Les « zombies du kush » : un fléau silencieux qui gangrène la jeunesse ivoirienne

Dans les rues d’Abidjan, un spectacle est devenu presque banal. De jeunes adolescents , errent dans un état second, le regard vide, la démarche lente et désarticulée. Ils restent figés de longues minutes au milieu de la circulation, ou s’affaissent brutalement sur le trottoir avant de se relever péniblement. Ces images diffusées sur les réseaux sociaux, témoignent d’une réalité alarmante : le fléau du kush, drogue de synthèse transformant ses consommateurs en véritables « zombies » touche la jeunesse en ivoirienne.

Qu’est-ce que le kush ?

Le kush est souvent comparé au cannabis, hérité des courants venus notamment d’Afghanistan. Mais en Afrique de l’Ouest, la réalité est bien différente. La substance vendue par les dealers sous ce nom n’a souvent rien à voir avec la plante originelle. Le kush qui circule à Abidjan et dans d’autres grandes villes de la sous-région est en fait un mélange dangereux de substances chimiques : résidus de pneus brûlés, engrais agricoles, comprimés de tramadol, sirops contre la toux et solvants divers. Préparé artisanalement dans des laboratoires clandestins, il est roulé dans du papier comme une cigarette ou mélangé à du tabac. Cette composition rend la drogue très nocive : chaque bouffée peut provoquer des dégâts irréversibles sur le cerveau et le système nerveux. Les médecins alertent sur le risque de délires, de troubles neurologiques sévères, voire de crises cardiaques. Le kush détruit en quelques mois ce que l’alcool ou le cannabis traditionnel abîment en plusieurs années.

Un phénomène venu de la sous-région

L’arrivée du kush en Afrique de l’Ouest remonte au début des années 2010, il est d’abord signalé en Sierra Leone et au Liberia. Dans ces pays sortis de guerres civiles, le produit a rapidement trouvé un terrain fertile auprès d’une jeunesse désœuvrée et privée de perspectives économiques. Le trafic est organisé par des réseaux transnationaux qui importent les produits chimiques depuis l’Asie et le Moyen-Orient, avant de les transformer localement. La Côte d’Ivoire, avec sa position de hub régional et son ouverture sur le Golfe de Guinée, n’est pas épargnée. Au cours des années, le kush s’est imposé dans les quartiers populaires d’Abidjan, gagnant Bouaké, San Pedro et d’autres grandes villes. Les descentes policières permettent parfois de démanteler des laboratoires improvisés, mais la demande reste forte et les filières se reconstituent aussitôt.

La jeunesse en première ligne

Ce sont les jeunes qui paient le prix le plus lourd. Majoritairement âgés de 15 à 25 ans, ils sont les principales cibles des vendeurs. Chômage endémique, pauvreté, manque d’encadrement familial et absence de structures de loisirs font le lit de cette consommation. Pour quelques centaines de francs CFA, un adolescent peut se procurer un « joint » qui lui promet un voyage de plusieurs heures. Mais le retour à la réalité est brutal : perte de mémoire, isolement, agressivité, et surtout dépendance qui arrive très rapidement. Cette drogue ne détruit pas seulement la santé. Elle ravage aussi le tissu social. Les familles se retrouvent impuissantes face à des enfants qui se transforment en inconnus. Dans certains quartiers, les habitants n’hésitent plus à parler d’une « génération perdue », sacrifiée sur l’autel de ce produit bon marché. La petite délinquance, vols à la tire, agressions est souvent liée à ces jeunes consommateurs en quête d’argent pour acheter leur dose.

Des réponses encore insuffisantes

Face à l’ampleur du phénomène, les autorités ivoiriennes ont lancé plusieurs opérations coup de poing. Des saisies spectaculaires ont été réalisées et des campagnes de sensibilisation menées dans les écoles. Mais la lutte reste complexe. Les trafiquants innovent sans cesse, profitant des failles dans les contrôles portuaires et terrestres. Les ONG locales tirent la sonnette d’alarme et plaident pour une approche plus globale, combinant répression, prévention et surtout prise en charge médicale. Car aujourd’hui, peu de structures spécialisées existent pour accueillir et traiter ces jeunes déjà dépendants. Les rares centres de désintoxication sont débordés et manquent de moyens.

Un défi pour l’avenir

La montée en puissance du kush révèle un malaise plus profond : celui d’une jeunesse ivoirienne qui, faute de perspectives, se réfugie dans l’illusion artificielle de cette drogue. Tant que les causes structurelles, le chômage, la pauvreté et la déscolarisation ne seront pas traitées, le problème persistera. Au-delà de la Côte d’Ivoire, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui est confrontée à ce fléau. Les « zombies du kush » ne sont pas qu’un phénomène de rue ; ils sont le miroir d’une crise sociale et économique que les États doivent affronter avec lucidité. Car chaque jeune perdu dans cette spirale est une énergie, une intelligence, une vie sacrifiée qui manquera au développement du pays.

F. Kouadio

Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

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