Après le Sahel, le Qatar mise sur l’Afrique australe : pari stratégique ou fuite en avant ?

Par Fleur Kouadio

Le Qatar vient d’annoncer un plan d’investissement colossal de 70 milliards de dollars en Afrique australe, une somme qui dépasse de loin les ambitions habituelles de l’émirat sur le continent. Le Botswana, le Mozambique, la Zambie et le Zimbabwe sont les principaux bénéficiaires de cette nouvelle orientation. Une tournée de dix jours menée par le cheikh Al-Mansour Al-Thani, membre de la famille royale qatarie, a donné lieu à la signature d’accords d’une ampleur inédite : 20 milliards pour le Mozambique, 19 milliards pour le Zimbabwe, 19 milliards pour la Zambie et 12 milliards pour le Botswana. Ce dernier chiffre est particulièrement saisissant puisqu’il représente plus de la moitié du PIB du pays.

Une région choisie pour son potentiel

Ces annonces ne doivent rien au hasard. L’Afrique australe attire de plus en plus les regards, car elle combine plusieurs atouts : d’immenses ressources minières, une stabilité politique relative comparée à d’autres régions du continent, et surtout un besoin pressant de financements pour moderniser ses infrastructures.
Le Mozambique, malgré son instabilité au nord avec l’insurrection islamiste de Cabo Delgado, possède l’un des plus grands gisements de gaz naturel liquéfié au monde, un secteur dans lequel le Qatar, premier exportateur mondial, détient un savoir-faire inégalé. La Zambie et le Zimbabwe sont riches en cuivre et en lithium, deux métaux stratégiques pour la transition énergétique mondiale. Quant au Botswana, déjà perçu comme un modèle de bonne gouvernance en Afrique, il reste dépendant de ses exportations de diamants et cherche à diversifier son économie.

Une manœuvre opportuniste dans un contexte de vide occidental

Cette offensive économique s’inscrit dans un contexte géopolitique particulier. L’aide américaine s’est réduite drastiquement ces dernières années, notamment sous l’ère Trump, tandis que l’Europe se concentre sur ses propres crises. Les pays africains cherchent donc des partenaires alternatifs capables d’apporter des financements massifs sans conditionnalités politiques trop lourdes. Doha profite de cette fenêtre pour se positionner en acteur incontournable.

Il s’agit aussi d’une manière pour le Qatar de tourner la page de son échec au Sahel. Ses tentatives de médiation au Mali ou au Niger se sont soldées par des refus cinglants : Assimi Goïta n’a pas reconnu la nécessité d’un dialogue avec les rebelles de l’Azawad, et la junte nigérienne n’a pas cédé aux pressions qataries pour libérer Mohamed Bazoum. De même, au Tchad, l’émirat a vu ses relations se tendre avec N’Djamena, qui a préféré se rapprocher d’Abu Dhabi, plus enclin à fournir un soutien financier direct.

La diplomatie de la médiation comme assurance investissement

Le Qatar cultive depuis longtemps une image de médiateur global. De la bande de Gaza à l’Afghanistan, Doha s’est imposé comme un acteur diplomatique capable de dialoguer avec des camps adverses. En Afrique, cette stratégie prend une dimension particulière. Les investissements massifs en Afrique australe nécessitent des garanties de stabilité. Se présenter comme un artisan de la paix permet à l’émirat de sécuriser ses actifs tout en augmentant son influence.

Darfour, Tchad, Niger, Mali, RDC-Rwanda : autant de terrains où Doha a cherché à peser, avec des fortunes diverses. Ses échecs répétés n’ont pas entamé sa volonté, mais ils soulignent une faiblesse : le Qatar manque encore d’experts de terrain et de relais solides en Afrique. Ce déficit de connaissances locales limite l’efficacité de sa diplomatie, souvent perçue comme imposée de l’extérieur.

Entre ambition continentale et calcul géopolitique

L’offensive en Afrique australe répond à un double impératif. Sur le plan économique, il s’agit de diversifier les placements du fonds souverain qatari, déjà très exposé en Europe et au Moyen-Orient, et de s’ancrer dans des secteurs stratégiques comme le gaz, les minerais critiques ou les infrastructures. Sur le plan politique, Doha veut renforcer son rôle de partenaire alternatif aux yeux des pays africains, mais aussi se rendre indispensable auprès des États-Unis, en se posant comme un acteur stabilisateur du continent.

Cette stratégie n’est pas sans risques. L’instabilité persistante au Mozambique, les fragilités économiques du Zimbabwe ou encore la dépendance structurelle du Botswana aux diamants pourraient compromettre la rentabilité des projets. Mais pour l’émirat, la logique n’est pas seulement financière. Il s’agit avant tout de s’inscrire dans la compétition mondiale pour l’influence en Afrique, face à la Chine, aux Émirats arabes unis ou encore à la Russie.

En misant sur l’Afrique australe après ses déconvenues au Sahel, le Qatar cherche à réinventer son rôle en Afrique. Entre pari audacieux et fuite en avant, ces 70 milliards témoignent d’une ambition claire : transformer l’émirat gazier en puissance diplomatique incontournable du continent. Reste à savoir si la promesse de stabilité et de prospérité qu’il avance saura convaincre des partenaires africains souvent échaudés par les promesses extérieures.

F. Kouadio

Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

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