours pas été formellement inauguré, et n’a pas non plus reçu son appellation définitive. On n’a pas assisté aux fastes comparables à ceux des troisièmes et cinquième points. Pourtant l’ouvrage était très attendu de la population, et devait constituer l’une des vitrines de la capitale. Il semble bien que quelque chose n’a pas fonctionné. Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut partir d’une question simple : le quatrième pont est-il ou non achevé aujourd’hui ? Oui selon le ministère des infrastructures économiques. Mais les faits semblent ne pas aller dans ce sens.

Lorsqu’on se réfère à la fiche technique des travaux, qu’on peut toujours consulter sur plusieurs sites, dont le site officiel du gouvernement ivoirien, le quatrième pont devait être un ensemble d’ouvrages bâtis sur un tracé de 7,2 km, du Commissariat du 16ème arrondissement dans la commune de Yopougon, à la caserne des sapeurs-pompiers de l’Indénié dans la commune d’Adjamé. L’infrastructure relie ainsi les communes de Yopougon, d’Attécoubé, et d’Adjamé. Les ouvrages à construire se répartissaient comme suit :

Au niveau de la commune de Yopougon

– Une chaussée 2×3 voies sur une longueur de 4,045 km

-Trois ouvrages de redressement (échangeurs) permettant à cette voie expresse de franchir les voies principales

de la commune se trouvant sur son tracé

Au niveau de la commune d’Attécoubé

– Le prolongement de la voie expresse en provenance de Yopougon sur 0,850 km

– Une plateforme de péage

– Un viaduc (pont) de 0,794 km sur la baie du banco

– Un échangeur au niveau de  »boribana’’ permettant de franchir le boulevard de la paix, composé d’un fly-over principal

( le prolongement du viaduc ) de 0,603 km, et deux bretelles

Au niveau de la commune d’Adjamé

– Une chaussée 02 x 02 voies entre la fin de l’échangeur de ‘’boribana’’ et l’Indénié, soit une longueur de 0,875 km.

– Un tunnel en dessous du boulevard Nanguy Abrogoua

– Un fly-over (un pont) à l’intersection avec l’avenue 13 ( la voie qui pénètre au plateau en provenance de la grande

gare routière d’Adjamé),

Tels sont les principaux ouvrages qui devaient être réalisés. Le 10 janvier 2024 la  » première phase  » des travaux était livrée, juste avant la CAN 2024. Le pont était ouvert « partiellement » à la circulation. En Juillet 2024, soit 06 mois plus tard, le chantier était déclaré terminé par l’entreprise chargée des travaux, la China State Construction Engineering Corporation-CSCEC.

On est en droit de s’interroger au vu de ce qui a été livré. L’infrastructure part bien du commissariat du 16ème arrondissement dans la commune de Yopougon comme prévu, mais elle s’achève à la Mairie d’Adjamé et non devant la caserne des sapeurs-pompiers de l’Indénié. La longueur de son tracé est ainsi de 6 km et non les 7,2 km initialement prévus. En conséquence, le tunnel qui devait passer en dessous du boulevard Nangui Abrogoua, et le dernier échangeur qui devait permettre de franchir l’avenue 13, n’ont pas été réalisés. Pourquoi le quatrième pont d’Abidjan a-t-il été amputé des deux derniers ouvrages ? Aucune explication officielle n’a été donnée.

Le ministère de l’Equipement et des Infrastructures Economiques refuse de donner des explications. Pourtant c’est lui qui a exercé la tutelle du projet. Mais au-delà, c’est bien à la China State Construction Engineering Corporation-CSCEC, qu’il faut demander des comptes en tant qu’entreprise chargée des travaux. C’est avec cette entreprise d’Etat chinoise que la Côte d’Ivoire a signé l’accord de construction, sur la base d’un cahier de charges spécifiant les différents ouvrages à réaliser. Visiblement la CSCEC n’a pas respecté ses engagements, en ne réalisant pas la totalité des ouvrages prévus dans le contrat de construction.

L’absence du tunnel sous le boulevard Nangui Abrogoua, et du pont sur l’avenue 13, a une incidence fâcheuse sur la fréquentation du pont pour les usagers en provenance de Cocody, Angré, Riviera etc….Une fois parvenus à l’Indénié, ils doivent remonter l’avenue Redoul, cette route étroite qui relie la caserne des sapeurs-pompiers à la mairie d’Adjamé. Elle comporte deux intersections, difficiles à franchir aux heures de pointe. Accéder au troisième en venant de l’Indénié s’avère pénible à ces heures, ce qui n’aurait pas été le cas si les deux ouvrages avaient été réalisés. En vérité, il ne devait y avoir aucune intersection sur le tracé du quatrième pont.

Ce n’est pas la première fois pour des entreprises d’Etat chinoises de s’illustrer ainsi. Le stade olympique d’Ebimpé, lui aussi réalisé par une entreprise d’Etat chinoise, en occurrence la Beijing Consulting Engineering Group (BCEG), n’a pas été construit dans le respect strict des spécifications décidées entre les deux parties. Après sa livraison, l’Etat ivoirien a dû engager environ 29 milliards pour reprendre les travaux dans certains compartiments.

Au Bénin il y a quelques années, les Chinois ont livré une infrastructure (l’échangeur de Godomey) sans l’avoir achevé conformément à la maquette qu’ils avaient présentée. Au Niger en Mars dernier, les autorités ont exigé que la compagnie d’Etat chinoise qui exploite le pétrole, la China National Petroleum Corporation la CNPC, intègre des cadres nigériens dans sa direction. En toile de fond, un désaccord entre les deux parties sur les chiffres de la production. Au Soudan du Sud, ce pays ravagé par une guerre civile depuis son indépendance en 2005, les Chinois exploitent le pétrole, là encore avec la CNPC. DIEU sait l’écart entre la production réelle, et celle déclarée aux autorités.

En tout état de cause, après ce qui s’est passé avec le stade d’Ebimpé, l’Etat ivoirien ne doit pas se laisser avoir de nouveau. Il serait regrettable que les choses en restent là cette fois. Il faut contraindre la CSCEC à terminer les travaux conformément au cahier des charges, à défaut, la traduire devant une cour d’arbitrage. Elle n’a pas mené le chantier à son terme, elle ne doit pas s’en tirer sans être inquiétée. Ce serait incompréhensible que l’Etat ivoirien n’émette aucune protestation. L’inaction, le mutisme, le laxisme n’ont pas leur place ici. La Côte d’Ivoire doit faire valoir ses droits. L’opinion publique doit aussi s’emparer du sujet. Le quatrième pont doit être mené à son terme.

Douglas Mountain

oceanpremier4@gmail.com

Le Cercle des Réflexions Libérales

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