Vols de bétail à la frontière ivoirienne : un fléau économique et un risque de tensions diplomatiques supplémentaires entre Abidjan et Ouagadougou

Par Fleur Kouadio

Depuis plusieurs mois, un phénomène  ronge en silence les régions frontalières entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso : les vols de bétail. Derrière ces attaques, souvent perpétrées par des groupes armés, se dessine un problème plus large, où se mêlent injustice sociale, insécurité et tensions diplomatiques.

Un phénomène ancien qui s’amplifie

Les départements ivoiriens de Bouna, Doropo, Téhini ou Kong, voisins des provinces burkinabè de la Comoé ou de la Léraba, sont le théâtre de vols massifs de troupeaux depuis le début de l’année. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il a pris une ampleur inquiétante avec l’affaiblissement de l’État burkinabè, en proie aux attaques terroristes et aux trafics transfrontaliers.
Pour de nombreuses familles peules ou sénoufos, le bétail représente bien plus qu’un simple moyen de subsistance : il est le socle de leur économie et de leur statut social. Lorsqu’un troupeau de 50 ou 100 têtes disparaît, c’est toute une génération d’efforts qui s’effondre.

Des conséquences dévastatrices pour les populations

Tous les éleveurs décrivent la même peur : celle de perdre la totalité de leur capital en une nuit. Et les conséquences sont dévastatrices. Un seul troupeau volé peut représenter la perte de plusieurs millions de francs CFA. Pour beaucoup, c’est la fin d’un équilibre déjà fragile. Les voleurs, souvent armés, sont parfois assimilés aux éleveurs transhumants venus du Burkina Faso. Cela alimente des conflits avec les agriculteurs locaux, déjà sensibles aux questions de pâturages et de cultures. Des villages entiers vivent désormais sous la menace d’attaques nocturnes. Les habitants dorment peu, toujours sur le qui-vive. Certains choisissent l’exode, rejoignant les villes ou d’autres zones jugées plus sûres. C’est aussi malheureusement un moyen, pour certains volontaires pour la défense de la patrie burkinabés (VDP), un moyen d’asseoir leur autorité dans leur secteur et une source financière se chiffrant chaque année en centaines de millions de FCFA . Les troupeaux se revendant deux à trois fois le prix habituel sur le marché parallèle et parfois même sur des marchés officiels mêlés à des troupeaux légaux. Ces drames humains sont particulièrement frappant. Derrière chaque troupeau volé, il y a une histoire de famille, un avenir brisé, une génération sacrifiée.

Un contexte géopolitique tendu

Ces vols interviennent dans une période de refroidissement diplomatique entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, Ouagadougou a multiplié les gestes de rupture avec la CEDEAO et la France, alors que la Côte d’Ivoire reste alignée sur ses engagements régionaux et internationaux.

La porosité de la frontière inquiète Abidjan, qui redoute non seulement les trafics transfrontaliers, mais aussi les infiltrations djihadistes depuis le sud du Burkina Faso. Le bétail volé, revendu ou échangé jusqu’au Ghana, peut financer des réseaux terroristes actifs dans la région.
En réponse, l’armée ivoirienne a renforcé sa présence le long de la frontière. Mais cette militarisation, si elle n’est pas accompagnée de dialogue communautaire et de coopération bilatérale, risque d’accentuer la méfiance entre les deux pays.

Quelles solutions ?

Ce problème ne pourra être réglé qu’avec une vraie concertation entre Abidjan et Ouagadougou, malgré leurs divergences politiques actuelles. Des comités transfrontaliers, associant les forces de sécurité, les éleveurs et les chefs coutumiers, doivent être remis en place et opérationnels.
Par ailleurs, il est urgent de mettre en place un système de marquage et de traçabilité du bétail pour lutter contre le recel, et de renforcer les patrouilles mixtes dans les zones les plus exposées.
Mais la réponse ne doit pas être que sécuritaire. Tant que la pauvreté, le manque d’emplois et l’impunité persisteront, les vols de bétail continueront d’alimenter un cycle de violence qui dépasse la simple frontière.

Un enjeu humain avant tout

Ce qui touche dans cette affaire, ce n’est pas seulement la tension politique entre deux États voisins, mais surtout la détresse des familles qui voient leur monde s’écrouler. Il faut  mettre en lumière ces réalités pour rappeler que derrière chaque chiffre, il y a des vies. Des hommes et des femmes qui, chaque jour, affrontent non seulement les voleurs, mais aussi la peur de voir la violence s’inviter dans leurs villages.

F. Kouadio

Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

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