Côte d’Ivoire / Transhumance politique, une culture pro parti unique (Tribune)

La presse ivoirienne nous apprend que Maître Lynda Diplo, notaire reconnue et figure du leadership féminin, fera officiellement son entrée au RHDP lors d’une cérémonie prévue ce jeudi 11 septembre à l’Hôtel Ivoire. Cet acte, posé à la veille d’une élection présidentielle cruciale, ne saurait passer inaperçu. Il interroge, bien au-delà de la trajectoire personnelle de l’intéressée, la culture politique ivoirienne et le rapport des intellectuels aux partis. Car au fond, que révèle ce type de ralliement de dernière heure ?

Pour certains, il s’agit d’une simple liberté d’opinion, d’un choix assumé dans le pluralisme démocratique. Mais pour d’autres, ce geste s’apparente à ce que l’on appelle communément la transhumance politique : ce mouvement répété d’acteurs quittant leur famille politique, souvent à des moments stratégiques, pour rejoindre le parti dominant. La question qui taraude est celle-ci : nos intellectuels, formés dans la rigueur du droit, de la science et de la pensée critique, contribuent-ils réellement à élever le débat politique ou se laissent-ils happer par les logiques d’appareil et de pouvoir ? Le phénomène n’est pas nouveau. Depuis les années de parti unique, la culture politique ivoirienne s’est largement construite autour de l’idée qu’il fallait être « du côté du pouvoir » pour exister. Hier, c’était le PDCI hégémonique ; aujourd’hui, le RHDP semble hériter de cette centralité. Dans ce schéma, l’adhésion des personnalités de la société civile, loin de symboliser un engagement idéologique, est trop souvent perçue comme une quête d’opportunité, un mercato politique où l’on mise davantage sur la proximité avec le pouvoir que sur la défense des convictions.Et c’est là que réside la vraie problématique : quelle est la maturité politique de nos élites intellectuelles ?

En choisissant régulièrement la voie de la facilité — rejoindre le parti dominant plutôt que de contribuer à la structuration d’une opposition crédible et d’un débat contradictoire — elles entretiennent, consciemment ou non, une culture politique pro-parti unique. Il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur Maître Lynda Diplo, dont le parcours social et professionnel force le respect, mais de souligner un paradoxe ivoirien : nous réclamons la démocratie, mais nous la pratiquons souvent avec des réflexes hérités de l’autoritarisme. La diversité des idées, l’enracinement d’un véritable pluralisme et la construction d’alternatives durables supposent du courage politique.

Or, ce courage manque cruellement lorsque les intellectuels, censés incarner l’indépendance et la pensée critique, préfèrent céder aux chants des sirènes du pouvoir.

En définitive, la transhumance politique ne traduit pas seulement l’instabilité des choix individuels : elle reflète une culture démocratique encore fragile, où l’adhésion à un parti n’est pas le fruit d’une conviction profonde, mais souvent d’un calcul. Et tant que cette logique prévaudra, la Côte d’Ivoire demeurera prisonnière d’un pluralisme de façade, dominé par une pensée unique qui ne dit pas son nom.

Stéphane Kool
Intelligence marketing advisor

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