La dette des pays africains a toujours été une préoccupation. Pourquoi ces pays sont toujours confrontés à ce problème ? Pourquoi depuis les années 1980, la dette les plombe continuellement ? Du 12 au 14 mai dernier, l’Union africaine organisait à Lomé, son premier sommet exclusivement dédié à la dette sur le continent. Cette rencontre fut suivie du Caucus africain des institutions de Bretton Woods ( FMI et Banque Mondiale ), tenue dans la capitale centrafricaine du 30 Juillet au 02 Août dernier, où les débats se sont encore une fois focalisés sur la dette.
Dans ces forums, les Africains lancent toujours à l’unisson un appel à « l’annulation totale des dettes » du continent. Le plus triste est que tout le monde semble considérer cette annulation comme une fin en soi, une baguette qui va résoudre tous les problèmes. La question de savoir pourquoi ces Etats ne parviennent pas à rembourser leurs emprunts, pourquoi ils en sont toujours à réclamer « l’annulation totale » de leurs dettes, n’est pas mise sur la table. Il y a pourtant périodiquement des annulations qui sont faites, et des mécanismes existent qui permettent aux pays de voir certaines de leurs dettes effacées. Cependant la question de l’annulation revient toujours sur la table. Pourquoi ?
On en revient toujours là parce que ce n’est pas sur la dette elle-même qu’il faut se focaliser, mais bien sur la gouvernance des pays. Car quand bien même toutes les dettes seraient annulées aujourd’hui, et que des conditions plus souples soient mises en place pour permettre aux pays africains d’accéder à moindre coûts aux marchés internationaux des capitaux, dans cinq ans ces pays vont se réendetter et réclamer de nouveau « l’annulation » de leurs dettes. S’endetter est une chose, rembourser en est une autre. Il faut se demander pourquoi les pays africains ont toujours des difficultés à rembourser les dettes qu’ils contractent.
Il faut savoir que les budgets annuels des pays africains sont financés à plus de 50% par les emprunts et les dons divers. Ainsi chaque année, ces pays ne parviennent pas à mobiliser des ressources pour financer au moins la moitié de leurs dépenses. C’est bien là que réside le nœud de l’affaire. Les emprunts ne sont pas des ressources d’appoint, mais des ressources principales dans leur budget. Cette faiblesse de la mobilisation des ressources internes reste la pierre d’achoppement pour ces pays, car de façon ultime ( refinancement ou pas ), c’est bien sur ses ressources propres que repose la capacité d’un Etat à rembourser ses emprunts. Comment mobiliser davantage à l’interne ? C’est cette question qui devrait faire l’objet de rencontres internationales.
Sur la mobilisation des ressources fiscales par exemple, il n’y a pas forcément lieu d’augmenter les impôts, mais s’assurer que ceux qui doivent les payer les paient effectivement. Ce qui suppose qu’il faut déclarer la guerre aux impayés d’impôts ( les arriérés ), qui de façon globale s’élèvent à des milliers de milliards dans un pays comme la Côte d’ivoire. L’existence même de stock de créances dans de telles proportions ( la dette fiscale globale ) prouve à suffisance qu’il reste du travail à faire dans la mobilisation des recettes fiscales.
Il faut accroître le nombre de personnes assujetties aux impôts (l’assiette fiscale), en amenant tous ces petits acteurs du secteur informel à contribuer d’une façon ou d’une autre. D’autre part, il faut aussi arriver d’une manière ou d’une autre à taxer les revenus des artistes, des acteurs du secteur de l’évènementiel et de l’audiovisuel. Il faut mettre en place des mécanismes qui permettent à l’Etat de prélever une partie des recettes générées par les grandes manifestations ( concerts, galas et autres ). On peut aussi soumettre à l’impôt sur le revenu, les pasteurs et fondateurs des Eglises libérales (les modalités restent à définir). Cela se fait ailleurs. C’est un important gisement sur lequel les gouvernements africains doivent désormais porter les regards. Evidemment cela dépend de la situation des pays.
Au niveau des fonctionnaires, la masse salariale doit être surveillée. La chasse aux fonctionnaires fictifs doit être permanente. L’affectation de nouveaux fonctionnaires doit se faire après l’expression des besoins des différentes administrations, et non pas systématiquement comme on le fait depuis toujours. Les administrations publiques en Afrique ont toujours été pléthoriques avec un fort pourcentage de fonctionnaires fictifs.
Au niveau des infrastructures, il faut recourir autant que possible à des partenariats publics privés. Ports, aéroports, chemins de fer, ponts en zones urbaines, infrastructures sportives… etc…….l’Etat peut en confier la construction et l’exploitation au privé. Sur le plan routier, les péages doivent être désormais la norme sur les grands axes interrégionaux. De même l’Etat doit se désengager d’un certain nombre de secteurs marchands dans lesquels il est encore présent, il faut casser les monopoles là où ils existent encore. La dette intérieure ne doit pas être reléguée au second plan. Plus cette dette se creuse, plus les entreprises locales ont du mal à tourner, et plus l’activité globale en pâtit, ce qui en fin de compte impacte à la baisse les ressources fiscales.
Sur le plan institutionnel, les cours des comptes dans les pays doivent vraiment jouer leur partition en émettant des avis critiques sur les dysfonctionnements constatés, les parlements doivent contrôler l’exécution des budgets, pointer du doigt les dérapages, et commanditer des audits. Toutes ces mesures (qui ne sont pas ici exhaustives) mises l’une dans l’autre produiront un impact fort et durable sur la capacité budgétaire des pays, sur la croissance, la création de richesses, sur la machine économique. Les Etats pourront dégager suffisamment de marges budgétaires pour faire face au remboursement des emprunts.
En début d’année 2025, quelque 25 pays africains sur 55 étaient déclarés en « situation de détresse vis-à-vis de leurs dettes ». Ce n’est pas en remettant les compteurs à zéro, et en permettant à ses pays de s’endetter à nouveau, qu’on va éviter le même phénomène dans le futur. C’est à la limite immorale de contracter un emprunt, d’utiliser pleinement cet argent, et de réclamer après l’annulation de la dette. La question de la dette est indissociable de la gouvernance des Etats. Si cette gouvernance s’améliore, la dette cessera aussi d’être un fardeau insoutenable. Il faut cesser de réclamer l’annulation de la dette des pays africains. Il faut sortir de ce débat.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
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