Franc CFA, commerce extérieur et taux de change fixe : atout ou frein pour le commerce extérieur ouest-africain ?

Amath Ndiaye, FASEG UCAD

Il s’agit d’analyser les soldes de la balance commerciale des pays de la CEDEAO et de montrer que les déséquilibres extérieurs sont la conséquence de la structure extravertie des économies, plus que du taux de change fixe ou flexible.

Des soldes commerciaux contrastés
L’examen des données moyennes de la période 2013-2023 met en évidence des différences notables entre les pays de l’UEMOA et ceux de la ZMOA (source : WDI).

Pays de l’UEMOA (change fixe, FCFA) : les déficits commerciaux se situent en moyenne autour de –10,9 % du PIB. On observe toutefois de fortes disparités internes : la Côte d’Ivoire parvient à un équilibre (0 %), tandis que le Sénégal (–22 %), le Niger (–14 %) ou le Mali (–13 %) affichent des déficits importants.
Pays de la ZMOA (change flottant ou flexible) : les déficits sont plus profonds, avec une moyenne de –15,7 % du PIB. Le Libéria (–28 %), la Gambie (–25 %) et la Guinée (–23 %) se distinguent par leurs déséquilibres particulièrement lourds, alors que le Nigéria limite son déficit à seulement –2 %, grâce à ses exportations pétrolières.
Cas particulier : le Cabo Verde, bien qu’en régime fixe, affiche lui aussi un déficit élevé (–17 %), confirmant que le régime de change ne suffit pas à expliquer les performances.

Régime de change et performances commerciales
Les chiffres montrent clairement que les pays à régime de change fixe (UEMOA) présentent en moyenne des déficits moins prononcés que ceux à change flottant (ZMOA). Le taux de change arrimé à l’euro a contribué à stabiliser les prix, contenir l’inflation et maintenir une certaine discipline macroéconomique, ce qui se reflète dans des déséquilibres moins sévères.

L’exemple de la Côte d’Ivoire est particulièrement révélateur : malgré un régime de change fixe, ce pays atteint un solde commercial équilibré, preuve que la fixité monétaire n’est pas un obstacle à la compétitivité lorsque l’appareil productif est diversifié et tourné vers l’exportation.

À l’inverse, certains pays de la ZMOA, dotés d’un régime flottant, subissent de fréquentes dévaluations qui, loin de corriger durablement les déficits, les aggravent en renchérissant les importations et en réduisant la stabilité des échanges.

La véritable cause : la structure extravertie des économies
Si le régime de change joue un rôle, il ne constitue pas le facteur déterminant. Les déséquilibres extérieurs en Afrique de l’Ouest sont avant tout structurels, liés au caractère extraverti des économies :

Spécialisation primaire : cacao, coton, arachide, or, pétrole, bauxite. Ces produits bruts, soumis aux fluctuations des cours mondiaux, dominent les exportations.
Dépendance massive aux importations : produits alimentaires, hydrocarbures, biens manufacturés et intrants industriels absorbent une part croissante des devises.
Faible intégration régionale : le commerce intra-CEDEAO reste inférieur à 15 %, limitant la capacité des échanges régionaux à amortir les chocs extérieurs.
Modèle de croissance importateur : la consommation et l’investissement public reposent largement sur des biens d’équipement et des produits importés.

En définitive, le déficit structurel de la balance commerciale ne provient pas principalement du régime de change, mais de la faible diversification productive et du manque de transformation locale.

Conclusion
L’analyse comparative entre l’UEMOA et la ZMOA montre que :

Les pays à change fixe (UEMOA) connaissent des déficits en moyenne moins profonds (–10,9 %) que ceux à change flottant (–15,7 %).
La Côte d’Ivoire illustre qu’un pays CFA compétitif peut équilibrer son commerce malgré un taux de change fixe.
Le Nigéria, grâce à ses hydrocarbures, limite ses déficits, mais son régime flottant n’a pas permis de stabiliser durablement sa monnaie ni ses équilibres externes.
Les déséquilibres extérieurs ouest-africains restent avant tout la conséquence de la structure extravertie des économies, plus que du choix du régime de change.

Le véritable défi pour l’avenir est donc de diversifier la production, transformer localement les ressources et renforcer le commerce intra-africain, afin de réduire la dépendance extérieure et d’assainir durablement les balances commerciales.

À propos de Pr Amath Ndiaye
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il était expert-membre du comité de pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la Création de la Banque Centrale Africaine.. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change et la croissance économique en Afrique de l’Ouest. Trilingue, il maîtrise le wolof, le français et l’anglais.

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