Par Fleur Kouadio

Depuis plusieurs jours, les populations frontalières du nord-est ivoirien assistent à un afflux massif et soudain de réfugiés venus du Ghana. Dans la région du Bounkani, notamment autour de Bouna et Doropo, des familles entières ghanéennes franchissent la frontière, fuyant un violent conflit foncier qui a éclaté dans le village de Gbenyiri, dans la région de la Savannah. Selon les chiffres relayés par RFI et confirmés par les autorités locales, près de 10 000 personnes, majoritairement des femmes et des enfants, ont déjà traversé la frontière, parfois au péril de leur vie. Épuisés, amaigris, certains portant à bout de bras leurs enfants ou des aînés trop faibles pour marcher, ces réfugiés arrivent en Côte d’Ivoire avec un seul espoir : retrouver un semblant de sécurité. Leur périple rappelle aux Ivoiriens une histoire que le pays connaît intimement. Car il n’y a pas si longtemps, ce sont nos compatriotes qui traversaient les frontières en quête d’asile au Ghana, au Libéria ou encore en Guinée, fuyant les violences politiques et les crises internes.
Une tradition d’accueil profondément enracinée
L’hospitalité en Côte d’Ivoire n’est pas une simple valeur morale. C’est une pratique vivante, ancrée dans les réalités sociales et culturelles de nos communautés. Dans les villages frontaliers, les habitants se sont spontanément organisés pour accueillir leurs frères et sœurs ghanéens. Des cases sont ouvertes, des repas partagés, et au-delà des gestes matériels, c’est une chaleur humaine qui est offerte à ces familles en détresse. Cette solidarité immédiate témoigne d’une vérité souvent oubliée : la Côte d’Ivoire n’est pas seulement un carrefour économique en Afrique de l’Ouest, elle est aussi un refuge humanitaire. Depuis plusieurs décennies, elle a ouvert ses portes aux déplacés du Libéria, de la Sierra Leone, du Burkina Faso et du Mali. Aujourd’hui encore, l’ONU rappelle que plus de 120 000 réfugiés vivent déjà sur le sol ivoirien, bénéficiant de la protection de l’État, du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et d’autres partenaires.
Un rôle central en Afrique de l’Ouest
L’arrivée de ces nouveaux réfugiés ghanéens met à l’épreuve cette capacité d’accueil, mais elle confirme surtout la place centrale de la Côte d’Ivoire dans la région. Si d’autres pays de la sous-région se replient souvent sur eux-mêmes face aux crises, Abidjan assume son rôle de stabilisateur. C’est un choix politique et diplomatique cohérent avec son engagement au sein de la CEDEAO et avec son ambition de demeurer une puissance régionale respectée. Au-delà de la solidarité de proximité, l’État ivoirien a rapidement mobilisé ses institutions. Avec le soutien de l’UNHCR Côte d’Ivoire, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et d’ONG locales, des dispositifs d’accueil et de prise en charge sanitaire sont déployés. Des centres temporaires sont installés, des vivres acheminés, et une assistance médicale fournie aux personnes les plus vulnérables.
La solidarité comme rempart contre l’instabilité
Accueillir des réfugiés n’est pas sans défis. L’afflux soudain de milliers de personnes met sous pression les infrastructures locales, les réserves alimentaires et les services sociaux. Mais en Côte d’Ivoire, la solidarité est comprise comme une garantie de stabilité. Refuser l’accueil ou ignorer la détresse des réfugiés pourrait au contraire créer des tensions, des rivalités pour l’accès aux ressources, et nourrir de nouveaux foyers de conflit. En assumant ce rôle, le pays fait preuve de lucidité : l’instabilité ne s’arrête jamais aux frontières. La paix durable se construit aussi en protégeant ceux que la guerre ou les conflits fonciers chassent de chez eux. La Côte d’Ivoire envoie ainsi un signal fort à la sous-région : la fraternité et l’hospitalité peuvent être des armes diplomatiques aussi puissantes que les dispositifs militaires.
Un devoir d’humanité et une fierté nationale
Pour de nombreux Ivoiriens, accueillir les réfugiés est bien plus qu’une obligation dictée par le droit international. C’est un devoir d’humanité et une source de fierté nationale. Chaque famille qui ouvre sa porte perpétue une identité collective forgée par des décennies de cohabitation avec des communautés venues de toute l’Afrique de l’Ouest.À l’heure où des idéologies de repli et de méfiance gagnent du terrain ailleurs, la Côte d’Ivoire rappelle que la solidarité est un pilier de la paix. Demain, cette hospitalité renforcera encore les liens avec le Ghana voisin et contribuera à cimenter une fraternité ouest-africaine indispensable pour faire face aux crises récurrentes. L’arrivée des réfugiés ghanéens sur le sol ivoirien n’est pas seulement un défi humanitaire. C’est aussi un test de résilience et de solidarité. En y répondant avec générosité et organisation, la Côte d’Ivoire démontre une fois encore son rôle incontournable en Afrique de l’Ouest. Accueillir, protéger, accompagner : telle est la voie choisie par la Côte d’Ivoire. Non pas par calcul, mais parce que cette hospitalité est dans son ADN. Dans un monde troublé, cette valeur fait plus que soulager des victimes. Elle consolide la paix et projette une image d’un pays qui, au-delà des crises, demeure une terre de refuge et de fraternité.
F. Kouadio
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