Quand l’histoire refuse d’être effacée (Tribune)

Par Stéphane Kool

En cherchant à verrouiller la compétition électorale, le pouvoir en place s’expose à un danger politique majeur : transformer une élection en une crise démocratique profonde. Depuis plus de soixante ans, Laurent Gbagbo n’est pas seulement un acteur de la vie politique ; il est une figure cardinale de la conscience collective ivoirienne. Intellectuel charismatique, homme d’État combatif, opposant de toujours, il a bâti sa légitimité au prix de luttes acharnées, d’exils forcés, de prisons et même d’un procès international. Son nom est indissociable de l’histoire contemporaine de la Côte d’Ivoire, et son parcours fait de lui une figure générationnelle, un repère national.

L’exclusion dont il est aujourd’hui l’objet dépasse le simple cadre électoral. Elle est perçue comme une injustice, une atteinte flagrante à l’équité politique, et, plus grave encore, comme une confiscation du droit du peuple à choisir librement ses dirigeants. Ses partisans, mais aussi une frange significative de la société ivoirienne, n’y voient pas une défaite démocratique, mais une humiliation. Dans un pays marqué par des décennies de frustrations accumulées, l’injustice — qu’elle soit réelle ou ressentie — agit toujours comme un ferment de désordre et d’instabilité.

Le paradoxe est d’autant plus saisissant que, malgré son acquittement à la Cour pénale internationale, Laurent Gbagbo continue de subir un acharnement politique sans relâche. L’adversité qui l’a conduit jusqu’à La Haye ne s’est jamais arrêtée. Au lieu de se résoudre à l’affronter dans l’arène électorale, c’est par des décisions judiciaires, administratives ou politiques que l’on cherche encore à l’« embastiller », à l’écarter de la scène nationale. Cette persistance nourrit un sentiment d’injustice plus fort encore, car elle donne l’impression que l’on redoute moins l’homme que la légitimité populaire qu’il incarne.

Pourtant, Gbagbo n’est pas qu’un candidat : il est reconnu comme un « fils du pays », porteur d’un ancrage historique, culturel et régional qui transcende les clivages partisans. Même dans l’hypothèse d’une défaite, ses soutiens auraient accepté le verdict des urnes, car ils en respectent le principe. Ce qu’ils refusent avec vigueur, c’est que l’on confisque ce droit de concourir, que l’on empêche le peuple de se prononcer.

Ainsi, cette exclusion n’est pas perçue comme une simple formalité juridique, mais comme un affront à la mémoire nationale. Elle révèle une peur du suffrage universel, une volonté de verrouiller l’avenir en tentant d’effacer une partie du passé. Mais l’histoire, elle, ne s’efface pas. Elle revient toujours, et parfois avec plus de force qu’on ne l’imagine.

Stéphane Kool

Intelligence marketing advisor

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