Société / Le mot « Excision » peut fracturer une vie de femme (Chronique)

Par Fleur Kouadio

En Côte d’Ivoire, il n’appartient pas seulement au lexique des ONG : il hante les récits familiaux, les silences, les cicatrices invisibles.

Dans notre pays, une femme sur trois âgée de 15 à 49 ans a subi au moins une forme de mutilation génitale féminine (MGF). Le nombre de cas sur le plan national se situe autour de 36%, un niveau globalement stable sur la dernière décennie, elle reste trop importante malgré des efforts soutenus de sensibilisation. Il est constaté aussi une pratique qui est plus fréquente chez les plus âgées que chez les plus jeunes. Un signe d’un déclin lent mais réel.

Une pratique qui persiste en Côte d’Ivoire, surtout dans les zones rurales

Le Nord et le Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire restent des zones où l’excision demeure un marqueur social, identitaire et matrimonial. Les autorités sanitaires rappellent que ces foyers persistent, en dépit de campagnes régulières et d’un cadre légal clair.

Pour comprendre la résilience de la pratique, il faut remonter aux origines, en Égypte. C’est dans la haute société, la plus aisée, à l’époque des pharaons, que cette pratique aurait eu cours. Les anthropologues y voient moins un acte religieux codifié qu’une norme sociale ancestrale, transmise par des mécanismes d’imitation et de conformité : on excise « parce que l’on a toujours fait ainsi », parce que la réputation d’une fille et les alliances familiales en dépendraient. Des travaux décrivent ces mutilations comme un fait coutumier ancien, consolidé par des réseaux d’autorité (matrones, notables, parfois chefferies) et par des croyances sur la pureté, la féminité « acceptable » et le contrôle de la sexualité.

Mais face à cette atteinte à l’intégrité et à l’intimité des femmes, il y a la loi

Il est essentiel de rappeler ce que recouvrent ces gestes, des atteintes à l’intégrité et à l’intimité des femmes. Les conséquences sont documentées : douleurs aiguës, hémorragies, infections, complications obstétricales, troubles sexuels et psycho traumatismes. Il y a des corps et des trajectoires de vie redessinées par la douleur.

Face à cela, la loi ivoirienne ne laisse aucune ambiguïté, et prévoit une peine d’un à cinq ans d’emprisonnement assortis d’une amende. Le Code pénal adopté depuis 1998 a intégré et précisé ces dispositions, confirmant l’incrimination et les sanctions. En clair, l’excision est un délit.

Il faut lever le TABOU

Le droit, pourtant, ne suffit pas à lui seul à défaire une norme sociale. Les programmes qui fonctionnent le mieux combinent l’application de la loi, la médiation communautaire et des alternatives sociales pour celles qu’on appelle traditionnellement « exciseuses ». Quand ces « matrones » se voient proposer des rôles valorisés, relais de santé, accompagnement prénatal, médiation, la communauté perd moins et gagne plus à renoncer. C’est un constat partagé par nombre d’acteurs de terrain en Côte d’Ivoire, l’abandon de l’excision n’est durable que s’il s’accompagne d’une reconfiguration des statuts et des rites de passage.

Autre levier, la parole des survivantes et l’éducation des garçons. Dans les villages, le « secret » protège la pratique. Or la mise en récit, celle d’une tante, d’une sœur, d’une cheffe coutumière, fissure le tabou. Quand un adolescent comprend que l’excision n’est pas un gage de « respectabilité » mais une violence illégale aux conséquences durables, il devient un allié naturel. Une large majorité de femmes et de filles déclarent que la pratique devrait cesser. Ce consensus social naissant est précieux : il autorise les familles hésitantes à dire « non » sans perdre la face.

Alors pourquoi encore ces pratiques ?

Reste la question que l’on me pose souvent : « Pourquoi ça persiste encore ? ». Parce que les normes sociales sont tenaces, parce que la pression du groupe est puissante, parce que certains leaders locaux s’y opposent mollement, parce que l’économie de la pratique (cadeaux, rémunérations, prestige) existe bel et bien. Et parce que les crises sécuritaires et économiques, détournent l’attention publique. Pourtant, les signes d’un recul sont là : la baisse générationnelle, l’augmentation des scolarisations de filles, la professionnalisation des sages-femmes et la vigilance judiciaire.

Le défi aujourd’hui c’est la cohérence. Il faut que la loi soit appliquée partout, que les services de santé signalent, que les médiateurs soient formés, que l’école explique, et que les médias cessent de traiter l’excision comme une « coutume » respectable pour la nommer comme ce qu’elle est, une atteinte à l’intégrité et à la dignité.

F. Kouadio

Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

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