Les égos en politique sont les portes vers l’échec collectif. La décision du Conseil constitutionnel de recaler la candidature de Laurent Gbagbo pour la présidentielle du 25 octobre 2025 redistribue brutalement les cartes du jeu politique. À 80 ans, l’ancien président ivoirien est placé devant une équation historique : saura-t-il transcender son ego pour appeler à l’union autour de Simone Ehivet Gbagbo ou d’Ahoua Don Mello, ou choisira-t-il de maintenir la gauche ivoirienne prisonnière d’un leadership centré uniquement sur sa personne ?
Un leadership éprouvé, mais fragilisé
Laurent Gbagbo demeure, pour une large partie de la base populaire, le symbole vivant de la résistance à l’hégémonie du régime Ouattara. Sa stature historique, forgée dans la lutte syndicale, l’exil, la prison et le retour au pays, lui confère une aura incontestable. Mais cette légitimité ne suffit plus à elle seule à garantir l’avenir politique de la gauche. Le veto constitutionnel qui frappe sa candidature interroge : la gauche peut-elle encore se permettre de s’enfermer dans l’attente d’un homme dont les marges d’action institutionnelle se réduisent ?
L’option Simone Gbagbo
L’ancienne Première Dame a décidé de se réinventer politiquement. À travers le MGC, Simone Ehivet Gbagbo cherche à s’imposer comme une alternative crédible au sein de l’opposition, en particulier dans l’électorat féminin et religieux. Mais les blessures du passé et la rivalité historique avec son ex-époux compliquent un rapprochement. Si Laurent Gbagbo avait le courage d’appeler clairement à un soutien autour d’elle, ce serait un geste fort, capable de transformer l’histoire de la gauche ivoirienne. Encore faut-il qu’il accepte de voir Simone non plus comme une concurrente, mais comme un relais.
L’option Don Mello
Ahoua Don Mello incarne une autre voie : celle d’un technocrate souverainiste, porté par un discours panafricaniste et anti-système, en phase avec une jeunesse de plus en plus sensible à ces thèmes. Sa candidature, plus discrète, pourrait bénéficier d’un appui massif si Gbagbo décidait de mettre tout son poids dans la balance. Mais la question demeure : l’homme de Mama acceptera-t-il d’être l’ombre portée d’un dauphin politique, au risque de perdre son statut de figure centrale ?
Le piège de l’ego
L’histoire récente de la gauche ivoirienne est marquée par des divisions internes qui ont souvent affaibli son efficacité face au RHDP. Chaque leader a voulu exister par lui-même, au détriment d’une stratégie collective. Un peu comme au PDCI-RDA, où Tidjane Thiam a repris le culte de la personnalité d’un Henri Konan Bédié vieillissant. Laurent Gbagbo a toujours été au centre de cette même dynamique, refusant souvent les compromis qui ne passaient pas par lui. Or, en 2025, ce réflexe pourrait condamner toute chance d’alternance.
Un moment de vérité
Si Laurent Gbagbo appelle ses militants à se rallier à Simone Gbagbo ou à Don Mello, il offrirait à la gauche une chance historique de bâtir une candidature unique et crédible face à Alassane Ouattara. S’il choisit au contraire de maintenir la gauche dans un combat personnalisé, centré sur son exclusion ou contre un 4ᵉ mandat d’Alassane, il risque d’entraîner toute une famille politique dans une impasse.
L’héritage en jeu
Plus que son destin personnel, c’est l’héritage politique de Laurent Gbagbo qui est en jeu. Entrera-t-il dans l’histoire comme le fondateur qui a donné à la gauche les moyens de sa victoire future, ou comme le patriarche qui, prisonnier de son ego depuis Korhogo en 1990, aura compromis l’unité au moment crucial ? Presque 40 ans après son fameux « ce sont les rivières qui se jettent dans la mer », Laurent Gbagbo a encore une chance unique de sortir par la grande porte.
Car en politique, les égos ne sont jamais des tremplins pour l’histoire, mais bien les portes grandes ouvertes vers l’échec collectif.
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