GBANSÉ, Douadé Alexis est le directeur de publication de Connectionivoirienne.net
En théorie, l’État devrait être ce grand arbitre qui protège les citoyens, garantit l’égalité devant la loi et organise la compétition politique dans la paix. Mais en Côte d’Ivoire, la logique qui s’est imposée depuis des décennies est tout autre : exclure, verrouiller, contrôler.
On ferme la porte de la présidentielle à certains, mais on leur confie hier les clés de la Primature et tous les secrets de l’État. On proclame la démocratie, mais on ajuste la Constitution et les institutions pour décider qui peut jouer et qui doit rester sur le banc. Résultat ? Chaque élection devient une guerre programmée.
Car l’exclusion ne produit pas la paix. Elle alimente la rancune, radicalise les frustrations et transforme l’arène électorale en champ de bataille. À chaque présidentielle, les morts innocents payent le prix d’un système qui préfère la force du verrou à la force des idées.
Alors, posons la question crûment : est-ce cela, l’essence de l’État ivoirien ? Non pas de réguler les tensions, mais d’entretenir le conflit permanent ? De transformer l’échéance électorale, censée être un moment de choix démocratique, en rendez-vous macabre avec la violence ?
Tant que l’on persistera dans cette logique d’exclusion et de confiscation, l’État ne sera pas ce rempart qui protège. Il sera ce piège qui tue, ce piège à citoyens. Et il n’y aura rien d’étonnant si, encore une fois, au lieu de célébrer la démocratie, nous pleurons nos morts.
L’art macabre de fabriquer le conflit
On nous a vendu l’État comme le gardien de la paix, le régulateur des ambitions, l’arbitre suprême. En réalité, chez nous, il ressemble davantage à un pyromane déguisé en pompier. Il jette de l’essence sur le brasier politique, puis feint de s’étonner des flammes qui emportent des innocents.
La logique est simple, brutale, absurde : on donne à quelqu’un les clés du gouvernement, l’accès aux comptes de chaque ministère, aux plus intimes secrets d’État, et, soudain, lorsqu’il s’agit de briguer la magistrature suprême, on découvre qu’il est « inéligible ». Ridicule ? Non. Tragique. Car derrière ce tour de passe-passe juridique se cache une machine bien huilée : fabriquer l’exclusion pour entretenir la domination.
À chaque présidentielle, la même scène se rejoue, comme une pièce de théâtre macabre. Les lois s’écrivent et se réécrivent pour désigner les bons candidats et écarter les indésirables. L’État, au lieu d’apaiser, se transforme en usine à rancunes. Et le peuple, lui, devient la chair à canon de cette comédie sanglante.
Alors oui, il faut le dire : l’État ivoirien s’est fait une spécialité unique au monde. Non pas garantir la démocratie, mais organiser le conflit permanent. Non pas protéger les vivants, mais préparer les cimetières pour chaque échéance électorale. Une prouesse ! Une performance digne des livres d’histoire… ou des manuels de cynisme politique.
Car au bout du compte, qu’avons-nous ? Des élections vécues comme des guerres. Des urnes qui se remplissent de bulletins et de sang. Un peuple pris en otage par une classe politique qui confond gouverner avec confisquer. Et une question terrible, qu’on n’ose plus à peine poser : en Côte d’Ivoire, voter, est-ce choisir son président… ou choisir ses morts ?
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