Palestine : la diplomatie ivoirienne sur la ligne de crête du consensus africain (Chronique)

Par Fleur Kouadio

Depuis plusieurs années, la diplomatie ivoirienne s’affirme comme un pilier de stabilité et de modération sur la scène ouest-africaine. À mesure que s’intensifient les débats mondiaux autour de la reconnaissance pleine et entière de l’État de Palestine, la Côte d’Ivoire, sans excès de posture, défend avec constance une ligne équilibrée, fidèle au droit international et à la tradition diplomatique africaine de soutien à la cause palestinienne. À l’approche de la session annuelle de l’Assemblée générale des Nations Unies, où la question de la Palestine promet de revenir au cœur des discussions, le président Alassane Ouattara est attendu à New York. Un signal fort.

Une reconnaissance ancienne, mais discrète

Peu de citoyens s’en souviennent : la Côte d’Ivoire a officiellement reconnu l’État de Palestine en décembre 2008. Un geste symbolique, effectué dans la foulée de plusieurs autres États africains, en appui à la lutte palestinienne pour l’autodétermination. Depuis, Abidjan s’est toujours alignée sur la position de l’Union africaine, qui plaide pour une solution à deux États, avec Jérusalem-Est comme capitale d’un futur État palestinien.

Cependant, contrairement à d’autres pays plus bruyants, la diplomatie ivoirienne n’a jamais fait de ce dossier un instrument de tribune. Elle agit avec retenue, souvent en coulisses, tout en apportant un soutien concret, comme en témoignent les votes de la Côte d’Ivoire en faveur de résolutions onusiennes défendant le statut international de Jérusalem ou condamnant les actions unilatérales qui compromettent la paix.

Une voix africaine au sein des Nations Unies

En 2018, la Côte d’Ivoire avait surpris certains observateurs en soutenant la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU dénonçant la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis. Le vote, salué à l’époque par l’Autorité palestinienne, montrait déjà que, derrière la diplomatie feutrée, Abidjan savait faire entendre sa voix lorsqu’il s’agissait de principes fondamentaux du droit international.

En juillet 2025, dans un contexte de blocage au Conseil de sécurité sur la question de l’admission de la Palestine comme État membre à part entière, la représentante ivoirienne a appelé à « poursuivre le débat au sein de l’Assemblée générale ». Une manière élégante de maintenir la pression diplomatique tout en évitant l’escalade. Ce positionnement place la Côte d’Ivoire dans un rôle d’intermédiaire crédible, capable de dialoguer avec tous les camps.

Un leadership assumé en Afrique de l’Ouest

Ce n’est pas un hasard si Alassane Ouattara a été convié à co-présider, le 22 septembre prochain, une conférence internationale sur la reconnaissance de la Palestine, aux côtés d’Emmanuel Macron et du prince héritier saoudien Mohammed ben Salman. Cette invitation reflète la stature de la Côte d’Ivoire sur la scène diplomatique africaine. Tandis que d’autres États ouest-africains sont empêtrés dans des crises internes, des transitions militaires ou des positionnements ambigus, Abidjan incarne une certaine continuité républicaine et une stabilité institutionnelle, prisées dans les grandes enceintes multilatérales.

La position ivoirienne, à la fois solidaire de la Palestine et soucieuse de préserver le dialogue avec Israël, s’inscrit dans une tradition africaine qui refuse les polarisations idéologiques. Elle rappelle que l’Afrique, souvent réduite à un rôle de figurant diplomatique, est pourtant un acteur stratégique dans les équilibres internationaux.

Entre solidarité historique et pragmatisme géopolitique

Le soutien africain à la cause palestinienne ne date pas d’hier. Il s’est construit dans les années 1960-1970, à travers une lecture décoloniale des conflits au Moyen-Orient. La Palestine y était vue comme un miroir des luttes d’émancipation africaines. La Côte d’Ivoire, même si elle a entretenu des relations étroites avec Israël à plusieurs reprises, n’a jamais rompu ce fil de solidarité.

Mais cette solidarité ne se traduit pas par un activisme diplomatique outrancier. Abidjan fait le choix d’un engagement pondéré, inscrit dans les normes du multilatéralisme. Elle ne cède ni aux logiques de confrontation, ni aux injonctions d’alignement. Une posture qui lui permet de conserver sa crédibilité, dans un contexte où les divisions entre puissances, y compris sur la question palestinienne, qui sont plus vives que jamais.

L’enjeu : une diplomatie de principe et d’équilibre

La participation d’Alassane Ouattara à la conférence de New York pourrait renforcer la légitimité d’un appel africain renouvelé en faveur d’une reconnaissance pleine de la Palestine, tout en réaffirmant la nécessité d’une solution politique globale. Pour la Côte d’Ivoire, l’enjeu n’est pas de se positionner contre un camp ou un autre, mais de défendre une diplomatie de principe, fondée sur le respect du droit international, le refus de l’unilatéralisme et la promotion du dialogue.

À l’heure où le multilatéralisme est en crise, cette posture équilibrée n’est pas la plus bruyante, mais elle est sans doute l’une des plus durables. Elle contribue à faire entendre une voix africaine responsable et stratégique dans les débats de demain.

F. Kouadio

Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

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